Le plan Yinon : l’ordre à partir du chaos…
Le  plan Yinon, qui constitue un prolongement du stratagème britannique au  Moyen-Orient, est un plan stratégique israélien visant à assurer la  supériorité d’Israël dans la région. Il souligne qu’Israël doit  reconfigurer son environnement géopolitique par la balkanisation des  États arabes, soit la division de ceux-ci en États plus petits et plus  faibles.
Les  stratèges israéliens voyaient l’Irak comme l’État arabe représentant  leur plus grande menace stratégique. C’est pourquoi l’Irak a été  caractérisé comme la pièce maîtresse de la balkanisation du Moyen-Orient  et du monde arabe. En Irak, sur la base des concepts du plan Yinon, les  stratèges israéliens ont réclamé la division de l’Irak en un État kurde  et deux États arabes, l’un shiite, l’autre sunnite. La première étape  de ce plan était une guerre entre l’Irak et l’Iran, abordée dans le plan  Yinon. 
En 2006 et en 2008, les publications de l’armée étasunienne Armed Forces Journal et The Atlantic  ont respectivement publié des cartes ayant circulé abondamment et  lesquelles suivaient de près les grandes lignes du plan Yinon. Outre la  division de l’Irak, également recommandée par le plan Biden, le plan  Yinon appelle à la division du Liban, de l’Égypte et de la Syrie. La  partition de l’Iran, de la Turquie, de la Somalie et du Pakistan fait  également partie de cette vision. Le plan Yinon réclame par ailleurs la  dissolution de l’Afrique du Nord et prévoit qu’elle débutera en Égypte  et débordera au Soudan, en Libye et dans le reste de la région.
Protection du domaine : redéfinition du monde arabe…
Bien  que tordu, le plan Yinon est en marche et voit le jour dans « A Clean  Break: A New Strategy for Securing the Realm » (Une nette rupture : Une  nouvelle stratégie pour protéger le domaine), un document de politique  israélienne écrit en 1996 par Richard Perle et le groupe d’étude sur  « Une nouvelle stratégie israélienne vers l’an 2000 » pour Benjamin  Netanyahou, le premier ministre d’Israël à l’époque. Perle était alors  un ancien secrétaire adjoint au Pentagone pour Ronald Reagan et est  devenu par la suite conseiller militaire pour George W. Bush et la  Maison-Blanche. Le groupe d’étude comprenait par ailleurs James Colbert  (Jewish Institute for National Security Affairs), Charles Fairbanks Jr.  (Johns Hopkins University), Douglas Feith (Feith and Zell Associates),  Robert Loewenberg (Institute for Advanced Strategic and Political  Studies), Jonathan Torop (The Washington Institute for Near East  Policy), David Wurmser (Institute for Advanced Strategic and Political  Studies) et Meyrav Wurmser (Johns Hopkins University).
Les  États-Unis réalisent à bien des égards les objectifs précisés dans le  texte de politique israélienne de 1996 visant à protéger le « royaume ».  Par ailleurs, le terme realm, « domaine » ou « royaume », sous-entend la mentalité stratégique des auteurs. Realm  fait soit référence au territoire sur lequel règne un monarque ou aux  territoires soumis à son règne mais gérés et contrôlés par des vassaux.  Dans ce contexte, le terme realm, est utilisé pour signifier que  le Moyen-Orient constitue le royaume de Tel-Aviv. Le fait que Perle, un  homme ayant essentiellement fait carrière comme officiel du Pentagone,  ait contribué à écrire le document sur Israël soulève la question de  savoir si le souverain conceptualisé du royaume représente Israël, les  États-Unis, ou les deux.
Protéger le royaume : L’avant-projet israélien pour déstabiliser Damas
Le  document de 1996 demande de « repousser la Syrie », aux environs de  l’an 2000 ou après, en poussant les Syriens hors du Liban et en  déstabilisant la République arabe syrienne avec l’aide de la Jordanie et  de la Turquie. Ces événements se sont respectivement produits en 2005  et en 2011. Le document indique : « Israël peut modeler son  environnement stratégique en coopération avec la Turquie et la Jordanie,  en affaiblissant, en endiguant et même en repoussant la Syrie. Afin de  contrecarrer les ambitions régionales de la Syrie, les efforts  pourraient viser à expulser Saddam Hussein du pouvoir, un objectif  stratégique en soi important pour Israël [1]. 
