Arabes du Christ


" الهجرة المسيحية تحمل رسالة غير مباشرة للعالم بأن الإسلام لا يتقبل الآخر ولا يتعايش مع الآخر...مما ينعكس سلباً على الوجود الإسلامي في العالم، ولذلك فإن من مصلحة المسلمين، من أجل صورة الإسلام في العالم ان .... يحافظوا على الوجود المسيحي في العالم العربي وأن يحموه بجفون عيونهم، ...لأن ذلك هو حق من حقوقهم كمواطنين وكسابقين للمسلمين في هذه المنطقة." د. محمد السماك
L'emigration chretienne porte au monde un message indirecte :l'Islam ne tolere pas autrui et ne coexiste pas avec lui...ce qui se reflete negativement sur l'existence islamique dans le monde.Pour l'interet et l'image de l'Islam dans le monde, les musulmans doivent soigneusement proteger l'existence des chretiens dans le monde musulman.C'est leur droit ..(Dr.Md. Sammak)
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dimanche 8 avril 2012

Les chrétiens de Syrie divisés face au régime el-Assad

Les chrétiens de Syrie divisés face au régime el-Assad
Le Figaro , 8/4/2012
Par Perre Prier
À l'approche de Pâques, de jeunes catholiques défient leurs évêques et dénoncent la répression en cours.
Membre de la communauté assyrienne, cet ancien conseiller de Bachar el-Assad est devenu l'un de ses plus farouches opposants. Il vit aujourd'hui en exil. Selon lui, l'initiative de la fête de Pâques commune a été lancée par un mouvement de jeunes chrétiens à l'intérieur de la Syrie, nommé «Jeunesse de la résurrection unifiée». Mais l'idée ne semble pas être accueillie favorablement par les hiérarchies. Les différents patriarcats catholiques affirment que Pâques sera bien fêté ce dimanche. Le patriarcat grec catholique de Damas reconnaît pourtant que des paroisses ont demandé «à titre individuel» de se joindre la semaine prochaine aux Églises orthodoxes.
L'engagement des dignitaires
Ces demandes émanant de la base traduisent la division des chrétiens syriens, entre une hiérarchie souvent très proche du régime, une frange militante opposée au dictateur et, au milieu, une masse attentiste qui redoute les conséquences de l'arrivée au pouvoir de la majorité musulmane sunnite.
Le pouvoir y voit un intérêt politique évident. Issu lui aussi d'une minorité, les alaouites, secte, aux marges de l'islam, il s'appuie sur les autres minorités, comme les chrétiens (environ 7 % des Syriens) face à la majorité sunnite.
Les chefs religieux chrétiens ont choisi leur camp. Le refus des autorités fidèles à Rome de changer la date de Pâques apparaît d'autant plus politique qu'elles ont elles-mêmes sollicité ce changement auprès du Pape. L'unification des fêtes catholiques et orthodoxes figure en bonne place dans les propositions du synode des évêques d'Orient, qui s'est tenu en 2010. Benoît XVI doit leur répondre dans sa prochaine exhortation apostolique, en septembre au Liban.
Les pâques syriennes éclairent d'un jour cru l'engagement de nombreux dignitaires chrétiens aux côtés du régime. Non seulement aucun d'entre eux n'a protesté contre les massacres de civils par les troupes du pouvoir, mais ils adoptent souvent la version officielle des événements, qui attribue la révolte à un complot international. Ainsi le métropolite grec-catholique d'Alep, Mgr Jean-Clément Jeanbart, affirmait récemment: «Nous voyons l'Occident s'acharner contre notre président.»Les morts, selon lui, sont tous victimes de «la terreur des groupes islamistes armés» - slogan repris de la propagande officielle. «Plusieurs milliers de civils innocents et de militaires ont été victimes de la haine de ces groupes», ajoute l'évêque.
Lettre ouverte
Des voix s'élèvent dans les communautés chrétiennes pour refuser cette alliance, et pour nier le caractère confessionnel de la révolution. Dans sa lettre ouverte aux évêques de son pays, le jeune jésuite syrien Nibras Chehayed, accuse: «De la bouche de certains de nos prédicateurs, les mots claquent comme autant de balles.» Le père Chehayed souligne que des chrétiens se joignent aux manifestations du vendredi. D'autres chrétiens figurent parmi les opposants déclarés au régime, comme l'avocat Michel Chammas, dont la fille a été enlevée par les services secrets.
Reste que l'exemple du chaos irakien, où des milliers de chrétiens ont fui assassinats et enlèvements, inquiète beaucoup leurs frères syriens. Une attitude résumée avec un peu d'embarras par un autre jésuite, italien, installé depuis trente ans en Syrie, le père Paolo Dall'Oglio: «Généralement, les chrétiens espèrent que soit conservé un État protecteur des minorités, comme il l'a été pendant les quarante dernières années», explique-t-il à l'agence catholique Fides, tout en ajoutant: «Même s'il faut rappeler que cela s'est fait aux dépens des droits humains.»
Le père Dall'Oglio soutient pour sa part le plan de l'ONU adopté par Damas malgré la poursuite de la répression. Opposé à la militarisation de l'opposition, le père Dall'Oglio propose une sortie politique de la crise, basée sur l'instauration d'une «démocratie parlementaire consensuelle» avec un président élu par le Parlement.
http://www.lefigaro.fr/international/2012/04/06/01003-20120406ARTFIG00606-les-chretiens-de-syrie-divises-face-au-regime-el-assad.php
Lire dans le Journal La Croix :

Le plan Annan est menacé en Syrie | La-Croix.com
http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Le-plan-Annan-est-menace-en-Syrie-_NP_-... - Cached
il y a 1 jour ... Les actus La Croix | Journal en ligne ... Selon ce plan, accepté le 2 avril par la Syrie et entériné par le Conseil de sécurité de l'ONU le 5 avril, ...
http://www.chretiensdelamediterranee.com/categorie-11183729.html
 JTK = Envoyé de mon iPad.

vendredi 17 février 2012

Lochon Christian

Lochon Christian

 Sur les chretiens d'Orient
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Extraits: Role et culture des chretiens d'Orient

Influence du Christianisme Oriental sur le Christianisme Occidental:
L'évangélisation de la Gaule fut l'œuvre, en grande partie, de chrétiens orientaux ; la catéchèse à Lyon fut entreprise par l'évêque Pothin, d'origine smyrniote, et martyrisé, nonagénaire, en 177. 
Son successeur Irénée était syrien, également disciple de Saint Polycarpe, comme étaient proche-orientaux les évêques de l'époque, Sophrone à Agde, Trophime et Patrocle à Arles, Aphrodise à Béziers, Eutrope à Orange, Orientalis à Bordeaux.
 Du 1er au Ve siècle, dix papes furent orientaux et aux VIIe et VIIIe siècles, six syriens, Théodose (642-649), Jean V (685-6), St Sergius d'Antioche (687-701), Sisinius (708), Constantin (708-715), St Grégoire III (731-41), et huit grecs de 678 à 752. Devant l'afflux de malheureux, les marchands syriens établis sur la voie d'Ostie à Rome imitèrent la coutume de Jérusalem de la « lousma » ou toilette physique et corporelle des pauvres, à laquelle on procédait chaque dimanche ; ces derniers étaient lavés, revêtus d'habits propres et restaurés. Cette imitation orientale de « diaconies » romaines furent confiées à des responsables de groupes qu'on appella « cardinaux » comme le rappelle René Khawam (1).
Enfin le culte des saints inclut des martyrs orientaux ; à Arles sur Tech, près d'Amélie les Bains dans les Pyrénées, l'abbaye Sainte Marie d'Arles abrita, vers 900, les reliques de deux martyrs babyloniens, (249) Saints Abdon (ou Abda) et Sennen ; une eau miraculeuse remplit constamment leur sarcophage, et une procession annuelle, le 30 juillet, attire beaucoup de pèlerins.

voir: exode des chretiens d'orient: http://www.lefigaro.fr/international/20060513.FIG000000946_le_grand_exode_des_chretiens_d_orient.html
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Jeudi 2 février 2012

De l'Empire Ottoman au Printemps Arabe : le problème des minorités religieuses chrétiennes

http://www.chretiensdelamediterranee.com/categorie-11109673.html
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Christian Lochon, membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée est l'auteur de cet article paru dans bulletin trimestriel de l'Oeuvre d'Orient (octobre, novembre, décembre 2011). 
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Ayant  obtenu leur indépendance entre 1930 et 1947, les Etats du Proche-Orient ont une population très diversifiée. 
- L'Egypte, avant Abdelnasser, avait des ministres coptes et même dirigeant des partis nationalistes (le Wafd) ; 
- l'Irak monarchique offrit des sièges sénatoriaux au Patriarche chaldéen et au Grand Rabbin ; 
- la Syrie eut même un Premier ministre protestant ( Farès el Khoury) ; 
- la Transjordanie devenue Jordanie réserve toujours 10 % des sièges parlementaires aux chrétiens ( 3% de la population). 
- Dans tous ces pays les établissements d'enseignement chrétiens ont toujours une importante proportion  d'élèves musulmans ; les hôpitaux et dispensaires chrétiens sont très appréciés. 
Cette  caution d'excellence a naturellement engendré des envieux. 

Fin 2011, la révolte populaire, portée par les masses arabes, semble essoufflée ; les partis religieux, soutenus financièrement par l'Arabie Saoudite et le Qatar militent pour de prétendus « Droits de Dieu » antithétiques des Droits de l'homme.
 
A) La Charia, épée de Damoclès des minorités 
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Elaborée du 9e au 11e siècle, la Législation islamique ou « Charia » a créé un Code de la Famille ou « Statut personnel » qui établit pour l'éternité des rapports inégaux entre hommes et femmes et entre musulmans et non-musulmans. 
En 1979, le Royaume saoudien avait fait rédiger par des Ulémas wahabites une Déclaration islamique des droits de l'homme ; les articles y paraissent identiques à ceux du texte onusien, mais à plusieurs endroits sensibles, le texte apporte une clause restrictive ainsi libellée : « si ces droits ne contreviennent pas à la Loi (divine). » Beaucoup, hélas, y contreviennent.
 
En fait le Statut personnel constitue une accumulation d'inégalités. Le Droit musulman prend ses sources dans le Coran dont on ne peut pas contester ni changer ce qui y est consigné, et dans les recueils de « hadiths », petits textes que le Prophète aurait prononcés et dont beaucoup avaient déjà été remis en cause par les traditionnistes du IXe siècle. Ce corpus, destiné à l'époque à une société bédouine analphabète et inégalitaire, souligne la supériorité de l'homme sur la femme. Bourguiba avait réussi à rétablir une certaine égalité homme/femme ; il ne put cependant autoriser une Tunisienne à se marier avec un non-Musulman.
 
