La Russie veut soutenir les chrétiens  d’Orient dans leur ensemble, catholiques et orthodoxes réunis, devant ce  qui semble être une posture incertaine de l’Église catholique. En  effet, le patriarche d’Antioche et de tout l’Orient maronite, en  tentant de donner du temps au régime syrien de Bachar el Assad, s’est  fait attaquer par toutes les chancelleries occidentales, et notamment  par le président français Nicolas Sarkozy lui-même. Il n’a pas  reçu de véritable soutien du Vatican. La position du Vatican s’explique  par beaucoup d’hésitations. Certains sont plutôt pour un engagement  ferme des chrétiens d’Orient, de plus en plus de laïques devant  l’attitude frileuse du Vatican, d’autres arguent qu’il est impossible de  secourir le monde entier… Benoît XVI a évoqué ce sujet à plusieurs  reprises, il était dans son rôle et n’a pas été repris par les médias. Moscou  a voulu s’insérer dans la brèche, sachant que les chrétiens de Syrie  craignent la chute du régime et l’arrivée au pouvoir des Frères  musulmans à l’instar de ce qui s’est passé en Libye et qui pourrait  également arriver en Tunisie. Malgré le fait qu’un dirigeant  historique de l’opposition syrienne Michel Kilo soit lui-même chrétien,  l’atomisation des partis d’opposition laïques en Syrie rend en effet les  Frères musulmans maîtres du terrain.
Mais  la Russie n’a pas attendu les événements de Syrie pour faire de la  chrétienté d’Orient en général, et de l’orthodoxie en particulier, une  diplomatie parallèle. Forts d’une communauté orthodoxe grecque  majoritaire parmi les chrétiens en Syrie, et également fortement  présente au Liban (13% environ), les Russes avaient déjà entamé depuis  le début du troisième millénaire une approche communautaire de ces  populations. Leur importance n’est pas à négliger, puisqu’il s’agit des  notables des grandes îles du Proche-Orient, qui détiennent une bonne  partie du pouvoir économique. De plus, la Russie a maintenu des contacts  étroits avec les orthodoxes émigrés sous prétexte de judaïté en Israël.  Ils disposent d’ailleurs d’une télévision ainsi que de deux quotidiens à  Ashdod. Les Russes ont également des relations très étroites avec des  orthodoxes grecs, naturellement, mais également chypriotes. A travers cette diplomatie parallèle, Moscou a réussi, en une décennie, à se réimplanter en Méditerranée orientale.  De plus, l’existence d’une poche de gaz importante au large de la  Palestine, d’Israël et du Liban, donne également l’occasion à la Russie,  et particulièrement à son bras économique Gazprom, de s’installer  durablement, à travers ses réseaux et ses contacts, dans cette partie du  monde.
Pour toutes ces raisons, et également  parce que le siège du patriarcat grec orthodoxe, d’Antioche et de tout  l’Orient, se trouve à Damas, les Russes estiment qu’ils sont  incontournables dans la défense des chrétiens d’Orient, d’autant que  l’Occident, et notamment la France, à laquelle était naturellement  dévolue ce rôle, semble y avoir renoncé : la France a libéré la  Libye de Kadhafi pour la livrer au chaos tribal et régional, en  défendant la population de Benghazi, mais en laissant massacrer celle de  Syrte, laissant le chemin libre à l’Islamisme. Le départ du  régime Assad, haï dans toute la région, entraînerait par ailleurs une  communautarisation de la Syrie, ce qui ne manquerait pas d’avoir des  conséquences directes au Liban, où la partition du pays des cèdres  serait institutionnalisée.
A telle enseigne que la visite de l’ambassadeur de France aux communautés chrétiennes de Syrie s’est faite sous les drapeaux russes,  ce qui montre à quel point la peur des chrétiens est réelle, et à quel  point surtout ils sont prêts à tendre la main à quiconque prétend les  protéger.
Le renoncement de la France semble  s’être fait dans le cadre d’un choix plus tactique que stratégique,  visant le pétrole de Libye et la reconstruction du pays, et espérant, à  travers l’opposition syrienne, s’établir fortement dans le  Proche-Orient. Les Etats-Unis, plus cyniques, -d’aucuns pragmatiques-,  disent déjà à haute voix qu’il ne peut y avoir d’avenir pour les  chrétiens en Orient et que ces derniers feraient bien d’émigrer vers les  pays occidentaux. Leur pragmatisme est conforté par le fait que la  majorité des chrétiens, notamment au Liban, disposent déjà d’une double  nationalité, d’un double passeport. Mais certains dirigeants  chrétiens, en Egypte, en Syrie et au Liban, ne cachent pas leur amertume  devant l’attitude franco-américaine, et préfèrent rappeler ce  qu’un ancien dignitaire religieux, le patriarche maronite Pierre-Antoine  Arida, avait l’habitude de dire : "Notre destin de chrétien  d’Orient n’est-il pas de vivre en permanence au bord du précipice, en  luttant toute notre vie pour ne jamais y sombrer ?"
Nul ne peut jouer au prophète, surtout dans cette région du monde. Il serait donc maladroit de se risquer à parler d’avenir. Une  chose demeure réelle : sans les chrétiens, la Syrie, le Liban, la  Jordanie, la Palestine ou l’Egypte, ne seraient plus que des pays arabes  comme les autres.