Comme  première étape de la création d’un « nouveau Moyen-Orient » dominé par  Israël et encerclant la Syrie, le texte demande de chasser Saddam  Hussein du pouvoir à Bagdad et fait même allusion à la balkanisation de  l’Irak et à la formation d’une alliance stratégique régionale contre  Damas qui comporterait un « Irak central » sunnite. Les auteurs  écrivent : « Toutefois la Syrie entre dans ce conflit avec de  potentielles faiblesses : Damas est trop préoccupé par la nouvelle donne  régionale pour permettre toute distractions sur le front libanais. De  plus Damas craint l’"axe naturel" avec Israël d’un côté, l’Irak central  et la Turquie de l’autre, et la Jordanie, au centre, qui exercerait une  pression sur la Syrie et la détacherait de la péninsule saoudienne. Pour  la Syrie, ce pourrait être le prélude à la reconfiguration de la carte  du Moyen-Orient, ce qui menacerait l’intégrité territoriale du pays  [2] ».
Perle et le groupe d’étude « Nouvelle stratégie  israélienne vers l’an 2000 » recommande également de mener les Syriens  hors du Liban et de déstabiliser la Syrie en utilisant des personnalités  de l’opposition libanaise. Le document dit : « [Israël doit détourner]  l’attention de la Syrie en utilisant des éléments de l’opposition  libanaise pour déstabiliser le contrôle exercé par la Syrie au Liban  [3]. »C’est ce qui arriverait en 2005 après l’assassinat d’Hariri ayant  contribué à déclencher la soi-disant « révolution des cèdres » et à  créer l’Alliance du 14 mars, un groupe farouchement anti-Syrien contrôlé  par le corrompu Saïd Hariri.
Le  document demande par ailleurs à Tel-Aviv de « saisir l’opportunité afin  de rappeler au monde la nature du régime syrien [4] ». Cela convient  parfaitement à la stratégie israélienne consistant à diaboliser ses  opposants par des campagnes de relations publiques. En 2009 des médias  israéliens ont ouvertement admis que, par le biais de ses ambassades et  missions diplomatiques, Tel-Aviv avait lancé une campagne médiatique  mondiale et organisé des manifestations devant les ambassades iraniennes  pour discréditer les élections présidentielles en Iran avant même  qu’elles n’aient lieu [5]. 
L’étude  fait aussi mention de ce qui ressemble à la situation actuelle en  Syrie : « Il va de soi, et c’est le plus important, qu’Israël a intérêt à  appuyer diplomatiquement, militairement et opérationnellement les  actions de la Turquie et de la Jordanie contre la Syrie, comme en  protégeant des alliances avec des tribus arabes à travers le territoire  syrien et hostiles à l’élite dirigeante syrienne [6]. Les  bouleversements de 2011 en Syrie, le mouvement des insurgés et la  contrebande d’armes par les frontières jordanienne et turque sont  devenus des problèmes majeurs pour Damas.
Dans  ce contexte, il n’est pas surprenant qu’Israël, alors dirigé par Ariel  Sharon, ait dit à Washington d’attaquer la Syrie, la Libye et l’Iran  après l’invasion étasunienne de l’Irak [7]. Finalement, il importe de  savoir que le document de 1996 préconise également une guerre préemptive  pour modeler l’environnement géostratégique d’Israël et sculpter le  « nouveau Moyen-Orient » [8]. Il s’agit d’une politique que les  États-Unis adopteraient aussi en 2001.