Les non musulmans sont encore plus marginalisés. 
Chretiens  et Juifs, « dhimmis », devaient suivre des consignes très strictes pour leurs édifices du culte ou privés. 
- Leur ceinture jaune (sic) les faisait parfois maltraiter ; 
- interdits de fréquenter les hammams, ils ne pouvaient monter à cheval, réservé au musulman, et ne pouvaient pas porter plainte contre un musulman. 
- Une chrétienne mariée à un musulman ne peut encore aujourd'hui hériter de son mari, si elle n'a pas adopté l'islam. 
- Comme un chrétien ne peut pas commander à un musulman, les citoyens chrétiens des pays arabes ne peuvent pas devenir Président de la République (sauf au Liban), Premier Ministre, voire Ministre ; 
- dans l'armée, un chrétien ne peut pas dépasser le grade de général de brigade ; 
- dans l'administration, il est rare de voir (sauf en Syrie) un gouverneur de province chrétien, ou un recteur d'université ou un doyen. 
- En Egypte, aucun Copte n'est admis à se spécialiser en gynécologie. 
La liste est longue de ce qui est officieusement interdit aux non-musulmans et qui pourtant n'apparaît nulle part dans la Constitution ou le code administratif. 
- Ce qui est plus grave encore, c'est la loi d'apostasie en contradiction avec la liberté d'expression et de pensée. Un musulman sera condamné à mort s'il devient chrétien (Iran, Egypte, Irak, Koweït pour des cas récents).
- Par contre, il est bien vu qu'un chrétien se fasse musulman (15 000 Coptes passent à l'islam chaque année). 
- Les enfants, devant suivre la religion du père, deviennent obligatoirement musulmans sans l'avoir souhaité. En fait, dans tous les pays arabes, et en Israël aussi d'ailleurs, on naît, se marie, hérite, divorce et meurt dans une incontournable infrastructure confessionnelle. 
- L'état-civil officiel ne fait qu'enregistrer les indications qui sont fournies par les autorités religieuses.. Difficile à admettre dans nos sociétés de droit, cette jurisprudence sacralisée est imposée sans discontinuité depuis plus d'un millénaire ; 
- en 2011, le fait de vouloir la faire évoluer risque de vous faire condamner pour crime d'apostasie. Le conservatisme est tel que, même si des gouvernements démocratiques étaient élus dans les conditions les plus satisfaisantes, à moins d'imposer une exégèse moderne des textes sacralisés, ils ne réussiraient pas à imposer le concept universel des droits de l'homme et de la femme.
 
B) La protection des chrétiens grâce aux « Capitulations »
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Cette chape de plomb qui pesait sur les communautés chrétiennes de l'Empire ottoman fut en partie allégée par les bonnes relations franco-ottomanes.
 
François 1er, dans sa lutte contre Charles Quint, résolut de s'allier à l'ennemi de la chrétienté, le Sultan ottoman ; de part et d'autre, les avantages n'étaient pas négligeables et ces Capitulations (du latin « Capitulationes » ou chapitre de traité bilatéral) ratifiées en 1535 et constamment renouvelées par tous les régimes politiques français en 1581, 1597, 1604, 1608, 1673, 1740, 1878, accordèrent à la France un pouvoir de protection des Chrétiens occidentaux, puis par extension, celle des Chrétiens orientaux sur tout le territoire ottoman.
 
Cette concession créa donc pour la France une situation privilégiée dans les domaines politique et économique. Un des plus impérieux devoirs rappelés à chaque ambassadeur nommé à Istanbul, dans les instructions de son départ, était précisément la sauvegarde des minorités chrétiennes dans l'empire ottoman et, lorsqu'il le fallait, il devait reprendre les négociations pour le renouvellement constant de ces Capitulations.. 
C'est qu'en sus des facilités commerciales, le traité concédait à la France « la protection de la religion catholique dans les Etats du Grand Seigneur ». La mise en place d'une ambassade dans la capitale et de consulats dans les principales villes permit aux représentants de la France de connaître les communautés chrétiennes locales. Le Gouvernement français put faire venir dans les consulats régionaux des chapelains qui s'occuperont, discrètement, des chrétiens ottomans, 
- En 1740, Louis XV obtint le privilège de la protection des chrétiens ottomans qui travaillaient avec des sociétés françaises ; 
- en 1814, Napoléon se vit accorder le statut de nation la plus favorisée au bénéfice de la France ; 
- en 1901, le renouvellement de ces Capitulations, confirmé par l'accord de Constantinople ( 1913), stipulait encore que « les congrégations religieuses, françaises ou non, se voyaient confirmer un certain nombre d'immunités locales et douanières ».
 
- Les Capucins vont s'installer à Alep en 1623, chargés de l'apostolat auprès des Orientaux, puis de 1638 à 1708, à Bagdad, en 1636 à Mossoul où leur hospice se maintiendra ouvert jusqu'en 1724, à Damas en 1637. 
- En 1721, à Bagdad, les Carmes ouvrent une école et un hospice destinés aux 1 200 chrétiens qui y résident. 
- En 1867, ils gèreront une école de filles et une école de garçons encadrées par des religieuses et deux pères français. 
- Les Dominicains italiens se rendront à Mossoul en 1749 et y resteront jusqu'en 1856. Vont leur succéder des Dominicains français, bénéficiant de la création d'un consulat français. Ils y fondent une imprimerie, un séminaire syro-chaldéen (1878), qui deviendra un centre de diffusion de la langue française. En 1880, les Sœurs de la Présentation de Tours assureront l'intendance de cet Etablissement, ainsi que la direction d'une école de filles, d'un orphelinat et d'un dispensaire. 
- Les Franciscains, présents à Jérusalem depuis le XIIIe siècle, s'installent à Alep en 1571.
- En 1625, les Jésuites s'installent à Alep et, en 1628, ouvrent une école. 
En 1812, ils s'occuperont du séminaire melkite de Aïn Traz, fonderont des écoles à Beyrouth, Zahlé et aussi à Damas. L'école de Ghazir (Liban), fondée en 1846, devient séminaire en 1863, qui se transformera, en 1881 à Beyrouth, en Université Saint-Joseph, qui joue encore un rôle considérable aujourd'hui dans ce pays. 
- Les Lazaristes remplaceront les Jésuites au collège libanais d'Antoura..
 
- Cette « latinisation », poursuivie bien sûr en arabe, va dynamiser les chrétiens orientaux ; les missionnaires européens formeront une élite intellectuelle dont les héritiers seront partie prenante dans la Renaissance arabe (« Nahda ») du XIXe siècle. 
- Aux XVIIe et XVIIIe siècles, environ 500 jeunes chrétiens du Proche-Orient furent envoyés à Rome. Cette occidentalisation des cadres orientaux s'accompagna d'une promotion féminine exceptionnelle. 
- Avant l'arrivée des missionnaires, les femmes ne sortaient pas de chez elles. Elles sont alors prises en charge dans des confréries qui leur feront lire des livres de spiritualité, leur enseigneront la couture, des travaux manuels et un sens de la responsabilité tout à fait nouveau. 
- D'autre part, les missionnaires étaient souvent médecins ; les soins dispensés dans le cadre de la communauté rendront les chrétiens plus résistants aux épidémies ; la démographie va changer et les chrétiens auront plus d'enfants qui vivront après les maladies de la petite enfance que les musulmans ........ 
 
C) Les chrétiens actifs aux XIXe et XXe siècles
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Le terme de « Nahda » symbolise l'esprit de réforme dans les domaines culturel, voire religieux, politique des sociétés du Proche-Orient. Les sujets arabophones du Sultan aspirent à une plus grande autonomie. L'influence de la philosophie des Lumières et des acquis de la Révolution française va s'exercer à Istanbul auprès des sultans qui entreprirent de réformer les structures de l'Etat. 
- Mohamed II (1808-39) modernise la fonction publique ; 
- Abdelmajid Ier promulgue le Hatti Charif du 3 novembre 1839 et le Hatti Homayoun du 18 février 1856, lois organiques qui établissent l'égalité des communautés non-musulmanes et musulmanes, et des élections parlementaires. 
- En 1865, les « Nouveaux Ottomans » adoptent les principes de « liberté, égalité, fraternité » dans un contexte coranique. 
- La fulgurante apparition en Egypte de Bonaparte ouvrira auprès de Mohammed Ali et de ses successeurs le désir de collaborer avec la France ; ils accueillent des coopérants français et envoient les cadres se former en France dès 1826 .
- De leur côté, les Libanais revendiquent l'autonomie avec le soutien de la France et ils l'obtiennent en 1862.. 
- En même temps, ils vont jouer un rôle important dans les revendications nationalistes et linguistiques prônant l'utilisation de l'arabe. En juin 1913, un comité de 8 membres, dont 6 Libanais, anime le premier Congrès Arabe à Paris consacré à l'indépendance.
 
- La première guerre mondiale entraînera la chute de l'Empire ottoman. - - - Sous le régime des mandats jusqu'en 1946, les communautés chrétiennes bénéficient de leurs infrastructures scolaires, caritatives, hospitalières et voient leur niveau de vie amélioré ; 
- leurs notables participent à l'administration locale, connaissant les langues des mandataires.
-  La création d'Israël entraîne des coups d'Etat militaires. Mais des partis laïques opposés au nassérisme comme le Baath ou le Parti populaire syrien s'ouvriront aux minoritaires. 

- A partir des années 1970, l'échec des pays arabes dans leur lutte contre Israël, va renforcer les partis religieux, Frères Musulmans et groupes salafistes opposés à une cogestion avec des non-musulmans. Les dirigeants de l'Egypte et de l'Irak se rapprocheront des islamistes, tandis que ceux de Syrie ou de Palestine conserveront leurs cadres chrétiens.
 
- En Egypte, la Constitution proclame l'égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction de langue, race ou religion.. 
- Depuis 1952, les chrétiens sont éliminés de la fonction publique alors qu'en 1910, ils détenaient 45 % des postes. 
- Depuis 1975, des églises sont brûlées dans toute l'Egypte, les paysans coptes se voient chassés de leurs terres. Des massacres ont eu lieu en 2011 dans la capitale, commis par l'armée qui voulait mettre fin à une protestation pacifique.
 
