RENCONTRE ?CUMENIQUE AU SAINT-SEPULCRE
Cité du Vatican, 26 mai 2014 (VIS). Après avoir signé la déclaration conjointe, le Saint-Père et le Patriarche oecuménique se sont rendus à la basilique du Saint-Sépulcre pour prendre part à une cérémonie ?cuménique. Le Pape est entré dans la basilique par la porte du Muristan alors que le Patriarche est entré par la porte Ste.Hélène. Ont également pris part les évêques de Terre Sainte, l'archevêque syrien, l'archevêque éthiopien, l'évêque anglican, l'évêque luthérien et d'autres évêques. Etaient également présents les consuls généraux des cinq pays qui garantissent le Statu Quo de la Basilique (France, Belgique, Espagne, Italie, Grèce) et les autres consuls du Corpus Separatum de Jérusalem (Suède, Etats-Unis, Turquie, Royaume-Uni). Selon la tradition, le Saint-Sépulcre est le site de la crucifixion, de la sépulture et de la résurrection du Christ. Après la répression de la révolte juive en 135, Jérusalem subit un changement radical. Les juifs, les samaritains et les judéo-chrétiens sont expulsés avec l'interdiction de revenir. Hadrien, dans l'intention de supprimer toute trace de la religion judaïque qui avait provoquée deux violentes révoltes, s'emploie à faire disparaître tous les lieux de culte. Le Saint-Sépulcre connaît le même sort. Il est rasé et comblé, et un temple de Venus est érigé par dessus. Au cours du premier concile ?cuménique de Nicée en 325, l'évêque de Jérusalem, Macaire, invite l'empereur Constantin à rendre le Saint Sépulcre à la lumière, qui avait été conservé enterré. Hélène, la mère de Constantin, ordonna la construction de la basilique de la Résurrection, basilique qui, au fil des siècles, connaîtra divers sorts: De l'invasion de 614 au cours de laquelle la pierre de la sépulture aurait été brisée, à la décision des Croisés en 1099 de rassembler tous les monuments rappelant la mort et la résurrection du Christ en un seul édifice qui resta presque inaltéré jusqu'à la fin du XIX siècle, subissant toutefois un tremblement de terre en 1927 ou des dommages liés à la première guerre arabo-israélienne en 1948. Aujourd'hui, la gestion de la basilique est règlementée selon le Statu Quo et trois communautés, latine (représentée par les frères mineurs), grecque orthodoxe et arménienne orthodoxe s'en partagent la propriété. Les coptes orthodoxes, les syriens orthodoxes et les éthiopiens orthodoxes peuvent officier dans la basilique. A l'entrée, dans l'atrium, se trouve la pierre de l'Onction qui, selon la tradition, indique le lieu où Jésus, déposé de la Croix, fut embaumé.
Le Pape François et le Patriarche Barthélémy ont été reçus par les trois supérieurs des communautés du Statu Quo (grecque orthodoxe, franciscaine et arménienne apostolique). Le Patriarche grec orthodoxe de Jérusalem, Théophile III, le Custode de Jérusalem, le P. Pierbattista Pizzaballa,OFM.Cap, et le Patriarche arménien apostolique SB Nourhan Manoogian ont d'abord vénéré la pierre de l'Onction, puis le Pape avec le Patriarche. Après la proclamation de l'Evangile et les paroles du Patriarche Barthélémy, le Saint-Père a prononcé un discours affirmant, en premier lieu, que dans cette basilique "que chaque chrétien regarde avec profonde vénération, arrive à son point culminant le pèlerinage que j?accomplis avec mon frère bien-aimé en Christ, Sa Sainteté Barthélémy. Nous l?accomplissons sur les traces de nos vénérés prédécesseurs, Paul VI et Athénagoras, qui, avec courage et docilité à l?Esprit Saint, ont donné lieu, il y a cinquante ans, dans la Cité sainte de Jérusalem, à la rencontre historique entre l?Evêque de Rome et le Patriarche de Constantinople. C?est une grâce extraordinaire d?