Marie dans l’islam
Pour l’Annonciation, célébrée cette année le 4 avril, Efesia invite chrétiens et musulmans à prier Dieu avec Marie, les uns à côté des autres.
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L’Annonciation, miniature de la Jami ‘al-Tawarikh de Rashid al-Din, 1314. / /www.bridgemanart.com
► Que dit le Coran de Marie ?
Appelée sayyidunâ (« notre dame ») par les musulmans, Marie (Maryam, en arabe) est citée à 34 reprises dans le Coran – plus que dans tout le Nouveau Testament. Le texte fondateur de l’islam lui consacre même une sourate entière, la sourate 19 dite « sourate de Marie ».
« Marie n’est donc pas une inconnue pour les musulmans », souligne le P. Maurice Borrmans, ancien enseignant à Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai), qui résume ce que les différents passages coraniques rapportent à son sujet : « Le Coran dit d’elle que sa mère, la femme de ‘Imrân, l’a consacrée à Dieu dès sa naissance (3, 35-36), que Zacharie s’est occupé de son éducation “dans le sanctuaire” (3, 37), qu’elle a reçu “bonne nouvelle” d’une “parole” lui venant de Dieu (3, 45), qu’elle est donc devenue enceinte sans concours d’homme “sous l’action de l’esprit de Dieu” (3, 47 ; 19, 20-21), qu’elle a accouché de son fils au pied d’un palmier, au désert, palmier qui l’a gratifiée de dattes fraîches et d’une eau désaltérante (19, 25-26), qu’elle a présenté son bébé “aux siens” répondant par un “jeûne du silence” à leurs accusations de prostitution (19, 26-28), qu’elle est donc “avec son fils, un signe pour les mondes” (23, 50 ; 21,91) et, pour son compte personnel, “un modèle pour les croyants parce qu’elle a préservé sa virginité, si bien que Dieu a insufflé en elle de Son esprit, parce qu’elle a déclaré véridiques les paroles et les livres de Dieu et parce qu’elle a été du nombre des personnes pieuses” (66, 12). »
« Nulle autre femme n’a dans le Coran de tels privilèges », explique le P. Borrmans. Aucune autre femme n’y est d’ailleurs nommément citée : ni Âmina, mère du prophète Mohammed, ni sa première épouse Khadîja, son épouse préférée ‘Â’isha, ou sa fille Fâtima. « Même si un hadîth postérieur les cite à égalité avec Marie », complète le P. Borrmans. Signe de cette place éminente de Marie dans l’islam, Al-Azraqî, historien de La Mecque du IXe siècle, raconte que, quand Mohammed ordonna de purifier la Ka’aba des idoles, il protégea de sa main un portrait de Marie et Jésus : « Effacez toutes les peintures de ce mur sauf celle-ci », ordonna-t-il.
► Quelle différence avec le christianisme ?
Si le texte du Coran sur Marie ne correspond pas totalement avec les récits de la Nativité dans les Évangiles canoniques, tous les détails cités ont des correspondances avec des textes apocryphes et des traditions palestiniennes, notamment Le Protévangile de Jacques, un texte du IIe siècle qui a eu un succès considérable dans l’Orient chrétien et a influencé de nombreuses traditions chrétiennes, ou L’Évangile du Pseudo-Matthieu, un évangile de l’enfance de la fin du VIe siècle-début du VIIe siècle, soit juste avant Mohammed… « Le Coran reflète les positions de Mohammed et de ses disciples sur Jésus et son identité, sur Marie, sur les affirmations des chrétiens, ce qu’on peut accepter, ce qu’on peut tolérer, ce qu’on doit rejeter », explique Suleiman Ali Mourad, professeur de religion au Smith College (1).
Ainsi de l’expression « Fils de Marie », systématiquement employée par le Coran pour parler de Jésus, alors que l’Évangile ne le fait qu’une seule fois. Elle reflète autant les controverses entre juifs et chrétiens sur l’origine de Jésus – le Coran dénonce à ce propos les « calomnies » des juifs qui accusent Marie d’être une« prostituée » – que la volonté de l’islam d’apporter sa propre réponse au débat, encore vif, sur la maternité divine de Marie, et donc la divinité de Jésus. « La Mère du Christ n’est pas reconnue comme la Mère de Dieu », explique l’anthropologue des religions Malek Chebel (2). « Et si Jésus est perçu comme un prophète important de l’islam, il n’est pas “Dieu” dans le Coran. » Celui-ci reproche d’ailleurs aux chrétiens de diviniser Jésus et Marie. « Si vous dites que Jésus est le Fils de Marie, cela sous-entend qu’il n’est pas le Fils de Dieu, sinon Marie deviendrait l’égal de Dieu », poursuit Suleiman Ali Mourad.
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Le fait que le Coran nomme Jésus «’Îsâ », et non « Yasû » (« Dieu sauve »), souligne d’ailleurs bien que Jésus n’est ni Dieu ni sauveur. Avec la conséquence, dans l’islam, de voir Marie – qui, contrairement à l’Évangile, ne donne pas son consentement au moment de l’Annonciation – réduite à un rôle de modèle de vie pure et dévote.
► Un pont entre chrétiens et musulmans ?
Au-delà des différences théologiques, Marie demeure un point de référence commun important entre chrétiens et musulmans. « Même les musulmans viennent la vénérer. À Notre-Dame de Harissa, la moitié des pèlerins sont musulmans. À Lourdes, c’est 5 %, ce qui, sur 6 millions de personnes, fait pas mal de monde », relève Gérard Testard, coordinateur d’Ensemble avec Marie, une initiative de rencontre entre chrétiens et musulmans autour de la fête de l’Annonciation (3) qui a été décrétée jour férié au Liban, justement en raison de la vénération de Marie par les musulmans.
Et même si cette religiosité populaire musulmane n’est pas toujours appréciée d’une partie des responsables de l’islam, « Marie peut être un élément de conciliation entre chrétiens et musulmans », insiste le P. Borrmans. « Si, pour les chrétiens, elle est médiatrice de toutes grâces, avec et par son Fils, le seul médiateur auprès du Père, elle pourrait aussi être médiatrice entre musulmans et chrétiens en tant que modèle parfait de la”soumission confiante” aux désirs de Dieu sur notre commune humanité », explique-t-il, rappelant les méditations du grand islamologue Louis Massignon (1883-1962) pour qui le « fiat » de Marie était l’expression parfaite de « l’islam » entendu dans son sens premier, la« soumission » à la volonté divine.
« Marie est un modèle de foi et de fidélité », résume Gérard Testard, pour qui« prier ensemble avec la Vierge peut être une porte ouverte pour aller plus loin, notamment dans le domaine sociétal ou intellectuel, ou pour travailler ensemble pour la paix ».
Nicolas Senèze
(1) Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Jésus et l’islam (épisode 3), Arte Éditions.
(2) Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, 2009, 23 €.
(3) Fêtée normalement le 25 mars mais qui, cette année, en raison du Vendredi saint puis de l’octave de Pâques, est déplacée au lundi 4 avril.Nicolas Senèze, le 01/04/2016 à 17h36