- L'Arabie Saoudite compte un million de chrétiens, arabes ou asiatiques. Il leur est interdit de construire une église ou de se rassembler pour le culte. Plusieurs « prêtres ouvriers » philippins ont été expulsés du pays. - - Par contre, les Etats du Golfe assurent la liberté de culte aux chrétiens arabes comme le royaume de Bahreïn,. Le Sultanat d'Oman, les Emirats Arabes Unis, qui ont offert, comme le Koweït et le Qatar, des terrains pour construire les églises.
 
- En Irak, des postes de direction dans la fonction publique échurent aux chrétiens lors de la prise de pouvoir par les Baathistes et sous le régime de Saddam Hussein. La chute de ce régime a entraîné des attentats nombreux contre les églises. Les Chrétiens ne représentent plus que 3% de la population. 
- Clandestins au Liban, en Jordanie, ou en Turquie, ils cherchent à gagner l'Europe, les Etats-Unis ou l'Australie. Beaucoup ont gagné le Kurdistan autonome où des députés et des ministres chrétiens participent au gouvernement.
- En Jordanie, le régime royal s'appuie sur les tribus bédouines dont certaines sont chrétiennes. Néanmoins, la montée en puissance des Frères Musulmans, la fragilité géopolitique de la Jordanie, liée par traité avec Israël, risquent de peser dramatiquement sur le maintien de ces privilèges.
 
- Au Liban, la guerre atrocement inutile de 17 ans avait réduit le Liban au rôle d'Etat associé à la Syrie. Les grands leaders chrétiens ont disparu, et, comme l'avait rappelé le Patriarche maronite devant les évêques de France en septembre 2011, les chrétiens doivent, pour subsister, maintenir un équilibre entre leurs compatriotes chiites prosyriens et sunnites prosaoudiens.
 
- En Palestine, 2% de chrétiens sur 3,2 millions d'habitants tentent de survivre. Des villes, comme Bethléem, ont perdu leur majorité chrétienne. La volonté israélienne de « désarabiser » Jérusalem fait paraître l'exil comme seule solution. Sans eux le berceau du Christianisme serit réduit à l'accueil de quelques pèlerins étrangers et de dizaines de milliers de touristes indifférents ?
 
- La Syrie, bouleversée par l'insurrection et la répression, risque de sombrer dans une guerre civile où les minorités, confessionnelles ou ethniques, seront décimées. 3 patriarches résident toujours à Damas, melkite, syriaque et grec-orthodoxe et le pays est couvert de vestiges chrétiens. La situation tend à ressembler à celle de l'Irak.
 
- En Iran, 1990, la fermeture des  librairies chrétiennes, la campagne d'intimidation des chiites convertis au Christianisme, l'interdiction d'imprimer tout livre chrétien en persan, les assassinats de pasteurs anglicans, font craindre le pire à l'ensemble des chrétiens du pays.
 
- La Turquie n'est pas devenue laïque avec Atatürk. Il s'agissait d'une politique de « turquisation », c'est-à-dire « d'islamisation ». Les chrétiens doivent suivre les cours d'instruction religieuse musulmane et n'ont le droit, ni d'ouvrir des écoles ou des dispensaires, ni de nouveaux lieux de culte. La capitale, Ankara, n'a aucune église (elles ont toutes été brûlées en 1923).
-  En 1900, un habitant sur quatre était chrétien.
-  En 1981, 90 000 chrétiens sur 50 millions d'habitants. 
- Aujourd'hui, quelques centaines auxquelles il faut ajouter les réfugiés irakiens en attente de visa.
 
X X X
 
Il était nécessaire de rappeler le rôle qu'ont assumé les Chrétiens dans l'évolution ancienne et récente de leur région. 
Les espoirs qu'ont fait naître les mouvements du Printemps arabe s'estompent en Egypte et ailleurs pour tous les citoyens. La société musulmane soumise aux contraintes du statut personnel, devra faire un immense effort pour le transformer en code sécularisé établissant l'égalité de tous devant la Loi.
 
Christian Lochon
 
 
Eléments de bibliographie
 
BARRES Maurice, - Une enquête aux pays du Levant (2 vol.) Paris, Plon, 192
COURBAGE Youssef, FARGUES Philippe, Chrétiens et Juifs dans l'islam arabo-turc, Paris Payot 1997
COURTOIS Sébastien de, Périple en Turquie chrétienne, Paris Presses de la Renaissance 2009
DUPARC Pierre, Instructions aux ambassadeurs en Turquie, Paris, CNRS, 1979
FADELLE Joseph, Le Prix à payer, Paris l'œuvre 2010
FATTAL Antoine, Le Statut légal aux non-musulmans en Pays d'Islam, Paris, Faculté de Droit, 1947
HEYBERGER Bernard, Les Chrétiens au Proche-Orient au temps de la Réforme politique,
Ecole Française de Rome, 1994
HEYBERGER B. dir, Chrétiens du Monde Arabe, Un archipel en terre d'Islam, Paris, Autrement 2003
KHALIL Samir, Rôle des chrétiens dans les renaissances arabes, Beyrouth, annales de Philosophie
Vol.6, 1985
KHAWAM René, L'Univers culturel des Chrétiens d'Orient, Paris Cerf 1987
LAURENT Annie, Les Chrétiens d'Orient vont-ils disparaître ?,Paris Salvator 2008
LOCHON Christian, Les Chrétiens de Syrie, Paris Bulletin Œuvre d'Orient,1990-1991(Nos 672 à676)
LOCHON Christian Les Chrétiens iraniens, Paris, Lettre de l'Œuvre d'Orient, oct 1993
LOCHON Christian, Eglises de France et du Liban, Paris, Bulletin SNOP, 13 mai 1994
LOCHON Christian, France-Liban, Estime et Culture, Actes du Colloque Libanité et Francophonie
Paris, AEFPO, 1993
LOCHON Christian, Rôle et Culture des Chrétiens d'Orient, Paris, Mondes et Cultures LXV, 2005
LOCHON Christian, Rôle et Culture des Chrétiens d'Orient, Paris, Bulletin de l'Œuvre
d'Orient, Paris (Nos.753 à 756), 2008 à 2010
RONDOT P. et HALLAQ B. dir, Les Chrétiens du Monde Arabe, Paris, Maisonneuve-Larose
TALAL Prince Hassan Ben, Islam et christianisme, Paris, Brepols 1997
VALOGNES Pierre, Vie et Mort des Chrétiens d'Orient,, Paris, Fayard, 1994
VOLNEY, Voyage en Egypte et en Syrie (1787), Paris, Mouton 1959
 

jeudi 16 février 2012

Lochon Christian

Lochon Christian
articles sur les chretiens d'Orient

Influence du Christianisme Oriental sur le Christianisme Occidental

L'évangélisation de la Gaule fut l'œuvre, en grande partie, de chrétiens orientaux ; la catéchèse à Lyon fut entreprise par l'évêque Pothin, d'origine smyrniote, et martyrisé, nonagénaire, en 177.
Son successeur Irénée était syrien, également disciple de Saint Polycarpe, comme étaient proche-orientaux les évêques de l'époque, Sophrone à Agde, Trophime et Patrocle à Arles, Aphrodise à Béziers, Eutrope à Orange, Orientalis à Bordeaux.
Du 1er au Ve siècle, dix papes furent orientaux et aux VIIe et VIIIe siècles, six syriens, Théodose (642-649), Jean V (685-6), St Sergius d'Antioche (687-701), Sisinius (708), Constantin (708-715), St Grégoire III (731-41), et huit grecs de 678 à 752. Devant l'afflux de malheureux, les marchands syriens établis sur la voie d'Ostie à Rome imitèrent la coutume de Jérusalem de la « lousma » ou toilette physique et corporelle des pauvres, à laquelle on procédait chaque dimanche ; ces derniers étaient lavés, revêtus d'habits propres et restaurés. Cette imitation orientale de « diaconies » romaines furent confiées à des responsables de groupes qu'on appella « cardinaux » comme le rappelle René Khawam (1).
Enfin le culte des saints inclut des martyrs orientaux ; à Arles sur Tech, près d'Amélie les Bains dans les Pyrénées, l'abbaye Sainte Marie d'Arles abrita, vers 900, les reliques de deux martyrs babyloniens, (249) Saints Abdon (ou Abda) et Sennen ; une eau miraculeuse remplit constamment leur sarcophage, et une procession annuelle, le 30 juillet, attire beaucoup de pèlerins.

voir: exode des chretiens d'orient: http://www.lefigaro.fr/international/20060513.FIG000000946_le_grand_exode_des_chretiens_d_orient.html
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Jeudi 2 février 2012

De l'Empire Ottoman au Printemps Arabe : le problème des minorités religieuses chrétiennes

http://www.chretiensdelamediterranee.com/categorie-11109673.html

Christian Lochon, membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée est l'auteur de cet article paru dans bulletin trimestriel de l'Oeuvre d'Orient (octobre, novembre, décembre 2011).
Ayant obtenu leur indépendance entre 1930 et 1947, les Etats du Proche-Orient ont une population très diversifiée. L'Egypte, avant Abdelnasser, avait des ministres coptes et même dirigeant des partis nationalistes (le Wafd) ; l'Irak monarchique offrit des sièges sénatoriaux au Patriarche chaldéen et au Grand Rabbin ; la Syrie eut même un Premier ministre protestant ( Farès el Khoury) ; la Transjordanie devenue Jordanie réserve toujours 10 % des sièges parlementaires aux chrétiens ( 3% de la population). Dans tous ces pays les établissements d'enseignement chrétiens ont toujours une importante proportion d'élèves musulmans ; les hôpitaux et dispensaires chrétiens sont très appréciés. Cette caution d'excellence a naturellement engendré des envieux. Fin 2011, la révolte populaire, portée par les masses arabes, semble essoufflée ; les partis religieux, soutenus financièrement par l'Arabie Saoudite et le Qatar militent pour de prétendus « Droits de Dieu » antithétiques des Droits de l'homme.

A) La Charia, épée de Damoclès des minorités

Elaborée du 9e au 11e siècle, la Législation islamique ou « Charia » a créé un Code de la Famille ou « Statut personnel » qui établit pour l'éternité des rapports inégaux entre hommes et femmes et entre musulmans et non-musulmans.
En 1979, le Royaume saoudien avait fait rédiger par des Ulémas wahabites une Déclaration islamique des droits de l'homme ; les articles y paraissent identiques à ceux du texte onusien, mais à plusieurs endroits sensibles, le texte apporte une clause restrictive ainsi libellée : « si ces droits ne contreviennent pas à la Loi (divine). » Beaucoup, hélas, y contreviennent.

