L'Orient Le Jour 13/7/2016
« C'est un appel au secours discret mais réel » que le patriarche maronite a lancé hier en direction de la France, par l'intermédiaire du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, estiment des sources proches de Bkerké. Un appel qui ne diffère pas, fondamentalement, de celui que le chef de l'Église maronite a déjà adressé, à diverses reprises, au président François Hollande, qu'il a encore rencontré en avril dernier au Liban et de nouveau le 9 mai à Paris.
« Aidez le Liban de toutes les manières possibles à rester lui-même, un modèle de pluralisme et de tolérance, faites tout pour l'aider à dissocier l'élection présidentielle au Liban du conflit qui déchire la Syrie et de la mortelle rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite », dit en substance cet appel selon ces sources.
Mais la demande est faite avec la tragique conscience qu'il est peut-être trop tard. Ce quasi-désespoir filtre dans le discours adressé par le patriarche au ministre français : « Il faut reconnaître cependant qu'ils (les groupes et blocs parlementaires libanais) sont déjà dépassés par les interférences régionales. »
L'amertume du patriarche se reflète aussi dans la partie de son mot consacrée aux richesses pétrolières et gazières du Liban qui, dit-il, sont « déjà en voie de spoliation », cette vérité étant laissée en demi-teinte, sans précision sur la partie responsable de cette spoliation : Israël, qui empiète sur notre zone économique exclusive, ou des acolytes libanais qui s'apprêtent à se partager le gâteau. Le patriarche a déjà dénoncé en termes criants la corruption interne de la classe politique libanaise en cette époque de relâchement total de l'autorité centrale de l'État, et il n'est pas impossible que cette ambiguïté soit voulue.
Désertification culturelle de l'Orient
Pourtant, le patriarche ne semble pas vouloir désespérer totalement de la communauté internationale. Le voilà réclamant en effet l'extension de la mission de protection de la Finul aux frontières orientales du Liban. Du relativement nouveau, au moins dans la forme publique que revêt cette demande.
« Église maronite, Église orientale », a encore souligné le patriarche qui revendique « avec ses frères (...) une responsabilité pastorale qui s'étend à tous les pays du Moyen-Orient. Avec ces mots discrets, mais fraternels, le patriarche a de nouveau situé la crise libanaise dans son espace géopolitique, plaçant du coup la France devant une responsabilité aux dimensions de la région et même de l'histoire, tant les enjeux actuels sont porteurs de conséquences lointaines sur l'avenir de la région, avec un risque réel de « désertification culturelle » de l'Orient.
C'est entouré du catholicos de la Maison de Cilicie, Aram Ier, du patriarche des arméniens-catholiques, Grégoire Gabroyan, du chef de l'Église évangélique, le Rév. Salim Sahyouni et de représentants de tous les patriarches orientaux que le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, a accueilli hier le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, à Bkerké. En guise de témoins, le nonce apostolique et l'ambassadeur de France, Gabriele Caccia et Emmanuel Bonne. Après un tête-à-tête dans le cabinet personnel du patriarche, les deux hommes ont regagné le grand salon où le patriarche a prononcé un mot dont nous reproduisons ci-dessous de larges extraits :
Une France si proche
« Nous nous réjouissons tous que La France en votre personne se fasse si proche de nous, en ces temps critiques que traversent le pays des Cèdres et la région moyen-orientale (...). Nous rappelons avec gratitude aussi ce que la France a pu faire pour aider le Liban dans les dernières décennies (...). Nous apprécions au plus haut point son engagement dans la Finul depuis son déploiement en 1978 au Liban-Sud et nous verrons plutôt d'un bon œil l'extension du service de protection de cette force aux frontières orientales de notre pays.
Votre visite, Monsieur le Ministre, s'inscrit dans le même registre d'attention au Liban. Vous avez déjà manifesté la préoccupation de la France concernant la persistance de la vacance à la tête de l'État depuis plus de deux ans, et la crise politique et institutionnelle dans notre pays (...). Vous avez évoqué aussi les différents contacts avec les responsables iraniens et saoudiens, visant à une sortie de crise et l'élaboration, par les Libanais, d'une solution. Tout en affirmant que les groupes politiques et parlementaires libanais ne peuvent guère abdiquer de leur responsabilité propre en ce domaine, il faut reconnaître cependant qu'ils sont déjà dépassés par les interférences régionales, jusqu'à lier l'élection présidentielle à l'issue du conflit en cours en Syrie et à celui entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Il faut absolument dissocier l'élection présidentielle de ces conflits qui pourraient durer longtemps. »
Un trésor en voie de spoliation
« (...) Actuellement, le Liban a besoin de réédifier les structures de son État pluriel et libre loin de la corruption régnante ; il a besoin de trouver une issue digne au flot de migrants syriens et de réfugiés palestiniens qui l'inonde ; il a besoin d'exploiter dans la transparence le trésor caché, mais déjà en voie de spoliation, de ses richesses naturelles en gaz et en pétrole.
Par ailleurs, avec mes frères les chefs des Églises, notre responsabilité pastorale s'étend à tous les pays du Moyen-Orient et nous partageons les souffrances et les humiliations de nos fidèles en Irak, en Syrie, en Palestine et dans toute la région. Nous sollicitons la communauté internationale pour mettre fin aux guerres et aux actes terroristes qui déchirent nos pays (...). Il nous importe beaucoup de sauvegarder et renforcer la présence chrétienne bimillénaire dans la région. »
À ce discours, le ministre français a répondu par les réflexions suivantes : « Le Liban est un message, il incarne la liberté, le respect, l'équilibre entre les communautés et les composantes du peuple libanais (...). Le Liban peut être un modèle, à condition qu'il parvienne à régler tous les problèmes politiques qu'il affronte. Je suis venu dans une tentative d'offrir une aide pour régler ce problème, pour que les Libanais soient en mesure d'élire un président de la République (...). Tout le monde doit contribuer aux efforts déployés pour régler la crise libanaise et préserver ce modèle.
J'ai dit que la France ne décide pas au nom des Libanais, mais joue le rôle de facilitateur (...). Le parcours singulier du Liban doit être protégé. Voilà le message que je porte (...). »
Lire aussi