« Le Monde syriaque, sur les routes d'un christianisme ignoré », de Françoise Briquel Chatonnet et Muriel Debié : plus de 100 illustrations, 11 cartes en couleurs, une chronologie et de nombreuses citations de différentes époques, dans un ouvrage sans précédent.
Fady NOUN | OLJ
18/12/2017
18-12-2017
Tout l'Orient fut un jour syriaque, une culture qui rayonna jusqu'en Chine. En fait, on l'oublie souvent, le syriaque est à côté du latin et du grec la troisième composante du christianisme ancien. C'est le génie de cette immense culture et de cette langue que nous restitue l'ouvrage à la fois savant et abondamment illustré proposé par les éditions Les Belles Lettres : Le Monde syriaque, sur les routes d'un christianisme ignoré. L'ouvrage est signé par deux grandes spécialistes de cette culture, l'épigraphiste de renommée internationale Françoise Briquel Chatonnet et Muriel Debié. Ces auteures ont fait le déplacement jusqu'au Salon du livre de Beyrouth pour présenter leur ouvrage, destiné à combler un oubli. Le stand des prestigieuses éditions Geuthner a bien voulu mettre ses rayons à leur disposition.
Le syriaque. Voici une langue qui se forme, s'enrichit et devient langue « classique » à Édesse, géographiquement située aux frontières de la Syrie et de la Turquie actuelles, autour du IIe siècle. La christianisation de l'Orient fit la fortune de cette forme d'araméen qui devint langue de culture majeure en Syrie-Mésopotamie et, avec les apôtres Thaddée (Addaï en syriaque) et Thomas, parvint aux confins de l'Orient ; son apogée se situe entre la fin de l'Empire romain à la conquête arabe. Le christianisme syriaque fit historiquement le pont entre la civilisation hellénique et l'islam, auquel il transmit un patrimoine de connaissances philosophique, littéraire et scientifique inestimables. Cette langue ne sera supplantée qu'à la fin du XIIIe siècle, par une autre langue qui nous est familière : l'arabe.
Le syriaque. Voici une langue qui se forme, s'enrichit et devient langue « classique » à Édesse, géographiquement située aux frontières de la Syrie et de la Turquie actuelles, autour du IIe siècle. La christianisation de l'Orient fit la fortune de cette forme d'araméen qui devint langue de culture majeure en Syrie-Mésopotamie et, avec les apôtres Thaddée (Addaï en syriaque) et Thomas, parvint aux confins de l'Orient ; son apogée se situe entre la fin de l'Empire romain à la conquête arabe. Le christianisme syriaque fit historiquement le pont entre la civilisation hellénique et l'islam, auquel il transmit un patrimoine de connaissances philosophique, littéraire et scientifique inestimables. Cette langue ne sera supplantée qu'à la fin du XIIIe siècle, par une autre langue qui nous est familière : l'arabe.
Touroyo
Mais le syriaque ne mourra pas. Il reste aujourd'hui langue parlée, et donc langue vivante, dans certaines régions d'Orient et dans certaines couches sociales. Nous en avons des exemples au Liban ou en Syrie. Ainsi, dans le village syrien de Maaloula, l'araméen, « la langue du Christ », un dialecte syriaque, est toujours parlé couramment. À Beyrouth, il n'est pas rare d'entendre le touroyo, le dialecte de Tour-Abdin, dans les boulangeries et les épiceries du quartier de la capitale dit syriaque. En montagne, de nombreux villages chrétiens gardent des traces vivaces de leur passé syriaque, soit dans leurs noms, soit dans la toponymie de leurs quartiers et reliefs environnants. Le nom du Liban lui-même est d'origine syriaque, puisqu'il provient des mots Tour Levnon, qui signifient Mont-Liban, le terme levnon signifiant blanc en sémitique ancien.
Le dialecte libanais dominant est, à son tour, fortement influencé par le parler syriaque, et utilise couramment des voyelles qui n'existent pas en arabe. Ainsi, le « é » dans le mot béb (porte) devrait se prononcer en arabe classique bab. De même, en libanais, les verbes peuvent commencer par une consonne sans accent (skoun), alors qu'en arabe, cela ne se fait pas. C'est ainsi qu'en libanais on dit Ftah el-béb (ouvre la porte), une injonction qu'en arabe il faut prononcer Iftah el-bab.