En fait le Statut personnel constitue une accumulation d'inégalités. Le Droit musulman prend ses sources dans le Coran dont on ne peut pas contester ni changer ce qui y est consigné, et dans les recueils de « hadiths », petits textes que le Prophète aurait prononcés et dont beaucoup avaient déjà été remis en cause par les traditionnistes du IXe siècle. Ce corpus, destiné à l'époque à une société bédouine analphabète et inégalitaire, souligne la supériorité de l'homme sur la femme. Bourguiba avait réussi à rétablir une certaine égalité homme/femme ; il ne put cependant autoriser une Tunisienne à se marier avec un non-Musulman.

Les non musulmans sont encore plus marginalisés. Chrétiens et Juifs, « dhimmis », devaient suivre des consignes très strictes pour leurs édifices du culte ou privés. Leur ceinture jaune (sic) les faisait parfois maltraiter ; interdits de fréquenter les hammams, ils ne pouvaient monter à cheval, réservé au musulman, et ne pouvaient pas porter plainte contre un musulman. Une chrétienne mariée à un musulman ne peut encore aujourd'hui hériter de son mari, si elle n'a pas adopté l'islam. Comme un chrétien ne peut pas commander à un musulman, les citoyens chrétiens des pays arabes ne peuvent pas devenir Président de la République (sauf au Liban), Premier Ministre, voire Ministre ; dans l'armée, un chrétien ne peut pas dépasser le grade de général de brigade ; dans l'administration, il est rare de voir (sauf en Syrie) un gouverneur de province chrétien, ou un recteur d'université ou un doyen. En Egypte, aucun Copte n'est admis à se spécialiser en gynécologie. La liste est longue de ce qui est officieusement interdit aux non-musulmans et qui pourtant n'apparaît nulle part dans la Constitution ou le code administratif. Ce qui est plus grave encore, c'est la loi d'apostasie en contradiction avec la liberté d'expression et de pensée. Un musulman sera condamné à mort s'il devient chrétien (Iran, Egypte, Irak, Koweït pour des cas récents).Par contre, il est bien vu qu'un chrétien se fasse musulman (15 000 Coptes passent à l'islam chaque année). Les enfants, devant suivre la religion du père, deviennent obligatoirement musulmans sans l'avoir souhaité. En fait, dans tous les pays arabes, et en Israël aussi d'ailleurs, on naît, se marie, hérite, divorce et meurt dans une incontournable infrastructure confessionnelle. L'état-civil officiel ne fait qu'enregistrer les indications qui sont fournies par les autorités religieuses.. Difficile à admettre dans nos sociétés de droit, cette jurisprudence sacralisée est imposée sans discontinuité depuis plus d'un millénaire ; en 2011, le fait de vouloir la faire évoluer risque de vous faire condamner pour crime d'apostasie. Le conservatisme est tel que, même si des gouvernements démocratiques étaient élus dans les conditions les plus satisfaisantes, à moins d'imposer une exégèse moderne des textes sacralisés, ils ne réussiraient pas à imposer le concept universel des droits de l'homme et de la femme.

B) La protection des chrétiens grâce aux « Capitulations »

Cette chape de plomb qui pesait sur les communautés chrétiennes de l'Empire ottoman fut en partie allégée par les bonnes relations franco-ottomanes.

François 1er, dans sa lutte contre Charles Quint, résolut de s'allier à l'ennemi de la chrétienté, le Sultan ottoman ; de part et d'autre, les avantages n'étaient pas négligeables et ces Capitulations (du latin « Capitulationes » ou chapitre de traité bilatéral) ratifiées en 1535 et constamment renouvelées par tous les régimes politiques français en 1581, 1597, 1604, 1608, 1673, 1740, 1878, accordèrent à la France un pouvoir de protection des Chrétiens occidentaux, puis par extension, celle des Chrétiens orientaux sur tout le territoire ottoman.

Cette concession créa donc pour la France une situation privilégiée dans les domaines politique et économique. Un des plus impérieux devoirs rappelés à chaque ambassadeur nommé à Istanbul, dans les instructions de son départ, était précisément la sauvegarde des minorités chrétiennes dans l'empire ottoman et, lorsqu'il le fallait, il devait reprendre les négociations pour le renouvellement constant de ces Capitulations.. C'est qu'en sus des facilités commerciales, le traité concédait à la France « la protection de la religion catholique dans les Etats du Grand Seigneur ». La mise en place d'une ambassade dans la capitale et de consulats dans les principales villes permit aux représentants de la France de connaître les communautés chrétiennes locales. Le Gouvernement français put faire venir dans les consulats régionaux des chapelains qui s'occuperont, discrètement, des chrétiens ottomans, En 1740, Louis XV obtint le privilège de la protection des chrétiens ottomans qui travaillaient avec des sociétés françaises ; en 1814, Napoléon se vit accorder le statut de nation la plus favorisée au bénéfice de la France ; en 1901, le renouvellement de ces Capitulations, confirmé par l'accord de Constantinople ( 1913), stipulait encore que « les congrégations religieuses, françaises ou non, se voyaient confirmer un certain nombre d'immunités locales et douanières ».

Les Capucins vont s'installer à Alep en 1623, chargés de l'apostolat auprès des Orientaux, puis de 1638 à 1708, à Bagdad, en 1636 à Mossoul où leur hospice se maintiendra ouvert jusqu'en 1724, à Damas en 1637. En 1721, à Bagdad, les Carmes ouvrent une école et un hospice destinés aux 1 200 chrétiens qui y résident. En 1867, ils gèreront une école de filles et une école de garçons encadrées par des religieuses et deux pères français. Les Dominicains italiens se rendront à Mossoul en 1749 et y resteront jusqu'en 1856. Vont leur succéder des Dominicains français, bénéficiant de la création d'un consulat français. Ils y fondent une imprimerie, un séminaire syro-chaldéen (1878), qui deviendra un centre de diffusion de la langue française. En 1880, les Sœurs de la Présentation de Tours assureront l'intendance de cet Etablissement, ainsi que la direction d'une école de filles, d'un orphelinat et d'un dispensaire. Les Franciscains, présents à Jérusalem depuis le XIIIe siècle, s'installent à Alep en 1571.En 1625, les Jésuites s'installent à Alep et, en 1628, ouvrent une école. En 1812, ils s'occuperont du séminaire melkite de Aïn Traz, fonderont des écoles à Beyrouth, Zahlé et aussi à Damas. L'école de Ghazir (Liban), fondée en 1846, devient séminaire en 1863, qui se transformera, en 1881 à Beyrouth, en Université Saint-Joseph, qui joue encore un rôle considérable aujourd'hui dans ce pays. Les Lazaristes remplaceront les Jésuites au collège libanais d'Antoura..

Cette « latinisation », poursuivie bien sûr en arabe, va dynamiser les chrétiens orientaux ; les missionnaires européens formeront une élite intellectuelle dont les héritiers seront partie prenante dans la Renaissance arabe (« Nahda ») du XIXe siècle. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, environ 500 jeunes chrétiens du Proche-Orient furent envoyés à Rome. Cette occidentalisation des cadres orientaux s'accompagna d'une promotion féminine exceptionnelle. Avant l'arrivée des missionnaires, les femmes ne sortaient pas de chez elles. Elles sont alors prises en charge dans des confréries qui leur feront lire des livres de spiritualité, leur enseigneront la couture, des travaux manuels et un sens de la responsabilité tout à fait nouveau. D'autre part, les missionnaires étaient souvent médecins ; les soins dispensés dans le cadre de la communauté rendront les chrétiens plus résistants aux épidémies ; la démographie va changer et les chrétiens auront plus d'enfants qui vivront après les maladies de la petite enfance que les musulmans.

C) Les chrétiens actifs aux XIXe et XXe siècles

Le terme de « Nahda » symbolise l'esprit de réforme dans les domaines culturel, voire religieux, politique des sociétés du Proche-Orient. Les sujets arabophones du Sultan aspirent à une plus grande autonomie. L'influence de la philosophie des Lumières et des acquis de la Révolution française va s'exercer à Istanbul auprès des sultans qui entreprirent de réformer les structures de l'Etat. Mohamed II (1808-39) modernise la fonction publique ; Abdelmajid Ier promulgue le Hatti Charif du 3 novembre 1839 et le Hatti Homayoun du 18 février 1856, lois organiques qui établissent l'égalité des communautés non-musulmanes et musulmanes, et des élections parlementaires. En 1865, les « Nouveaux Ottomans » adoptent les principes de « liberté, égalité, fraternité » dans un contexte coranique. La fulgurante apparition en Egypte de Bonaparte ouvrira auprès de Mohammed Ali et de ses successeurs le désir de collaborer avec la France ; ils accueillent des coopérants français et envoient les cadres se former en France dès 1826 De leur côté, les Libanais revendiquent l'autonomie avec le soutien de la France et ils l'obtiennent en 1862.. En même temps, ils vont jouer un rôle important dans les revendications nationalistes et linguistiques prônant l'utilisation de l'arabe. En juin 1913, un comité de 8 membres, dont 6 Libanais, anime le premier Congrès Arabe à Paris consacré à l'indépendance.

La première guerre mondiale entraînera la chute de l'Empire ottoman. Sous le régime des mandats jusqu'en 1946, les communautés chrétiennes bénéficient de leurs infrastructures scolaires, caritatives, hospitalières et voient leur niveau de vie amélioré ; leurs notables participent à l'administration locale, connaissant les langues des mandataires. La création d'Israël entraîne des coups d'Etat militaires. Mais des partis laïques opposés au nassérisme comme le Baath ou le Parti populaire syrien s'ouvriront aux minoritaires. A partir des années 1970, l'échec des pays arabes dans leur lutte contre Israël, va renforcer les partis religieux, Frères Musulmans et groupes salafistes opposés à une cogestion avec des non-musulmans. Les dirigeants de l'Egypte et de l'Irak se rapprocheront des islamistes, tandis que ceux de Syrie ou de Palestine conserveront leurs cadres chrétiens.

En Egypte, la Constitution proclame l'égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction de langue, race ou religion.. Depuis 1952, les chrétiens sont éliminés de la fonction publique alors qu'en 1910, ils détenaient 45 % des postes. Depuis 1975, des églises sont brûlées dans toute l'Egypte, les paysans coptes se voient chassés de leurs terres. Des massacres ont eu lieu en 2011 dans la capitale, commis par l'armée qui voulait mettre fin à une protestation pacifique.


