Père Najeeb : "Sauvons les chrétiens d'Orient et leur mémoire"
Témoignage
Propos recueillis par Sophie Eychenne - publié le 04/05/2016
Le père Michael Najeeb, prêtre dominicain réfugié à Erbil, au Kurdistan, s'est trouvé en plein cœur des violences infligées aux chrétiens d'Irak et de Syrie par les terroristes de l'État islamique. Son témoignage est accablant.
« Les chrétiens d'Orient sont persécutés depuis des décennies. Aujourd'hui, tout le monde sonne l'alerte pour les aider, les sauver, pour les débarrasser de ces musulmans fondamentalistes qui les attaquent. Si l'on peut parler d'un véritable génocide, ce n'est pas contre les chrétiens, mais contre les yézidis. Les membres de cette communauté très ancienne dont l'origine remonte à l'époque akkadienne (XXIVe-XXIIe siècle avant notre ère) sont éliminés et exterminés dans leurs propres villages, leurs propres villes, notamment à Sinjar. Nous avons également été persécutés, mais les minorités originelles de l'Irak ont davantage été martyrisées. Toutes quittent massivement Mossoul, la plaine de Ninive, vers le Kurdistan, qui est devenu leur terre d'accueil.
La violence a brutalement débuté quand Mossoul est tombée entre les mains de Daesh, en juin 2014. Les chrétiens ont été les premières victimes. Le choix leur était donné de se convertir à l'islam, de payer la dîme pour pouvoir rester dans le pays musulman, ou bien de partir. Beaucoup ont préféré payer pour pouvoir vivre et garder leurs biens, leurs terres. Mais finalement, cela leur a été refusé : ils n'avaient plus le choix qu'entre la conversion et la fuite.
Pour les candidats au départ, les forces de Daesh avaient placé des barrages afin de les dévaliser complètement et de ne leur laisser que leurs vêtements. Les terroristes ont pris tout l'argent, l'or, et même les relevés de cadastre de leurs propriétés. Le larcin était poussé à un tel point qu'ils s'emparaient des clés des maisons, en demandant à leur propriétaire où se trouvaient ces habitations, pour ne pas perdre de temps à les chercher avant de les piller.
Comment peut-on à ce point humilier les êtres humains à notre époque ? Nous avons tout perdu. Mais nous avons au moins gardé nos filles, nos femmes, nos enfants. La majeure partie des chrétiens est parvenue à s'échapper, contrairement aux yézidis qui n'ont pas eu cette chance. Plusieurs milliers d'êtres humains ont été massacrés, des femmes ont été enlevées et violées, ainsi que des enfants. Daesh les vend au marché noir. Ils sont devenus les esclaves de cet État. Imaginez que l'on vend des femmes à 20, 50 ou 100 dollars ! Elles sont vendues par dizaines.
Quelle humiliation notre monde est-il en train de subir à cause de ce fanatisme aveugle ? Jusqu'à quand le Kurdistan sera-t-il une terre d'accueil pour toutes ces minorités ? Le problème n'est pas seulement celui des chrétiens et des yézidis : c'est une affaire internationale. Cette violence frappe l'Europe, l'Amérique, le monde entier ! Il faut agir au plus vite pour sauver ces gens originaires de Mésopotamie depuis 2000 ans ou plus.
Il ne s'agit pas seulement de sauver les êtres humains. Nous, frères dominicains, avons essayé de garder leur patrimoine. Ce n'est pas le nôtre, mais celui de l'humanité. Nous avons déjà numérisé plusieurs milliers de manuscrits dans notre Centre numérique des manuscrits orientaux, créé en 1990. Sauver notre héritage, cela signifie sauver l'histoire du peuple, car un peuple sans histoire, sans patrimoine, est un peuple perdu, un peuple mort. Aujourd'hui, nous devons tout mettre en œuvre pour sauvegarder ce patrimoine de l'humanité. Vous avez vu dans les médias comment les forces de Daesh ont démoli ces statues, dont certaines remontent à plusieurs millénaires. Ce pauvre taureau ailé, à Nimrud, deuxième capitale de l'Empire assyrien, a été décapité à coups de marteaux-piqueurs et de tronçonneuses. Tout cela dans le but d'humilier notre histoire et de nous arracher de nos racines.
Il faut dès à présent mettre en place une opération anti-Daesh : continuer à vivre sur place et à bâtir, pour donner un visage nouveau à ce qui a déjà été détruit, mais également protéger le reste. Au plan international, il est très important de stopper l'expansion de Daesh et de contrôler son armée. Je ne pense pas qu'il faille tuer les djihadistes, mais au contraire les libérer de cette violence intérieure. Ce sont de pauvres gens, réduits à l'esclavage après le lavage de cerveau de cette idéologie narcissique et dominatrice, où l'on exclut celui qui est différent.
Nous devons désormais vivre dans une société – en France, en Irak, en Amérique ou partout dans le monde – où l'on accepte que l'autre soit différent de nous. Nous nous enrichissons les uns des autres. La vie humaine doit être respectée. À mon avis, avant de parler religion, nous devons parler être humain. La religion est quelque chose de privé, de personnel. Nous sommes nés humains avant de devenir chrétiens, musulmans, juifs ou athées. Il faut amorcer cette idéologie positive aujourd'hui, vivre ensemble, cohabiter, partager ce que nous avons. Il est nécessaire de s'éloigner de la violence, d'appeler le monde entier à vivre en fraternité et de stopper cette agressivité dès l'enfance. L'éducation est très importante. La violence ne vient pas du ciel. Daesh n'est pas extra-terrestre : la violence et le fondamentalisme lui ont donné naissance. »