L’islamisme au Moyen-Orient : le moment de vérité, par Hélios d'Alexandrie
Dans un entretien que vous pouvez visionner ici, le père Henri Boulad, jésuite au Caire, a dit que la révolution égyptienne connaîtra une 2e phase, celle de la prise de pouvoir par les Frères musulmans.
Le père Boulad ajoute que l'islamisme est un passage obligé, et que cette phase durera plusieurs années avant que ne s’amorce la 3e phase, qu’il appelle la « phase de réalité ».
Hélios d'Alexandrie est plus optimiste. Bien qu'il soit d'accord avec le père Boulad sur l'islamisme comme passage obligé, il estime que cette phase sera de courte durée et que le moment de vérité ne tardera pas à venir.
_________________________Dans un avenir pas très lointain, 2011 apparaîtra comme l’année où l’islamisme a atteint son point culminant, les soulèvements arabes auront permis d’éclaircir le paysage politique et de mettre fin à l’ambigüité.
Soixante ans après le départ des forces coloniales, l’échec du despotisme est flagrant, rien ne l’illustre mieux que le chaos libyen et la fin tragique de Kadhafi. On ne le répétera jamais assez, les régimes arabes oppressifs étaient des régimes islamiques. Les présidents à vie de Tunisie, d’Égypte et de Libye étaient à bien des égards des sultans musulmans, qui se réclamaient de l’islam et qui se targuaient d’en être les champions; l’islam politique ce sont eux qui l’ont incarné et qui l’ont mis en pratique, ils ne se distinguent des islamistes que par le réalisme de leur vision quant à l’étendue du terrain que la religion peut occuper dans une société sans provoquer le chaos. On peut sans risque de se tromper affirmer que l’échec des dictatures arabes c’est l’échec de l’islam politique à visage pragmatique.
N’eut été du déni de la réalité, cet échec aurait pu sonner le glas de l’islamisme. En effet, le slogan des Frères musulmans à l’effet que l’islam est la solution, laisse croire que jusque là l’État, les institutions, les lois et la société ont été mis à l’abri de l’idéologie islamique, or la réalité montre qu’au contraire l’islamisme les imprègne profondément et qu’il est difficile d’imaginer comment on pourrait les islamiser davantage sans aggraver une situation déjà trop compliquée.
Les islamistes qui prendront le pouvoir en Tunisie, en Libye, en Égypte et prochainement en Syrie et au Yémen hériteront de pays fortement islamisés. Certains comme la Tunisie et la Syrie le sont moins que les autres, du moins dans les apparences, ils le sont toutefois en pratique dans la mesure où la tyrannie à laquelle ils étaient soumis avait toutes les caractéristiques d’une tyrannie islamique. Le terrain a été par conséquent bien préparé de telle sorte que les structures établies iront comme un gant aux islamistes. Est-ce à dire que rien ne changera en pratique dans la gouvernance de ces pays ? Cela dépendra de la stabilité que les nouveaux maîtres pourront assurer et du maintien d’un niveau suffisant d’activité économique, ce dont on peut douter à juste titre.
Pour ce qui est de la stabilité politique rien n’est moins sûr : les islamistes bien que très puissants ne peuvent récolter plus de la moitié des suffrages (en Tunisie ils ont obtenu 40 pour cent des voix). Ils ne font pas l’unanimité, qui plus est ce sont les forces laïques qui ont pris l’initiative des révoltes contre les dictatures alors que les islamistes, pour des raisons idéologiques et pratiques y étaient opposés. En effet l’islam interdit la révolte contre le sultan musulman même s’il fait preuve d’injustice et à plus forte raison si sa politique a favorisé la propagation de l’islam. L’opposition aux islamistes se fera donc entendre, le sentiment de s’être fait voler la révolution ne fera que s’accroître à chaque fois que les islamistes prendront des mesures pour rendre permanente leur mainmise sur l’État. L’opposition laïque a donné des preuves de sa non-violence, il est donc à prévoir qu’elle ne sera pas la source de violence ou d’insécurité, mais cela n’empêchera pas les éléments les plus radicaux des islamistes de leur déclarer le jihad en les accusant d’apostasie et en cherchant à les éliminer physiquement par la suite.
L’insécurité s’amplifiera également quand les factions islamistes rivales se disputeront le pouvoir, chacune se réclamant d’une plus grande pureté idéologique ou d’une interprétation plus rigoureuse du coran et de la charia. Il ne faudra pas minimiser le rôle que joueront les différents imams autoproclamés qui du haut de leur chaire télévisuelle lanceront contre leurs rivaux les fatwas et les anathèmes. C’est à cette occasion que les minorités religieuses se trouveront prises entre les feux croisés des factions rivales, ces dernières lasses de se combattre, chercheront à recréer un semblant d’unité en déclarant le jihad offensif contre les mécréants.
En Libye où l’appartenance tribale joue un rôle de premier plan dans l’identité et le sentiment d’appartenance, la répartition des pouvoirs entre les tribus doit nécessairement refléter l’équilibre des forces afin d’assurer la stabilité. Les tribus perdantes de la guerre civile ne se contenteront pas d’une participation symbolique, cependant les factions victorieuses, dont les insurgés affiliés à al Qaeda, réclameront la part du lion n’accordant que des miettes aux perdants. Il s’ensuivra des querelles qui donneront naissance à des conflits armés.
Mais l’instabilité politique et l’insécurité qui l’accompagne ne seront pas les seules plaies qui frapperont ces pays, la situation économique ira de mal en pire. En Tunisie et en Égypte, les revenus du tourisme ont été réduits à une fraction de ce qu’ils étaient dans les années précédentes, or le tourisme occupait le premier rang dans le PIB, des centaines de milliers d’emplois en dépendaient. L’effondrement du tourisme est la cause de la disparition d’une foule d’emplois bien rémunérés avec des conséquences économiques graves pour ces deux pays. À la baisse des revenus des états s’ajoutera l’augmentation inévitable de la dette et des montants d’argent versés en intérêts. La réduction prévisible de la cote de crédit de ces pays pourrait les conduire à la banqueroute.
Mais le pire reste à venir, la récession qui frappe les économies occidentales aura des répercussions dramatiques sur les pays arabes. L’aide économique d’origine européenne s’en trouvera réduite, les exportations vers l’Europe diminueront, les revenus en devises étrangères chuteront, il s’avérera plus difficile d’importer des denrées alimentaires de première nécessité en quantité suffisante pour nourrir les populations, le chômage, la précarité et la malnutrition augmenteront et les gouvernements qui auront à gérer la crise, ne trouveront pas mieux, pour détourner la colère des foules, que d’accuser les ennemis de l’islam des malheurs qui les frappent.
Les islamistes prendront le pouvoir au moment le moins favorable alors qu’ils n’y sont pas préparés et qu’ils n’y voient que l’occasion d’imposer leur idéologie et leur vision du monde. Ils croient pouvoir sans conséquences fâcheuses substituer leur tyrannie à celle qui l’a précédée comme s’il s’agissait d’une solution originale ou d’une avenue qui n’a jamais été explorée. Pour eux le moment de vérité approche inexorablement. Ils sont encore loin de réaliser que l’échec des dictatures a déjà scellé leur sort, et qu’ils ne pourront faire autrement que démontrer la faillite de leur idéologie et de leur vision du monde.