L'Arabie Saoudite compte un million de chrétiens, arabes ou asiatiques. Il leur est interdit de construire une église ou de se rassembler pour le culte. Plusieurs « prêtres ouvriers » philippins ont été expulsés du pays. Par contre, les Etats du Golfe assurent la liberté de culte aux chrétiens arabes comme le royaume de Bahreïn,. Le Sultanat d'Oman, les Emirats Arabes Unis, qui ont offert, comme le Koweït et le Qatar, des terrains pour construire les églises.

En Irak, des postes de direction dans la fonction publique échurent aux chrétiens lors de la prise de pouvoir par les Baathistes et sous. le régime de Saddam Hussein. La chute de ce régime a entraîné des attentats nombreux contre les églises. Les Chrétiens ne représentent plus que 3% de la population. Clandestins au Liban, en Jordanie, ou en Turquie, ils cherchent à gagner l'Europe, les Etats-Unis ou l'Australie. Beaucoup ont gagné le Kurdistan autonome où des députés et des ministres chrétiens participent au gouvernement.

En Jordanie, le régime royal s'appuie sur les tribus bédouines dont certaines sont chrétiennes. Néanmoins, la montée en puissance des Frères Musulmans, la fragilité géopolitique de la Jordanie, liée par traité avec Israël, risquent de peser dramatiquement sur le maintien de ces privilèges.

Au Liban, la guerre atrocement inutile de 17 ans avait réduit le Liban au rôle d'Etat associé à la Syrie. Les grands leaders chrétiens ont disparu, et, comme l'avait rappelé le Patriarche maronite devant les évêques de France en septembre 2011, les chrétiens doivent, pour subsister, maintenir un équilibre entre leurs compatriotes chiites prosyriens et sunnites prosaoudiens.

En Palestine, 2% de chrétiens sur 3,2 millions d'habitants tentent de survivre. Des villes, comme Bethléem, ont perdu leur majorité chrétienne. La volonté israélienne de « désarabiser » Jérusalem fait paraître l'exil comme seule solution. Sans eux le berceau du Christianisme serit réduit à l'accueil de quelques pèlerins étrangers et de dizaines de milliers de touristes indifférents ?

La Syrie, bouleversée par l'insurrection et la répression, risque de sombrer dans une guerre civile où les minorités, confessionnelles ou ethniques, seront décimées. 3 patriarches résident toujours à Damas, melkite, syriaque et grec-orthodoxe et le pays est couvert de vestiges chrétiens. La situation tend à ressembler à celle de l'Irak.

En Iran, 1990, la fermeture des les librairies chrétiennes, la campagne d'intimidation des chiites convertis au Christianisme, l'interdiction d'imprimer tout livre chrétien en persan, les assassinats de pasteurs anglicans, font craindre le pire à l'ensemble des chrétiens du pays.

La Turquie n'est pas devenue laïque avec Atatürk. Il s'agissait d'une politique de « turquisation », c'est-à-dire « d'islamisation ». Les chrétiens doivent suivre les cours d'instruction religieuse musulmane et n'ont le droit, ni d'ouvrir des écoles ou des dispensaires, ni de nouveaux lieux de culte. La capitale, Ankara, n'a aucune église (elles ont toutes été brûlées en 1923). En 1900, un habitant sur quatre était chrétien. En 1981, 90 000 chrétiens sur 50 millions d'habitants. Aujourd'hui, quelques centaines auxquelles il faut ajouter les réfugiés irakiens en attente de visa.

X X X

Il était nécessaire de rappeler le rôle qu'ont assumé les Chrétiens dans l'évolution ancienne et récente de leur région. Les espoirs qu'ont fait naître les mouvements du Printemps arabe s'estompent en Egypte et ailleurs pour tous les citoyens. La société musulmane soumise aux contraintes du statut personnel, devra faire un immense effort pour le transformer en code sécularisé établissant l'égalité de tous devant la Loi.

Christian Lochon


Eléments de bibliographie

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mardi 14 février 2012

Syrie: ultime appel du père Paolo Dall'Oglio


Syrie: ultime appel du père Paolo Dall'Oglio
Mardi 14 février 2012

http://chretiensmediterranee.com.over-blog.com/article-syrie-ultime-appel-du-pere-paolo-dall-oglio-99267942.html

