II.- Réveil islamo-arabe, entité et neutralité du Liban
Comment le Liban de 1943, qui a toujours représenté un exemple spécifique et original dans un Orient uniforme et unicommunautaire, va-il pouvoir continuer à défendre son entité face à ce réveil islamo-arabe et perdurer malgré toutes les pressions et les secousses qui ont fait suite à la guerre de 1975 et à ses prolongements à ce jour ? Pourra-t-il résister à cette nouvelle vague déferlante et aux options stratégiques en gestation des décideurs internationaux et régionaux ? Comment ses leaders vont-ils agir pour maintenir une cohésion nationale et continuer à respecter les obligations contractuelles qui lient entres eux tous les partenaires de la « sigha », surtout après la création par l'Iran d'une branche armée de la wilayet al-faqih au Liban au travers du Hezbollah, et l'action de mainmise progressive et systématique de ce dernier sur l'État libanais et ses institutions, et plus récemment celle de son intervention militaire directe en Syrie auprès du régime de Bachar el-Assad dans sa guerre intérieure contre son peuple ?Beaucoup de questions qui malheureusement risquent de rester sans réponses certaines, tout au moins dans un avenir proche. (voir L'Orient-Le Jour du mardi 11 mars 2014).
Mais en tout état de cause, l'Occident se doit, au travers de cette évolution, de corriger ses objectifs et de lire attentivement le mouvement irréversible amorcé par certains peuples d'Orient dans leurs relations indéfectibles avec leur religion et ses implications socioéconomiques. Il lui faut rester vigilant vis-à-vis des choix stratégiques qu'il y adoptera. Entre une homogénéisation communautaire (et non une harmonisation) et le maintien de la pluralité intercommunautaire, le choix le plus facile et le plus pragmatique pour lui irait vers la première option, mais c'est certainement la seconde qui pourrait garantir à moyen et long terme sa stabilité et celle du monde libre.
Le Liban est d'ailleurs l'exemple vivant de ce second choix (jusqu'à maintenant...), sa dilution ou son effondrement éventuels devraient représenter pour l'Occident un signal d'alarme. Ce dernier doit en effet se mobiliser pour le maintenir en vie malgré toutes les tempêtes qui le secouent. D'autant que le Liban du vivre-ensemble tel qu'institué en 1943 a été un des premiers membres constituants et actifs de la Ligue arabe et respecté par tous, malgré et à cause de sa diversité. Les USA, de par leurs responsabilités de leader mondial, devraient – pour ces mêmes raisons et malgré leur alliance avec Israël et ses intérêts géostratégiques régionaux, suivis en cela par l'Union européenne qui, elle aussi, a des intérêts économiques et des relations historiques très anciennes dans la région – veiller à défendre et à garantir l'existence et l'indépendance de cette entité libanaise, sa « sigha » et sa souveraineté nationale, et garantir sa perduration grâce, pourquoi pas, à la reconnaissance de sa neutralité permanente*.
Le respect des grands décideurs du globe pour les spécificités, les moyens et la souveraineté des nations les plus vulnérables, et non leur asservissement, devrait se généraliser, sinon la paix dans le monde serait continuellement en péril. C'est grâce à l'application de ce modèle relationnel que le réveil islamo-arabe, amorcé dans la seconde moitié du siècle dernier, pourrait à la fin de son parcours international devenir lui aussi porteur de paix et de respect pour les autres religions et cultures.
Ce n'est certainement pas sans raison que le pape Jean-Paul II avait qualifié le pays du Cèdre de « terre message ». Il y avait vu en effet un exemple vivant de paix, de tolérance et de cohabitation entre les religions et les cultures. À travers sa grande sagesse, le Saint-Père anticipait, par cette métaphore, les modalités qui devraient régir les relations entre les peuples et les États et la nécessité de cohabiter entre eux de la même façon qu'au Liban, en respectant eux aussi les croyances et les libertés de chacun et surtout ses droits à être différent.
*Ce statut, s'il était agréé, ne saurait en aucun cas remettre en question la position internationale du Liban vis-à-vis d'Israël.
Envoyé de mon Ipad