Un rôle pour les chrétiens
 OLJ -12/03/2012
La chronique de Nagib Aoun
 Faut-il avoir peur des islamistes ? Redouter leur montée en puissance, 
leur force de persuasion, de séduction, auprès de populations longtemps 
brimées, longtemps assujetties au bon plaisir du prince? Est-il normal 
de crier déjà à l’imposture, alors que les jeux sont loin d’être faits 
et que tout reste encore à inventer? Est-il seulement acceptable que des
 voix s’élèvent pour défendre l’indéfendable, pour regretter, à mots 
même pas couverts, la chute des dictateurs, « ceux qui maintenaient 
l’ordre et la discipline, les libertés dussent-elles être un peu 
égratignées » ? 
Égratignées ? Ah le vilain mot, l’hypocrite mot qui 
veut nous faire croire que les dizaines de milliers, les centaines de 
milliers de détenus d’opinion dans le monde arabe étaient logés dans des
 hôtels de luxe et ne croupissaient pas dans les geôles les plus 
infâmes. Hypocrite mot qui veut insinuer qu’il vaut mieux vivre sous la 
botte du dictateur et fermer sa gueule que de courir le risque de voir 
arriver des hordes d’islamistes hirsutes déterminés à en découdre avec 
tous ceux qui pensent différemment.
Tunisie, Égypte, Libye : 
d’insurrections en processus électoral, d’une liberté arrachée dans la 
violence à la vérité issue des urnes, la voie a été ouverte, en toute 
logique, aux catégories les plus humiliées, les plus malmenées des 
populations, celles qui ont longtemps ruminé leur vengeance, leur soif 
de justice. Que les islamistes aient été les grands bénéficiaires des 
bouleversements survenus dans ces pays, il n’y a là rien de surprenant :
 c’est la politique répressive des régimes abattus, la violence 
criminelle pratiquée à l’encontre des voix dissidentes, qui ont 
fertilisé le terreau islamiste, l’ont rendu populaire auprès des couches
 défavorisées de la société.
De toute évidence, et dans une 
continuité historique, le régime syrien n’a rien appris des événements 
survenus dans les pays du printemps arabe. En recourant à la terreur, à 
la violence aveugle contre la révolte populaire, il creuse sa propre 
tombe, celle que les islamistes honnis se feront un plaisir d’enfouir 
dix pieds sous terre. Non pas que ces derniers soient le vrai moteur de 
l’insurrection, mais ils sont ceux qui ont été les plus pourchassés, les
 plus réprimés, donc les plus déterminés à en finir avec le tyran.
La
 communauté internationale en continuant à tergiverser, à se laisser 
ligoter par les niet russe et chinois, pousse elle-même à la roue, 
facilite la montée en puissance des extrémistes, ceux qui n’ont plus 
rien à perdre et tout à gagner dans la militarisation du mouvement.
Faut-il
 donc avoir peur des islamistes ?
 La question est pertinente, mais elle 
est, aussi, dérangeante pour la simple raison qu’elle est inévitablement
 associée au processus démocratique. C’est par les urnes que les 
islamistes sont arrivés au pouvoir en Tunisie, en Égypte et au Maroc, 
c’est par les urnes qu’ils auront probablement une place de choix dans 
la Syrie de demain.
Après les dictatures, les théocraties ?
 Inenvisageable, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, à ceux qui 
lorgnent du côté des tyrans, ou qui préfèrent « l’ordre qui règne » sous
 la férule du potentat à une liberté balbutiante qui essaie de se frayer
 un chemin dans un champ de mines.
Inenvisageable, parce que la 
planète est désormais un grand village, que les idées circulent à la 
vitesse du son et qu’aucun pays ne peut se permettre de vivre en totale 
autarcie, éloignée des réalités du monde. Ce n’est évidemment pas 
l’instauration de la charia qui permettra aux révolutionnaires de manger
 à leur faim, ce n’est évidemment pas l’avènement d’un pouvoir soumis 
aux religieux qui ramènera les touristes en Égypte et en Tunisie... et 
plus tard en Syrie.
Sans oublier que l’écrasante majorité de la 
population arabe est jeune, peu encline à se soumettre à une dictature 
encore plus rétrograde que celle qu’elle a balayée et qu’elle est 
naturellement ouverte aux idées en provenance d’un étranger qu’on veut 
absolument diaboliser.
Les Arabes chrétiens ont, à cet égard, un rôle
 essentiel à jouer. Tout comme les coptes d’Égypte qui se sont dressés 
avec force contre l’islamisme agresseur, participant en même temps à la 
révolte contre la dictature de Moubarak, les chrétiens de Syrie sont 
appelés aujourd’hui à se réconcilier avec l’histoire en marche. Ce n’est
 pas en tournant le dos à la révolution, en restant pendus aux basques 
d’un régime moribond, qu’ils se forgeront un espace dans la Syrie de 
demain, une place qui leur permettra d’avoir leur mot à dire dans le 
façonnement de l’avenir.
Un rôle que leurs coreligionnaires libanais 
ont assumé avec succès, tout au long de leur histoire, et dont ils 
gagneraient à s’inspirer...