Interview du père Paolo Dall'Oglio, par Maria Laura Conte e Martino Diez
Du monastère Saint Moïse l'Abyssin, situé à 100 km au nord de Damas, le père Paolo Dall'Oglio nous offre sa vision d'ensemble sur la situation en Syrie.
Les informations qui sortent des frontières de la Syrie nous parviennent par bribes et sont confuses. Comment pouvez-vous décrire la situation actuelle du pays où vous vivez depuis trente ans ? Où en sont les affrontements ?
Je précise tout d'abord qu'en acceptant d'accorder une interview, j'assume une certaine responsabilité à l'égard de mon engagement qui est de ne pas agir politiquement, afin d'éviter mon expulsion. Le fait que je renonce à ce silence s'explique par la gravité de la situation, qui nous oblige à faire notre possible pour pacifier le pays, dans la justice. Tout calcul en faveur d'intérêts personnels serait hors de propos. D'ailleurs, au cours des dernières semaines, l'État a décidé de laisser un espace plus grand à la liberté d'information. Je considère donc mon intervention comme une réponse positive à l'ouverture du gouvernement. J'espère que ce geste sera interprété selon son intention patriotique et solidaire et apprécié comme tel dans le cadre du développement du pays, grâce à une plus grande liberté d'opinion.
La situation reste tendue et la violence est toujours forte. Le territoire apparaît parcellé entre les zones où domine le mouvement d'opposition, à la fois pacifique et plus ou moins violent, et celles où l'État continue d'exercer un contrôle absolu et est même clairement soutenu par les populations. On trouve deux grands îlots, Damas et Alep, qui restent entièrement aux mains du gouvernement central, mais leur surface se réduit de jour en jour et l'insécurité les frappe eux aussi en profondeur.
La région montagneuse située entre la mer et le fleuve Oronte, qui va da la Beqaa libanaise jusqu'à Antioche, est presque entièrement sous le contrôle du gouvernement. En effet, cette région est peuplée principalement de minorités (qui sont nombreuses par rapport à l'ensemble du pays) musulmanes : alaouites et ismaélites, et chrétiennes : byzantines, aussi bien orthodoxes que catholiques, et maronites. Les sunnites, majoritaires dans le pays, sont minoritaires dans cette région. Ceux-ci ont figuré parmi les premiers à se soulever et espéraient probablement une insurrection générale rapide. Dans cette région, la répression a obtenu un succès important. Par conséquent, l'éventualité d'une division du pays, envisagée par beaucoup, est vraiment concrète dans cette zone. Cela redessinerait la carte du pays, avec, sur la côte, une Syrie dans l'orbite de l'Iran, comme le sud du Liban de Hezbollah, qui s'opposerait à une Syrie sunnite, dans l'intérieur des terres, rattachée au centre de l'Irak côté est et à la Beyrouth de Hariri côté ouest.
Cette vision désastreuse ne correspond pas encore à la réalité complexe du pays. La répartition des forces est équilibrée. La plupart des services de l'État fonctionnent, bien que difficilement. Une grande partie de la population demeure incapable de prendre position et conserve, de fait, une position neutre. D'autre part, si l'on exclut l'appartenance religieuse, l'adhésion populaire au pouvoir en place est encore importante, bien qu'ébranlée, entre autres à cause du fort attachement des Syriens à l'unité nationale et au refus de nombre d'entre eux de se laisser réduire à leur seule référence identitaire confessionnelle. Malgré cela, certaines zones sont désormais aux mains de l'« armée libre », même si je ne me risquerais pas à dire qu'elles le sont de façon stable.
D'une manière générale, le climat politique est confus et la sécurité laisse à désirer. On assiste à des vols, à des actes de banditisme et de sabotage, à des attentats, à des enlèvements, à des règlements de comptes, à des vengeances et à des meurtres. La violence ne cesse de s'amplifier. Même les délinquants purs et simples profitent de cette situation. Nous participons à des enterrements, trop fréquents, de personnes tuées lors d'affrontements violents ou d'attentats.
Beaucoup veulent continuer à espérer que la réforme constitutionnelle promise sera bientôt une réalité, que la présidence de Bachar al-Assad surmontera la crise et obtiendra d'organiser des élections plébiscitaires pour entamer un nouveau mandat.
À propos d'éventuelles solutions, en été 2011, vous appeliez de vos vœux la naissance d'une forme de démocratie consensuelle, capable de prendre en compte le pluralisme des identités présentes dans le pays. Les choses semblent pourtant avoir pris une autre direction depuis et la situation s'est gangrénée. Jugez-vous cette proposition encore applicable ?
Paradoxalement, j'y crois encore plus aujourd'hui car, dans un camp comme dans l'autre, on a le sentiment de se trouver dans une impasse, y compris sur le plan de l'équilibre des forces. Au cours de ces derniers mois, par une volonté « réciproque » dans un certain sens, on a fait dégénérer la situation vers une militarisation nette du conflit. Pourtant, il apparaît aujourd'hui, de plus en plus clairement, qu'aucune des deux parties n'a les moyens d'anéantir l'autre, et ce pour de nombreuses raisons d'ordre local, national et international.
Vous parlez de conflit. Employez-vous ce mot dans un sens concret ou métaphorique ?
Dans un sens très concret. C'est aujourd'hui que l'on a appris qu'un cessez-le-feu avait été signé entre l'armée syrienne régulière et les forces hostiles au gouvernement, dans la ville de Zabadani, près de la frontière libanaise. C'est un scénario de guerre civile.
Cette situation ne vous fait-elle pas dangereusement penser à l'Irak ? Hormis le fait que le mouvement n'a pas commencé par une invasion militaire étrangère, n'y a-t-il pas de nombreux points communs ?
Il y a certainement des points communs, mais tout autant de différences. Le phénomène des enlèvements, par exemple, est extrêmement préoccupant. Si cela continue ainsi, tout sera fini pour les gens ordinaires. En ce qui concerne le plus gros de la population chrétienne, le sentiment est double : d'une part, les gens ont l'impression d'être pris en tenaille dans un conflit qui, en définitive, est un conflit entre musulmans et, d'autre part, nombreux sont ceux qui se sentent totalement solidaires de la Syrie des Assad. Celle-ci avait garanti un niveau de laïcité de l'État que la minorité chrétienne percevait comme une occasion d'obtenir des promotions, ceci dans la mesure où la majorité sunnite le voyait comme le pouvoir d'une alliance de minorités. Sur le terrain, un grand nombre de chrétiens se rangent du côté du gouvernement. Beaucoup occupent des postes de fonctionnaires ou d'employés au service de l'État, tandis que d'autres prennent part au conflit en tant que membres de l'armée, de la police et des services de sécurité. Beaucoup de jeunes se sont portés volontaires au sein des troupes exerçant la répression du « terrorisme ». On relève également la présence de chrétiens au sein des mouvements d'opposition et, tout naturellement, ils choisissent les partis possédant la plus faible empreinte religieuse. Toutefois, comme en Irak, le sentiment qui domine est qu'une guerre civile généralisée serait extrêmement néfaste précisément pour les chrétiens, qui émigreraient probablement en masse.
Remarque-t-on des positions diverses chez les chrétiens ?
Les différentes autorités ecclésiastiques se rangent, pour la plupart, très explicitement du côté du gouvernement. Cette position tend cependant à céder le pas à une plus grande neutralité. Comme nous l'avons dit, on peut comprendre les motifs de ceux qui redoutent de voir naître une république islamique sunnite. D'autres, en revanche, insistent davantage sur la possibilité que la révolution laisse une plus grande place à la démocratie. Toutefois, il est totalement déplacé de faire une simple distinction entre démocrates et antidémocrates, ou bien entre les partisans du régime et ses opposants. La réalité est bien plus complexe. Beaucoup de jeunes, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, s'investissent totalement pour contribuer à faire naître une démocratie digne de ce nom en Syrie. Certains jugent que cet objectif a plus de chances d'être atteint si le régime actuel accepte d'évoluer. D'autres, qui s'engagent tout autant en faveur de la démocratie, aspirent, en revanche, à un changement immédiat, qui renversera le pouvoir en place. J'ai perçu, de façon très claire, que les positions étaient très diverses, lorsqu'il a été question de m'expulser. 6600 jeunes se sont inscrits sur la page Facebook : « Non à l'expulsion du père Paolo ! » L'opposition adhérant aux Comités de coordination a organisé un « dimanche du père Paolo », au cours duquel un mouvement de solidarité en ma faveur s'est exprimé lors de différentes manifestations dans tout le pays… y compris de la part de groupes de femmes musulmanes voilées ! Si l'on exclut la récupération politique de la chose, il est révélateur que, parmi les jeunes qui ont pris ma défense, tous étant engagés en faveur de la démocratie, on ait trouvé à la fois des partisans du gouvernement et des partisans de la révolution, et ils étaient aussi bien musulmans que chrétiens.
À propos de votre avis d'expulsion, qu'en est-il de votre situation ?
Il s'agit d'une vieille histoire où entrent en jeu des questions internes à l'Église locale, avec des retombées politiques, mais aussi des questions directement liées à nos vingt années de travail culturel pour l'émergence de la société civile, pour le dialogue interreligieux et l'évolution du processus démocratique, qui ont caractérisé notre action sur le terrain. Déjà, en février 2010, le parc naturel du monastère a été fermé et toutes les activités ont été suspendues, y compris les rencontres de dialogue interreligieux. En mars, comme on l'a su à l'échelle internationale, indépendamment du mouvement d'opposition en Syrie, mon permis de séjour a été bloqué. Dans la pratique, si j'avais quitté la Syrie, je n'aurais pas pu revenir. Puis, en novembre, est arrivé l'avis d'expulsion, qui n'a cependant pas été appliqué et est actuellement gelé, entre autres grâce à une vaste mobilisation en ma défense, surtout de la part de jeunes, et qui a pris de nombreuses formes. Mis à part mon cas personnel, cette histoire montre la qualité de la société syrienne, qui a agi pour défendre un symbole d'harmonie interreligieuse et de réconciliation civile.
Je me sens le devoir de proposer une intervention non-violente pour la pacification, une intervention arabe et internationale, avec la participation de volontaires locaux. En effet, je ne vois pas pourquoi Gandhi ne pourrait pas être une source d'inspiration pour résoudre le conflit syrien actuel. Je demande la formation d'un corps de 50000 « accompagnateurs » non-violents et sans armes, venus du monde entier. Je dis bien « accompagnateurs » et non observateurs car, en Syrie, beaucoup perçoivent ces derniers comme les avant-postes des invasions armées et comme des censeurs motivés par des sentiments hostiles. En Syrie, même le mot « international » a une connotation de complot et déclenche donc des réactions négatives. Il faudrait que la Syrie elle-même invite, sur proposition de l'ONU, des accompagnateurs représentant la Croix Rouge et le Croissant Rouge, des scouts, des membres de Sant'Egidio et de la Non Violent Peace Force, bref, des représentants de la société civile à l'échelle planétaire, afin d'aider la Syrie à cheminer vers la démocratie. Il n'y a pas besoin de forces armées internationales, perçues comme des forces d'occupation putschistes, motivées par des intérêts économiques et stratégiques. La violence criminelle peut et doit être combattue par la police d'État, avec l'aide de la population locale et grâce au contrôle exercé par la presse libre et les « accompagnateurs ».
Malheureusement, la partie la plus importante de la société civile, qui serait en mesure de négocier le cheminement vers la démocratie, semble de plus en plus absorbée par la polarisation et la militarisation du conflit actuel.