être réunis ici en prière. Le Tombeau vide, ce sépulcre neuf situé dans un jardin, où Joseph d?Arimathie avait déposé avec dévotion le corps de Jésus, est le lieu d?où part l?annonce de la Résurrection... Cette annonce, confirmée par le témoignage de ceux à qui le Seigneur Ressuscité est apparu, est le c?ur du message chrétien, transmis fidèlement de génération en génération... C?est le fondement de la foi qui nous unit, foi grâce à laquelle, ensemble, nous professons que Jésus-Christ, Fils unique du Père et notre unique Seigneur, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli; il est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts. Chacun de nous, chaque baptisé dans le Christ, est spirituellement ressuscité de ce tombeau, puisque dans le Baptême nous avons tous été réellement incorporés au Premier Né de toute la création, ensevelis ensemble avec Lui, pour être avec Lui ressuscités et pouvoir marcher dans une vie nouvelle... Tenons-nous près du tombeau vide dans un recueillement respectueux, pour redécouvrir la grandeur de notre vocation chrétienne: nous sommes des hommes et des femmes de résurrection, non de mort. Apprenons, de ce lieu, à vivre notre vie, les souffrances de l'Eglise et du monde entier à la lumière du matin de Pâques... Ne nous laissons pas voler le fondement de notre espérance qui est justement cela: Christos Anesti. Ne privons pas le monde de la joyeuse annonce de la Résurrection! Et ne soyons pas sourds au puissant appel à l?unité qui résonne précisément de ce lieu, à travers les paroles de Celui qui, en tant que Ressuscité, nous appelle tous mes frères".
"Certes, nous ne pouvons nier les divisions qui existent encore entre nous, disciples de Jésus. Ce lieu sacré nous en fait ressentir le drame avec une souffrance plus grande. Et pourtant, à cinquante ans de l?accolade de ces deux vénérables Pères, nous reconnaissons avec gratitude et un étonnement renouvelé comment il a été possible, par l?impulsion de l?Esprit Saint, d?accomplir des pas vraiment importants vers l?unité. Nous sommes conscients qu?il reste encore du chemin à parcourir pour aboutir à cette plénitude de communion qui puisse s?exprimer aussi dans le partage de la même table eucharistique, que nous désirons ardemment; mais les divergences ne doivent pas nous effrayer et paralyser notre chemin. Nous devons croire que, comme la pierre du sépulcre a été renversée, de la même façon, pourront être levés tous les obstacles qui empêchent encore la pleine communion entre nous. Ce sera une grâce de la résurrection, que nous pouvons dès aujourd?hui savourer à l?avance. Chaque fois que nous demandons pardon les uns aux autres, pour les péchés commis contre d?autres chrétiens et chaque fois que nous avons le courage de concéder et de recevoir ce pardon, nous faisons l?expérience de la résurrection! Chaque fois que, ayant dépassé les anciens préjugés, nous avons le courage de promouvoir de nouvelles relations fraternelles, nous confessons que le Christ est vraiment ressuscité! Chaque fois que nous pensons l?avenir de l?Eglise à partir de sa vocation à l?unité, brille la lumière du matin de Pâques! A ce propos, je désire renouveler le v?u déjà exprimé par mes prédécesseurs, de maintenir un dialogue avec tous les frères en Christ pour trouver une forme d?exercice du ministère propre de l?Evêque de Rome qui, en conformité avec sa mission, s?ouvre à une situation nouvelle et puisse être, dans le contexte actuel, un service d?amour et de communion reconnu par tous".
"Tandis que nous nous trouvons comme des pèlerins en ces saints lieux, notre souvenir priant va à toute la région, malheureusement si souvent marquée par des violences et des conflits. Et nous n?oublions pas, dans nos prières, tant d?autres hommes et femmes qui, en diverses parties de la planète, souffrent à cause de la guerre, de la pauvreté, de la faim, comme les nombreux chrétiens persécutés pour leur foi dans le Seigneur Ressuscité. Quand des chrétiens de diverses confessions se trouvent à souffrir ensemble, les uns à côté des autres, et à s?entraider les uns les autres avec une charité fraternelle, se réalise un ?cuménisme de la souffrance, se réalise l??cuménisme du sang, qui possède une particulière efficacité non seulement pour les contextes dans lesquels il a lieu, mais aussi, en vertu de la communion des saints, pour toute l?Eglise. Ceux qui tuent, qui persécutent les chrétiens en haine de la foi, ne leur demandent pas s'ils sont orthodoxes ou catholiques. Tous sont chrétiens. Le sang chrétien est le même".