L’éradication des communautés chrétiennes du Moyen-Orient 
Ce  n’est pas une coïncidence si les chrétiens égyptiens ont été attaqués  au même moment que le référendum sud-soudanais et avant la crise en  Lybie. Ce n’est pas non plus une coïncidence si les chrétiens irakiens,  une des communautés chrétiennes les plus anciennes, ont été poussées à  l’exil, quittant leur patrie ancestrale. L’exode des chrétiens irakiens,  sous le regard attentif des forces militaires étasuniennes et  britanniques, concorde avec la division confessionnelle des quartiers de  Bagdad. Les shiites et les sunnites ont été forcés, par la violence et  les escadrons de la mort, à former des enclaves confessionnelles. Tout  cela est lié au plan Yinon et à la reconfiguration de la région dans le  cadre d’un objectif plus vaste.
En  Iran, les Israéliens ont tenté en vain de faire partir la communauté  juive. La population juive d’Iran est en fait la plus grande du  Moyen-Orient et sans doute la plus ancienne communauté juive du monde à  vivre paisiblement. Les juifs d’Iran se voient comme des Iraniens et  sont liés à ce pays qu’ils considèrent comme leur patrie, au même titre  que les musulmans et les chrétiens iraniens, et, à leurs yeux, le  concept voulant qu’ils aient à se relocaliser en Israël parce qu’ils  sont juifs est ridicule.
Au  Liban, Israël s’est affairé à exacerber les tensions entre les diverses  factions chrétiennes et musulmanes, incluant les druzes. Le Liban est  un tremplin vers la Syrie et la division du Liban en plusieurs États est  également vue comme un moyen de balkaniser la Syrie en plusieurs États  arabes confessionnels de moindre envergure. Les objectifs du plan Yinon  sont de diviser le Liban et la Syrie en plusieurs États sur la base des  identités religieuses sunnite, shiite, druze et chrétiennes. Il est  possible que l’exode des chrétiens de la Syrie fasse aussi partie des  objectifs.
Le  nouveau chef de l’Église maronite, la plus grande Église catholique  orientale autonome, a exprimé ses craintes quant à l’expulsion des  chrétiens arabes au Levant et au Moyen-Orient. Le patriarche d’Antioche,  Mgr Bechara Boutros Rahi, ainsi que bon nombre de dirigeants chrétiens  au Liban et en Syrie, craignent que les Frères musulmans prennent le  contrôle de la Syrie. Comme en Irak, de mystérieux groupes attaquent  actuellement les communautés chrétiennes en Syrie. Les dirigeants de  l’Église orthodoxe, incluant le Patriarcat de Jérusalem, ont eux aussi  exprimé publiquement leurs sérieuses préoccupations. Outre les arabes  chrétiens, ces craintes sont partagées par les communautés assyrienne et  arménienne, à majorité chrétienne.    
Le  cheik Rahi était récemment à Paris où il a rencontré Nicolas Sarkozy.  On rapporte que le patriarche maronite et le président Sarkozy ont eu  des désaccords concernant la Syrie, ce qui a incité Sarkozy à affirmer  que le régime syrien allait s’effondrer. La position du patriarche  maronite était que l’on devait laisser la Syrie tranquille et lui  permettre de se réformer. Mgr Rahi a par ailleurs dit à Sarkozy  qu’Israël devait être considéré comme une menace si la France souhaitait  légitimement que le Hezbollah dépose les armes.
En  raison de sa position en France, Mgr Rahi a immédiatement reçu des  remerciements des dirigeants chrétiens et musulmans de la République  arabe syrienne qui l’ont visité au Liban. Le Hezbollah et ses alliés  politiques au Liban, dont font partie la plupart des parlementaires  chrétiens, ont aussi célébré le patriarche maronite, qui a ensuite fait  une tournée au sud du Liban. 
En  raison de sa position sur le Hezbollah et son refus d’appuyer le  renversement du régime syrien, le cheik Rahi fait maintenant l’objet  d’attaques politiques de la part de l’Alliance du 14 mars, menée par  Hariri. Ce dernier est en train de planifier une conférence des  personnalités chrétiennes pour s’opposer à la position de l’Église  maronite et du patriarche Rahi. Depuis que celui-ci a donné son opinion,  le Parti Tahrir, actif à la fois en Syrie et au Liban, a également  commencé à en faire la cible de critiques. On rapporte par ailleurs que  des officiels étasuniens de haut rang ont annulé leurs rencontres avec  le patriarche maronite en signe de mécontentement envers ses positions  sur le Hezbollah et la Syrie.