Ce n'est pas la première fois que je fais des propositions de ce genre. En 2001, j'avais suggéré de créer un canal de sortie d'Afghanistan pour les combattants arabes, des gens qui, pendant des décennies, avaient été engagés, y compris par les États-Unis, pour aller libérer Kaboul et que l'on découvrait soudain hostiles et terroristes. Et bien, aujourd'hui, en 2012, on parle de négocier avec les talibans, après 10 années d'une guerre féroce qui a fait tant de morts et engendré des souffrances sans fin ! En 2003, à propos de l'Irak, lors d'un jeûne public, nous avions déclaré que nous ne pouvions pas nous taire parce que le régime de Saddam Hussein était intolérable, mais nous ne pouvions pas non plus faire le choix de la guerre. Et on sait bien ce qui s'est passé par la suite.
Vous privilégiez donc la voie de la négociation. Et pourtant, dans un document que vous avez diffusé pour Pâques en 2011, on peut lire que « les dommages causés à la société syrienne sont d'ores et déjà irréversibles ». N'est-il donc pas vraiment trop tard pour négocier aujourd'hui ?
Le passage que vous citez se réfère à la situation de la Syrie au printemps dernier, lorsque l'on évoquait encore la possibilité d'un processus de réforme de longue haleine, qui aurait été engagé par le président Bachar al-Assad. Or, à cause des violences, affirmions-nous, il était devenu difficile à mettre en œuvre, et c'est encore plus vrai aujourd'hui, en raison de la radicalisation des affrontements. Le conflit entre les différentes parties s'est désormais cristallisé. La démocratisation du pays passe aujourd'hui par des négociations entre les protagonistes du conflit armé. Par conséquent, il réclame une médiation efficace, à plus forte raison si l'on tient compte du fait que les difficultés propres à la Syrie sont indissociables des tensions dans la région. La responsabilité et la mission de la présidence restent grandes, parce que celle-ci est appelée à créer les conditions d'un transfert progressif des pouvoirs du vieux système à parti unique vers le système entièrement démocratique que la nation choisira.
Ce ne serait pourtant pas la première fois que la Syrie ferait l'expérience du pluralisme. Cela s'est déjà produit dans les années cinquante et cela a été une période très instable, qui n'a pris fin qu'avec l'avènement au pouvoir du parti Ba'ath.
Je ne crois pas que l'on puisse établir un parallèle avec cette période. À l'époque, la Syrie ne savait pas très bien dans quel camp se placer et penchait tantôt pour les démocraties occidentales, tantôt pour l'URSS, jusqu'au moment où elle a opté pour un régime à parti unique. En outre, à cette époque-là, culturellement les Frères Musulmans n'avaient pas encore élaboré de perspective démocratique mais, aujourd'hui, c'est différent.
Vous observiez, au début, qu'aucune des deux parties n'a aujourd'hui les moyens de l'emporter sur l'autre. Donc, il ne resterait plus qu'à attendre que l'une des deux épuise ses forces ?
Les deux parties n'épuiseront pas leurs forces, parce que la Syrie est aujourd'hui le théâtre d'un vaste conflit régional. On voit s'y exprimer les tensions entre les États-Unis et la Russie, entre la Turquie et l'Iran, entre sunnites et chiites, entre une conception laïque de l'État et une vision religieuse de la société. On assiste également, à l'échelle du pays, à l'émergence de spécificités géographiques qui n'avaient pas trouvé le moyen de s'exprimer jusque-là… Tout cela montre que les possibilités d'alimenter le conflit sont presque infinies. Mais la nouveauté est ailleurs. Elle réside dans le désir d'émancipation éprouvé par les jeunes, ce qui est un fait entièrement nouveau et constitue un facteur de déséquilibre dans les conflits traditionnels.
Que faites-vous dans votre monastère ?
Au cours des mois écoulés, qui ont été difficiles, nous n'avons pas cessé de nous demander quel était notre devoir. De par notre condition de moines, nous sommes comme la corde d'un arc tendue entre la perspective eschatologique qui nous conseillerait de prier davantage et de moins parler, en contribuant à l'épanouissement spirituel des personnes, et l'incarnation dans l'histoire, qui demande le courage d'indiquer des perspectives de « libération » dans un contexte concret, tout en admettant que nos positions sont relatives. Nous avons élaboré des documents et nous les avons diffusés en ligne en différentes langues ; nous avons observé huit jours de jeûne pour œuvrer à la réconciliation, et ils ont eu un impact non négligeable dans les milieux de jeunes les plus avancés ; nous continuons à recevoir des personnes qui désirent confronter leurs idées et trouver dans le monastère un lieu de dialogue et de maturation spirituelle, en rapport avec cette époque tragique. Nous nous laçons aussi dans la production d'un fromage de bonne qualité, afin de moins dépendre de la charité internationale… Mais, surtout, nous vivons jour après jour l'angoisse de ce pays, en essayant de la transformer en solidarité et en espérance.
Je souhaite souligner un signe positif : il y a quelques jours, comme je l'ai mentionné au début de cette interview, le gouvernement a commencé à autoriser un accès plus large et pluraliste aux journalistes étrangers. Il s'agit d'un fait crucial, qui change aussi notre situation. La liberté de la presse représente une condition préalable à la réconciliation par la négociation. Si la décision de l'État se confirme, elle pourrait éviter un prolongement dramatique de la guerre. La liberté d'information permet de réduire les assassinats.
Beaucoup de personnes, en Occident, considèrent al-Jazeera comme une source bien informée sur les événements en Syrie. Et vous, comment la jugez-vous ?
C'est une chaîne de télévision de parti. Son action a contribué au déclenchement des mouvements révolutionnaires de l'année passée, il faut bien le reconnaître. Elle a été un élément extraordinaire de rupture du monopole que les gouvernements totalitaires détenaient sur l'information et un facteur de changement. Pourtant, en ce qui concerne la Syrie, elle a choisi l'option militaire ; elle milite contre le régime de façon partisane et l'objectivité des informations s'en ressent. La guerre civile à laquelle nous assistons est télévisuelle avant même de se dérouler sur le champ de bataille. Sous nos yeux se livre un combat entre chaînes de télévision, qui oppose des chaînes comme al-Jazeera aux médias contrôlés par le pouvoir, tout aussi habiles dans la défense de leur cause. Je suis convaincu que le fait de garantir l'entière liberté de la presse favoriserait une meilleure écoute des bons arguments et contribuerait, par conséquent, à la pacification.
Vous faites référence à ce désir, très répandu, de démocratie et de participation de la société civile, mais où le percevez-vous ? Comment s'exprime-t-il ?
Justement pas dans les médias, où les théories du complot les plus diverses circulent. On parle d'une grande entente entre les États-Unis, Israël, al-Qaïda, les salafites, les Frères Musulmans et la Ligue arabe, dans le but d'abattre le dernier État arabe qui n'a pas encore capitulé face au projet sioniste et n'a pas renoncé à combattre l'impérialisme... Il est évident qu'à ce niveau-là, il est difficile de discuter. Pourtant, je constate l'émergence de la société civile dans la vie de tous les jours : je la vois dans l'amour de la patrie chez tous ceux qui sont prêts à payer de leur personne. Je remarque une extraordinaire maturité civile et morale chez les jeunes qui s'engagent en faveur du changement.
Le problème le plus grave, c'est que même les milieux cultivés et socialement avancés de la société, y compris certain milieux ecclésiaux, se laissent aller à suivre une logique extrémiste et radicale qui s'exprime à travers des phrases telles que : « Tout sauf livrer l'État aux Frères Musulmans ! » Même certains cèdent à une logique génocidaire : s'il faut tuer des millions de personnes pour sauver le pays, qu'on le fasse. La radicalisation du langage engendre une spirale de violence dont il est impossible de sortir. Je ne me fais aucune illusion mais je ne désespère pas. Les violents d'aujourd'hui et leurs enfants sont appelés à devenir les citoyens de demain. De toute évidence, c'est un devoir pour tous, dans le monde entier mais plus encore autour de la Méditerranée et en Italie, d'agir immédiatement afin d'éviter le pire.
Quelle a été l'importance du rôle des nouveaux médias ?
Je dirais qu'elle a été fondamentale. Sans les nouveaux médias, la logique de la répression aurait pu opérer sans difficulté. Il n'y aurait pas eu de printemps arabe ou, du moins, il aurait pris des formes très différentes, « plus classiques » : les insurgés se seraient concentrés dans une seule région avant que le mouvement ne s'étende progressivement, comme cela s'est produit par le passé au Vietnam, au Nicaragua, au Kurdistan irakien etc. Sans le contrôle international que permettent les nouveaux médias, il y aurait eu des massacres plus graves encore. La répression capillaire devient relativement impuissante en raison de la pression internationale, fondée sur l'usage des nouveaux médias, sur la maturation civile, en particulier chez les jeunes, celle-ci étant favorisée par les réseaux sociaux, mais aussi par le nouveau militantisme religieux qui s'organise en réseau.
Quel est le nombre d'armes en circulation en Syrie, actuellement ?
Il faudrait d'abord savoir combien il y en avait au départ. Chacun a tendance à se constituer un arsenal domestique, en prévision de temps plus durs. Cela dit, la frontière libanaise est une passoire, l'Irak l'est tout autant (durant la guerre contre les alliés occidentaux, des combattants islamistes sunnites franchissaient souvent la frontière entre la Syrie et l'Irak…), la contrebande avec la Turquie est florissante et il est difficile de patrouiller dans les déserts. Ceux qui veulent soutenir les groupes armés de l'extérieur sont nombreux et déjà efficaces.
Pardonnez-nous d'insister, mais ne pensez-vous pas qu'il soit malheureusement plus facile d'armer les adversaires plutôt que de faire naître un espace de dialogue ?
Sincèrement, si la guerre contre l'Iran éclate, ici les choses peuvent évoluer extrêmement rapidement, mais elles peuvent aussi prendre un tour vraiment tragique. Je pense qu'il faut entamer des négociations sérieuses avec l'Iran, qui permettent au pays d'accéder au statut de puissance nucléaire, sous certaines conditions, afin de créer un équilibre des forces de dissuasion dans la logique de la guerre froide, mais de façon beaucoup plus concertée et limitée. L'Inde, le Pakistan et Israël sont déjà des puissances nucléaires. En tout cas, seul un désarmement nucléaire général et planétaire, garanti par une vraie autorité mondiale, rendrait les ambitions iraniennes injustifiées. Engageons donc le dialogue avec l'Iran et battons-nous pour faire de la Syrie un lieu de rencontre et d'accord entre sunnites et chi'ites. Ces affrontements intercommunautaires sans merci gagnent toute la région : le Bahreïn, le Yémen, l'Arabie Saoudite, le Liban etc. Essayons donc d'exprimer un langage alternatif à « plus ça va mal, mieux c'est ».
Qu'est-ce qui a déclenché ces révolutions ? Pourquoi précisément en 2011 ?
Dans les trois pays nord-africains que sont l'Égypte, la Lybie et la Tunisie, le passage du pouvoir d'une génération à l'autre, de père en fils, avait quelque chose d'insupportable qui semble avoir scellé le destin de ces dictatures. Les peuples ne supportaient plus l'idée d'être traités comme une propriété privée et un objet d'héritage. L'opposition était déjà très forte. Puis, au présent insupportable est venue s'ajouter la crise économique, et je dirais même un véritable mouvement de jeunes très mûr, au développement duquel l'Europe a contribué, et depuis longtemps déjà, grâce à des institutions comme la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh et les différentes formes d'aide internationale au développement. On est ainsi arrivé au point de rupture, au bout de longues années durant lesquelles les Égyptiens ont scandé dans les rues le slogan de la pré-révolution : « kifâya ! » (ça suffit !).