Le dialecte libanais dominant est, à son tour, fortement influencé par le parler syriaque, et utilise couramment des voyelles qui n'existent pas en arabe. Ainsi, le « é » dans le mot béb (porte) devrait se prononcer en arabe classique bab. De même, en libanais, les verbes peuvent commencer par une consonne sans accent (skoun), alors qu'en arabe, cela ne se fait pas. C'est ainsi qu'en libanais on dit Ftah el-béb (ouvre la porte), une injonction qu'en arabe il faut prononcer Iftah el-bab.
Karshouni
Par ailleurs, l'usage de cette langue est resté vivace comme langue liturgique dans certaines Églises orientales (Église maronite, Église syriaque-orthodoxe, Église syriaque-catholique). Avec la popularisation de l'arabe, le syriaque résista d'abord comme langue écrite. C'est ainsi qu'apparut le karshouni, l'arabe écrit avec des lettres syriaques. Plus tard, dans les séminaires, l'apprentissage du syriaque devint obligatoire. Aujourd'hui, à l'heure de la redécouverte des Églises orientales en péril et de leur patrimoine, il n'était pas indifférent de transmettre leurs trésors et leur vitalité dans des ouvrages destinés à mieux les faire connaître, comme celui que proposent les éditions Les Belles Lettres.
Le livre sera particulièrement utile aux historiens. Entre empires, royaumes et traditions religieuses, il couvre pratiquement deux mille ans d'histoire. Interrogées au Salon du livre par le public, ses deux auteures devaient préciser justement que cette langue de culture majeure « n'a été la langue ni d'un État ni d'un peuple particulier au sens ethnique ou national, mais la langue d'une culture de contact et de métissage ». Toutefois, elle a pu devenir une sorte de langue refuge quand, voulant se différencier de leur environnement arabo-musulman, certaines cultures, certains peuples s'y sont attachés comme marqueur identitaire ou, disons, supplément de richesse. Cette dimension identitaire de la langue et de la culture syriaques se manifeste avec un éclat particulier avec le génocide ottoman de 1915, dit sayfo en syriaque, ainsi que dans la diaspora.
Abondamment et richement illustré, et c'est l'un de ses charmes, le livre se feuillette autant qu'il se lit, et avant même de se lire. En fait, la meilleure introduction à sa lecture reste les illustrations qui l'accompagnent presque à chaque page, ainsi que des encarts et citations d'époque. Du mandylion d'Édesse, sur lequel s'imprima, selon la tradition, le visage du Christ à... l'album Tintin en Amérique en syriaque, cet ouvrage exceptionnel invite à la découverte de plus de 2 000 ans d'histoire et de culture syriaques. Un beau cadeau pour les fêtes.
Le livre sera particulièrement utile aux historiens. Entre empires, royaumes et traditions religieuses, il couvre pratiquement deux mille ans d'histoire. Interrogées au Salon du livre par le public, ses deux auteures devaient préciser justement que cette langue de culture majeure « n'a été la langue ni d'un État ni d'un peuple particulier au sens ethnique ou national, mais la langue d'une culture de contact et de métissage ». Toutefois, elle a pu devenir une sorte de langue refuge quand, voulant se différencier de leur environnement arabo-musulman, certaines cultures, certains peuples s'y sont attachés comme marqueur identitaire ou, disons, supplément de richesse. Cette dimension identitaire de la langue et de la culture syriaques se manifeste avec un éclat particulier avec le génocide ottoman de 1915, dit sayfo en syriaque, ainsi que dans la diaspora.
Abondamment et richement illustré, et c'est l'un de ses charmes, le livre se feuillette autant qu'il se lit, et avant même de se lire. En fait, la meilleure introduction à sa lecture reste les illustrations qui l'accompagnent presque à chaque page, ainsi que des encarts et citations d'époque. Du mandylion d'Édesse, sur lequel s'imprima, selon la tradition, le visage du Christ à... l'album Tintin en Amérique en syriaque, cet ouvrage exceptionnel invite à la découverte de plus de 2 000 ans d'histoire et de culture syriaques. Un beau cadeau pour les fêtes.
Pour mémoire