L’Alliance  du 14 mars menée par Hariri au Liban, laquelle a toujours été une  minorité populaire (même lorsqu’elle constituait une majorité  parlementaire), travaille de concert avec les États-Unis, Israël,  l’Arabie Saoudite, la Jordanie ainsi que le groupe ayant recours à la  violence et au terrorisme en Syrie. Les Frères musulmans et d’autres  soi-disant groupes salafistes de Syrie ont tenu et organisé des  pourparlers secrets avec Hariri et les partis politiques chrétiens au  sein de l’Alliance du 14 mars. C’est pourquoi Hariri et ses alliés se  sont attaqués au cardinal Rahi. C’est aussi Hariri et l’Alliance du 14  mars qui ont amené Fatah al-Islam au Liban et ont aidé certains de ses  membres à s’enfuir et aller se battre en Syrie.
Des snipers  inconnus ciblent des civils syriens et l’armée syrienne dans le but de  créer le chaos et une lutte interne. Les communautés chrétiennes en  Syrie sont elles aussi ciblées par des groupes inconnus. Les attaquants  sont fort probablement une coalition de forces étasuniennes, françaises,  jordaniennes, israéliennes, turques, saoudiennes, et khaliji (arabe du  Golfe) travaillant avec des Syriens à l’intérieur du pays.
Washington,  Tel-Aviv et Bruxelles planifient un exode des chrétiens du  Moyen-Orient. On rapporte que le président Sarkozy a informé le cheik  Rahi à Paris que les communautés chrétiennes du Moyen-Orient et du  Levant pourront s’établir dans l’Union européenne. Cela n’est pas offert  gracieusement. Il s’agit d’une gifle par les puissances mêmes qui ont  délibérément créé les conditions visant à éradiquer les anciennes  communautés chrétiennes du Moyen-Orient. Il semble que le but soit que  les communautés chrétiennes s’établissent à l’extérieur de la région ou  de délimiter des enclaves. Il est possible que ces deux hypothèses  constituent des objectifs.
Ce  projet vise à délimiter les pays arabes en pays exclusivement musulmans  et est conforme à la fois au plan Yinon et aux objectifs étasuniens  relatifs au contrôle de l’Eurasie. Il pourrait en résulter une grande  guerre. Les Arabes chrétiens ont maintenant bien des choses en commun  avec les Arabes qui sont des Noirs d'Afrique.
Nouvelle division de l’Afrique : le plan Yinon est en pleine marche 
En  ce qui concerne l’Afrique, Tel-Aviv cherche à la protéger car elle la  voit comme une partie plus vaste de sa périphérie. Cette plus vaste ou  soi-disant « nouvelle périphérie » est devenue le fondement  géostratégique de Tel-Aviv après la révolution iranienne de 1979.  Celle-ci a déformé et engendré l’effondrement de « l’ancienne  périphérie » contre les Arabes, qui comprenait l’Iran, et dont les pays  étaient les plus proches alliés d’Israël durant la période Pahlavi. Dans  ce contexte, la nouvelle périphérie d’Israël a été conceptualisée en  incluant des pays comme l’Éthiopie, l’Ouganda et le Kenya contre les  États arabes et la République islamique d’Iran. C’est pourquoi Israël a  été si profondément impliqué dans la balkanisation du Soudan.
Toujours  dans le contexte des divisions confessionnelles au Moyen-Orient, les  Israéliens ont esquissé des plans de reconfiguration de l’Afrique. Le  plan Yinon cherche à délimiter l’Afrique sur la base de trois aspects :  1) l’origine ethnolinguistique, 2) la couleur de peau et enfin 3) la  religion. Afin de protéger le domaine, il se trouve que l’Institute for  Advanced Strategic and Political Studies (IASPS), une boîte de réflexion  israélienne dont Perle faisait partie, faisait également pression en  faveur de la création du Commandement des États-Unis pour l'Afrique  (AFRICOM), une division du Pentagone.