Père Paolo, quel rôle l'Italie peut-elle jouer ?
Berlusconi parti, Rome peut de nouveau aspirer à jouer un rôle significatif. Il faut donc qu'elle agisse pour proposer immédiatement une table de négociations entre les belligérants sur le terrain, mais aussi entre les belligérants qui résident à l'extérieur de la Syrie. J'espère que le ministre Andrea Riccardi, qui aime ce pays, pourra faire des propositions efficaces. En même temps, l'Église italienne peut avoir elle aussi son mot à dire pour résoudre les conflits régionaux de façon non-violente ; elle peut favoriser la création d'un espace de négociation et promouvoir la médiation à l'échelle internationale. Je pense que l'Église italienne encouragera aussi la création de corps volontaires non-violents et interreligieux d'« accompagnateurs » de la paix.
Les négociations pourront-elles se poursuivre à l'infini ?
Il faut commencer tout de suite car le temps nous est compté.



dimanche 11 décembre 2011

la disparition des chrétiens d'Orient serait une catastrophe

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Texte intégral de l'intervention du Cardinal Tauran au cours d'un colloque,
organisé jeudi 1er et vendredi 2 décembre 2011 par l’Institut français de Rome.
 
l'intervention du cardinal Tauran au cours d'un colloque, organisé jeudi 1er et vendredi 2 décembre 2011 par l’Institut français de Rome.
Les chrétiens d’Orient dans le dialogue islamo-chrétien
Les chrétiens d’Orient, qui sont-ils ? Au sens large, ce sont tous les catholiques non-latins, les orthodoxes et les protestants du Proche et du Moyen Orient. On y inclut aussi les minorités d’Iran, d’Arménie, de Turquie, d’Inde, du Pakistan, d’Indonésie et d’Ethiopie. Les chrétiens d’Orient ne connaissent pas une organisation centralisée comme le christianisme occidental (je pense au catholicisme romain). La place de la culture, de la langue, la multiplicité des dénominations et des pratiques en font une mosaïque. Je ne vais pas parler de tous ces chrétiens, mais je voudrais limiter mon propos aux chrétiens du Moyen Orient pour des raisons évidentes : ce sont ceux qui nous sont le plus proches, en particulier ceux qui vivent en Terre Sainte, descendants de la première Eglise de Jérusalem.
Le Moyen Orient est massivement musulman, et son islam a connu des périodes fastes. Des villes comme Damas, Bagdad, Le Caire, Istanbul rappellent ce que furent les grandes réalisations de l’islam historique, avec les Omeyades (7e s.), les Abbassides (du 8e s. au 13e s.), les Mamelouks (du 13e s. au 16e s.) et les Ottomans (du 16e s. à 1924). Sans parler de la Mecque et de Médine,
Les chrétiens d’Orient y sont minoritaires et tendent à diminuer. Ils ne sont pas des convertis de l’islam. Ils sont, comme je le disais plus haut, les descendants de la première Eglise de Jérusalem, leurs ancêtres ont été les témoins vivants des événements du salut. Littéralement, ils entourent les Lieux saints de leur présence et leur donnent vie par leur prière et leur amour, empêchant qu’ils deviennent de simples musées. Mais ils ont une histoire, une langue et une culture communes avec les musulmans au milieu desquels ils vivent depuis des siècles. C’est pourquoi les relations entre les deux communautés sont traditionnellement bonnes au niveau du dialogue de la vie. Evidemment, ils ont aussi des rapports séculaires avec les communautes juives d’autant plus qu’avec les Juifs, les chrétiens sont spirituellement unis dans la lignée d’Abraham et reconnaissent les prémices de leur foi dans le Premier Testament.
II y a eu des périodes de cohabitation féconde entre chrétiens et musulmans: Istanbul, Alexandrie, Jérusalem ont longtemps accueilli tous les croyants. Mais quand les empires se sont effondres et que l’unité de mesure est devenue la nation, il y a eu moins de place pour la diversité, le califat se termine avec la chute de l’Empire ottoman et la naissance de la république d’Atatürk ; l’orthodoxie s’effrite en se soustrayant a l’hégémonie du patriarcat de Constantinople et en donnant naissance à de nouvelles églises nationales. De nouvelles identités s’affirment.
Depuis Le 16e siècle, le christianisme est devenu minoritaire en Orient, et l’islam, qui avait perdu de son prestige, a récupéré son identité a partir du moment où il a immigré vers l’Europe. S’il y a eu hier une cohabitation entre peuples divers, aujourd’hui encore, chrétiens et musulmans sont contraints par la géographie et par l’histoire à retrouver un mode de vivre ensemble. La Méditerranée, ce «lac des monothéismes » comme on l’a écrit, pourrait être un lieu de recomposition. Evidemment, il faudrait parler d’autres facteurs qui ont complètement transformé le paysage politique, social, culturel et religieux du Moyen Orient: je pense évidemment au conflit israélo-palestinien non-résolu, et à la partition de Chypre, a la situation de l’Irak .... Comme on l’a remarqué, la situation des chrétiens dans cette partie du monde peut être évoquée comme suit: un pays ou il est interdit de construire des églises comme l’Arabie saoudite; des pays ou les chrétiens sont considérés comme non nationaux; le Koweït, les Etats du Golfe, Oman et les États du Maghreb; les pays ou les chrétiens sont autochtones et les Églises apostoliques: Égypte, Syrie, Irak, Jordanie, Palestine, Turquie; et enfin l’exception libanaise ou le Président de la République est, par un accord tacite, chrétien maronite. Tout en proclamant que l’islam est la religion de l’État (sauf en Syrie et au Liban), les constitutions de ces pays affirment que tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans discrimination de race et de religion. Cela évidemment au niveau théorique. La pratique est le plus souvent bien différente.
On doit souligner qu’une collaboration confiante s’est développée entre musulmans et chrétiens au niveau de l’éducation, de la santé, de la culture, de l’économie et de la solidarité. Les écoles catholiques sont particulièrement appréciées par de nombreuses familles musulmanes. II y a des Parlements où les chrétiens sont représentés, bien qu’i1 leur soit difficile, sinon impossible, d’accéder aux postes de décision politique (sauf au Liban). Mais ceci dit, il faut rappeler que les conversions de musulmans au christianisme sont pratiquement impossibles. Et dans Le cas de mariage mixte, les enfants mineurs sont présumés suivre la religion de leur père. Si la liberté de culte est partout respectée, sauf en Arabie saoudite, et s’il est souvent possible de construire de nouvelles églises, cela n’est pas le cas en Égypte où reste en vigueur une disposition de l’empire ottoman de 1856 qui n’autorise une restauration d’église que sur décret présidentiel.
Si donc les chrétiens se sentent chez eux dans cette partie du monde, s’i1s vivent plus ou moins bien leur foi et leur culture, personnellement et communautairement, ils n’en éprouvent pas moins le sentiment d ‘une certaine précarité, le conflit non-résolu israélo-palestinien et les manifestations d’un islamisme agressif font que beaucoup de chrétiens choisissent l’émigration surtout lorsqu’ils pensent à l’avenir de leurs enfants.
Les chrétiens d’Orient se sentent toujours considérés comme des citoyens de seconde catégorie. Ils se référent souvent au statut de la « dhimmitude ». On comprend alors que ces chrétiens ne soient pas spontanément des enthousiastes du dialogue interreligieux !
Pourtant, si nous prenons en considération le christianisme, l’islam et le judaïsme, on peut relever que ces trois monothéismes favorisent une pédagogie de la rencontre. Certes nous sommes différents et nous devons nous accepter comme tels. Mais nous pouvons mettre à la disposition de la société des valeurs communes qui nous inspirent: respect de la vie, sens de la fraternité, dimension religieuse de l’existence. Dans le fond, Juifs, chrétiens et musulmans, nous croyons que chacun de nous est unique. Alors, il me semble qu’il n’est pas impossible de sensibiliser éducateurs et législateurs à l’opportunité de proposer à ces peuples qui vivent depuis toujours ensemble des règles de conduite telles que:
- Le respect des personnes qui cherchent à scruter l’énigme de la condition humaine à la lumière de leur religion;
- le sens critique qui permet de choisir la vie ou la mort, le vrai ou le faux;
- le souci de la liberté qui suppose une conscience droite, une foi éclairée ;
- L’acceptation de la pluralité qui nous incite à nous considérer différents, mais égaux en dignité, en refusant toutes les formes d’exclusion, en particulier celles invoquant une religion ou une conviction.
Si nous pouvions dire tout cela ensemble, il est sûr que nous aurions devant nous un avenir beaucoup plus serein. N’est-ce pas au fond ces convictions qui sont à l’origine de ce que l’on appelle le « printemps arabe »? Cette jeunesse de certains pays du Maghreb, consciente, cultivée, qui ne supporte plus la dictature, est plus « révoltée » que « révolutionnaire ». Elle est en quête de dignité et de liberté,
II est vrai que les chrétiens d’Orient ont beaucoup souffert depuis qu’ils existent. Souvent pour survivre, ils ont plus plié que résisté. Mais leur disparition serait une catastrophe, surtout pour les Lieux saints chrétiens, Que peut-on donc faire pour eux ?
D’abord, les aider à rester sur place. Dieu les a plantés dans cette partie du monde et c’est là qu’ils doivent fleurir. Malgré certains phénomènes de fondamentalisme, la présence chrétienne dans la société arabe joue un rôle positif de facilitateur entre les composantes de cette société et de catalyseur pour la convivialité.
Ils jouent aussi le rôle de pont entre l’Orient et l’Occident.
Or, pour être un pont, il faut être solidement ancré des deux côtés de la rive. Nos frères dans la foi sont ancrés dans l’Orient qui est leur milieu historique, linguistique, culturel et politique. Ils sont aussi ancrés en Occident par leur foi, leur patrimoine spirituel et leur ouverture intellectuelle.
II faut les visiter, soutenir leurs institutions et travailler à la cause du rétablissement de la justice et de la paix pour qu’advienne une solution rapide du Moyen Orient. Ce que le pape Jean XXIII affirmait dans l’encyclique Pacem in terris demeure toujours d’actualité : « Nous devons rétablir les rapports de la vie en société sur les bases de la vérité et de la justice, de l’amour et de la liberté » (n. 40).
Pratiquer le dialogue entre croyants, c’est être convaincu que nous formons tous une famille, qu’i1 existe une communauté humaine et un bien universel. Mais c’est aussi s’opposer à la xénophobie, à la fermeture des frontières, aux idéologies qui diffusent la haine. Le dialogue entre cultures et entre croyants n’a pas seulement pour but de mieux se connaître pour éviter les conflits, mais il a aussi pour but de nous aider à élaborer une culture qui permette à tous de vivre dans la dignité et la sécurité.
Comme certains d’entre vous le savent, j’ai été pendant quelques années en poste à la Nonciature au Liban, de 1975 à 1982. C’est là que j’ai participé pour la première fois à un groupe d’amitié islamo-chrétienne, guide par un jésuite français, Augustin Dupré Latour. Parlant de ces rencontres, il écrivait : « Croyants de deux religions, nous nous sommes retrouvés, non comme des « sédentaires » satisfaits de ce qu’ils possèdent, mais comme appartenant à la race des « nomades », vivant sous une « tente », des itinérants guides par l’Esprit de Dieu. Nous nous sommes reconnus tout spontanément, non pas comme possédant la vérité divine, mais comme possédés par cette vérité, qui guide, entraine, libère, chacun dans sa ligne propre, plus attaché à sa propre foi. »
Je souhaite que ces journées romaines montrent que, malgré tous les événements de nature à les opposer, chrétiens et musulmans (et juifs) sont capables de se rencontrer, de dialoguer, de refuser les amalgames ; que, contrairement à ce qui est souvent affirmé, les religions ne sont pas facteurs de conflit, mais les croyants sont des personnes de bonne volonté qui contribuent à développer la paix. Avec les chrétiens d’Orient, les Européens, qui eux aussi sont désormais « condamnés » au dialogue interreligieux dans des sociétés de plus en plus plurielles, il nous faut arriver à un réel sens de l’altérité, accepter nos différences, se réjouir de nombreux terrains de rencontre. Il ne s’agit pas de négocier ou de faire des concessions sur ce que nous croyons. Il ne s’agit pas de convertir l’autre, même si le dialogue interreligieux favorise souvent les conversions. II s’agit de se connaitre pour s’aimer et créer du bonheur autour de soi. Soyons nous-mêmes ! Non pour imposer nos convictions, mais pour les proposer. Pèlerins de la vérité au milieu des contradictions de l’histoire, en dépit de nos incohérences, soyons capables par notre générosité, notre douceur et notre persévérance de purifier notre mémoire et notre cœur pour faire en sorte que la sagesse humaine se rencontre avec la sagesse de Dieu.
Parce que nous distinguons le politique et le religieux, le temporel et le spirituel, nous chrétiens avons le devoir de susciter toutes initiatives qui prouvent à quel point les croyants sont une ressource pour la cite. Le pape Benoit XVI, l’a admirablement dit sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem: « Ceux qui honorent le Dieu unique croient qu’il tiendra les êtres humains responsables de leurs actions. Les chrétiens affirment que les dons divins de la raison et de la liberté sont à la base de cette responsabilité, la raison ouvre l’esprit à la compréhension de la nature et de la destinée communes de la famille humaine, tandis que la liberté pousse les cœurs à accepter l’autre et à Le servir dans la charité, l’amour indivisible pour le Dieu unique et la charite envers le prochain deviennent ainsi le pivot autour duquel tout tourne. C’est pourquoi nous travaillons inlassablement pour préserver les cœurs humains de la haine, de la colère ou de la vengeance » (12 mai 2009).
Oui, il est salutaire de nous souvenir que notre Dieu est « dialogue » (Trinité) et que dialoguer n’est pas « céder », mais affirmer d’abord nos convictions, pour comprendre ensuite nos accords et nos désaccords et considérer enfin ce qu’ensemble nous pouvons faire pour Le bien commun de nos sociétés plurielles.
Je conclus mon propos. Pardonnez-moi si, dans ce temple de la culture française, j’ose vous laisser un message que j’emprunte à un poète anglais, William Blake: «J’ai cherché mon âme et je ne l’ai pas trouvée ; j’ai cherché Dieu, et je ne l’ai pas trouvé ; j’ai cherché mon frère et je les ai trouvés tous les trois ».
Cardinal Jean-Louis Tauran
Rome, 2 décembre 2011