On  tente actuellement d’anéantir le point de convergence d’une identité  arabe et africaine. On cherche à tracer des lignes de division en  Afrique entre une soi-disant Afrique noire et une Afrique du Nord  prétendument « non noire ». Cela fait partie d’un projet visant à créer  un schisme sur le continent entre ce qu’on l’on conçoit comme étant des  « Arabes » et des « Noirs ».
Cet  objectif explique pourquoi on a fait la promotion des ridicules  identités du « Sud-Soudan africain » et du « Nord-Soudan arabe ». C’est  également la raison pour laquelle les Libyens noirs ont été ciblés dans  une campagne visant à « nettoyer » la Libye des gens « de couleur ». En  Afrique du Nord, on détache l’identité arabe de son identité africaine.  On tente simultanément d’éradiquer de vastes populations d’Arabes noirs  afin qu’il existe une nette démarcation entre « l’Afrique noire » et une  nouvelle Afrique du Nord « non noire », laquelle sera transformée en un  champ de bataille entre ceux qui restent, les Berbères et les Arabes  « non noirs ».
Toujours  dans le contexte africain et dans le but de créer des points de rupture  et des délimitations, des tensions sont fomentées entre les musulmans  et les chrétiens dans des pays comme le Soudan et le Nigéria. En  entretenant ces divisions sur la base de la couleur de la peau, de la  religion, de l’ethnicité et du langage, on cherche à alimenter la  dissociation et la désunion. Cela fait partie d’une stratégie africaine  globale visant à séparer l’Afrique du Nord du reste du continent.
Préparation de l’échiquier du « choc des civilisations »
À ce stade-ci, on doit rassembler toutes les pièces et faire les liens entre les événements.
On  prépare l’échiquier pour un « choc des civilisations » et l’on y place  toutes les pièces du jeu. Le monde arabe est sur le point d’être  encerclé et de nettes démarcations se tracent. Celles-ci remplacent les  frontières invisibles entre les différents groupes ethnolinguistiques,  religieux et basés sur la couleur de la peau.
Dans  le cadre de ce plan, il ne peut plus y avoir de mélange entre les  sociétés et les pays. C’est pourquoi les chrétiens du Moyen-Orient et de  l’Afrique de Nord, comme les coptes, sont ciblés. Pour les mêmes  raisons, les Arabes et Berbères noirs, au même titre que d’autres  populations noires, font face à un génocide en Afrique du Nord.
Après  l’Irak et l’Égypte, la Jamahiriya arabe libyenne et la République arabe  syrienne représentent toutes deux des points importants pour la  déstabilisation régionale respectivement en Afrique du Nord et en Asie  du Sud-Est. Ce qui se passe en Libye aura des répercussions en Afrique,  tout comme les événements en Syrie auront des conséquences en Asie du  Sud-Est et ailleurs. Dans le cadre du plan Yinon, l’Irak et l’Égypte ont  servi d’amorces à la déstabilisation de la Libye et de la Syrie. 
On  est en train de créer un « Moyen-Orient musulman », une zone  exclusivement musulmane (excluant Israël), laquelle sera troublée par  les luttes entre shiites et sunnites. Un scénario semblable est mis en  œuvre pour créer une « Afrique du Nord non noire » qui sera caractérisée  par une confrontation entre les dits Arabes et dits Berbères. En vertu  du modèle du « choc des civilisations », on prévoit simultanément un  conflit entre le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord d’un côté, et  l’« Occident » et « l’Afrique noire » de l’autre. 
C’est  pour cette raison qu’au début du conflit en Libye, Nicolas Sarkozy en  France et David Cameron en Grande-Bretagne ont déclaré l’un après  l’autre que le multiculturalisme était mort dans leurs sociétés  ouest-européennes respectives [9]. Le véritable multiculturalisme menace  la légitimité du programme de guerre de l’OTAN. Il représente par  ailleurs un obstacle à l’implantation du « choc des civilisations », qui  constitue la pierre angulaire de la politique étrangère des États-Unis.
À  cet égard, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité  nationale explique pourquoi le multiculturalisme est une menace pour  Washington et ses alliés : « En devenant une société de plus en plus  multiculturelle, il se peut que les États-Unis aient de la difficulté à  créer un consensus sur les questions de politique étrangère [par  exemple, relativement à une guerre contre le monde arabe, la Chine,  l’Iran ou la Russie et l’ancienne Union soviétique], sauf si une grande  partie de la population perçoit une menace extérieure directe de très  grande envergure. Un tel consensus existait de manière générale tout au  long de la Seconde Guerre mondiale et même durant la guerre froide [et  il existe maintenant en raison de la "guerre mondiale au terrorisme"]  [10]. » La phrase suivante de Brzezinski explique pourquoi les  populations s’opposent aux guerres ou les appuient : « [Le consensus]  était enraciné, toutefois, il ne l’était pas seulement dans des valeurs  démocratiques profondément partagées et que le public voyait menacées,  mais aussi dans des affinités culturelles et ethniques avec les  victimes, principalement européennes, de totalitarismes hostiles [11] ».
Au  risque d’être redondant, il faut mentionner une fois de plus que les  chrétiens et les Noirs sont ciblés précisément dans le but de briser ces  affinités culturelles entre, d’une part, la région du Moyen-Orient et  de l’Afrique du Nord, et le monde soi-disant « occidental », et, d’autre  part l’Afrique subsaharienne.
Ethnocentrisme et idéologie : justifier les « guerres justes » d’aujourd’hui
Autrefois,  les puissances coloniales de l’Europe de l’Ouest endoctrinaient leurs  peuples. Leur objectif était d’acquérir un appui populaire pour les  guerres de conquête. Pour ce faire, on prônait l’expansion et la  promotion du christianisme et des valeurs chrétiennes avec le soutien  des marchands armés et des armées coloniales.
Au  même moment, on mettait de l’avant des idéologies racistes. Les peuples  des pays colonisés étaient dépeints comme des « sous-humains », des  inférieurs ou des personnes sans âmes. Finalement, on a utilisé  l’argument de « l’épreuve de l’homme blanc », dont la mission consistait  à civiliser les peuples du monde prétendument « non civilisés ». Ce  cadre idéologique cohésif a été utilisé pour présenter le colonialisme  comme une « cause juste ». Cette dernière a été employée à son tour pour  conférer une légitimité aux « guerres justes », afin de conquérir et de  « civiliser » des terres étrangères.
Aujourd’hui,  les desseins impérialistes des États-Unis, de la France, de la  Grande-Bretagne et de l’Allemagne n’ont pas changé. Ce qui a changé  c’est le prétexte et la justification des guerres de conquête  néocoloniales. Durant la période coloniale, les discours et les  justifications en faveur de la guerre étaient acceptés par l’opinion  publique dans les pays colonisateurs comme la France et la  Grande-Bretagne. Aujourd’hui, les « guerres justes » et les « causes  justes » sont menées sous les bannières des droits des femmes, des  droits humains, de l’humanitarisme et de la démocratie.
Notes
[1]  Richard Perle et al., A Clean Break: A New Strategy for Securing the  Realm (Washington, D.C. and Tel Aviv: Institute for Advanced Strategic  and Political Studies), 1996.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Barak Ravid, "Israeli diplomats told to take offensive in PR war against Iran," Haaretz, June 1, 2009.
[6] Perle et al., Clean Break, op. cit.
[7] Aluf Benn, "Sharon says U.S. should also disarm Iran, Libya and Syria," Haaretz, September 30, 2009.
[8] Richard Perle et al., Clean Break, op. cit.
[9] Robert Marquand, "Why Europe is turning away from multiculturalism," Christian Science Monitor, March 4, 2011.
[10]  Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard: American Primacy and Its  Geostrategic Imperatives (New York: Basic Books October 1997), p.211.
[11] Ibid.
Mahdi Darius Nazemroaya  est sociologue et chercheur associé au Centre de recherche sur la  mondialisation (CRM). Il est spécialiste du Moyen-Orient et de l’Asie  centrale. Il était sur le terrain en Libye durant la guerre. Il vient  d'obtenir le Prix du Club de Presse mexicain à Mexico, le 8 décembre 2011.