S'adressant ensuite à SS Barthélémy et à l'assemblée, il a ajouté: "Mettons de côté les hésitations que nous avons héritées du passé et ouvrons notre c?ur à l?action de l?Esprit Saint, l?Esprit de l?Amour, pour cheminer ensemble vers le jour béni où nous retrouverons notre pleine communion. Sur ce chemin, nous nous sentons soutenus par la prière que Jésus lui-même, en cette Ville, la veille de sa passion a élevée vers son Père pour ses disciples, et que nous ne nous lassons pas de faire nôtre avec humilité: Qu?ils soient un? pour que le monde croie". Et quand la désunion nous rend pessimistes, peu courageux, méfiants, mettons nous tous sous la protection de la Sainte Mère de Dieu. Quand l'âme chrétienne connaît des turbulences spirituelles, c'est seulement sous le manteau de la Sainte Mère de Dieu que nous trouverons la paix. Qu'elle nous aide sur ce chemin". Enfin, le Pape et le Patriarche se sont embrassés en signe de paix et ont prié ensemble le Notre Père en italien, pendant que chacun le récitait dans sa propre langue. Ils sont ensuite entrés ensemble dans le Sépulcre pour vénérer la tombe vide, et sont sortis ensemble de la basilique pour bénir les fidèles. De la même façon, ils se sont rendus sur le Mont du Calvaire accompagnés des patriarches grec et arménien et du Custode de Terre Sainte pour vénérer le lieu de la mort et de la crucifixion de Jésus".
1964 : Paul VI en Terre sainte, un pèlerinage fondateur
Il y a cinquante ans, le pape Paul VI devenait le premier pape à se rendre en Terre sainte, et le premier depuis bien longtemps à quitter Rome.
Alors que le pape François s'apprête à marcher dans ses traces du 24 au 26 mai, retour sur cet événement historique.
Vingt siècles. C'est la durée du chapitre qu'a refermé Paul VI en se rendant en Terre sainte, du 4 au 6 janvier 1954. Avant lui, jamais pape ne s'était rendu là où le Christ a vécu.
C'était également la première fois depuis bien longtemps que le pape quittait Rome – à l'exception des exils forcés de Pie VI et Pie VII au XVIIIe siècle.
Et avec la rencontre entre Paul VI et le patriarche de Constantinople, Athénagoras, ce voyage devait également marquer la reprise du dialogue entre les Églises catholique et orthodoxe, après plus de mille ans de schisme.
> Dans nos archives : « Le message de Bethléem », par le P. Lucien Guissard, dans la Croix du 7 janvier 1964
Un pèlerinage plus qu'une visite
C'est Paul VI lui-même qui a décidé de la nature de son séjour en Terre sainte. Mais l'idée initiale lui avait été suggérée par un prêtre français, comme l'explique à La Croix Yves Chiron, historien et auteur d'une biographie de Paul VI (1) : « Un ancien prêtre-ouvrier français, le père Paul Gauthier, installé à Nazareth où il avait fondé une communauté à Nazareth, les "Compagnons et Compagnes de Jésus charpentier", avait écrit à Paul VI dès les premiers temps du pontificat pour l'inviter à venir en Terre sainte. L'idée a fait son chemin. En septembre 1963, dans une note personnelle, Paul VI avait défini l'esprit de ce que pourrait être un pèlerinage sur la terre où a vécu et où est mort le Christ : il souhaitait que le voyage ait un caractère "de simplicité, de piété, de pénitence et de charité." »
Et effectivement, « le voyage de Paul VI fut bref, mais dense », raconte Yves Chiron. « Il a parcouru tous les hauts lieux de la vie du Christ : la grotte de la Nativité à Bethléem, Nazareth, Cana, les bords du lac de Tibériade, Gethsémani, le Calvaire, le Saint-Sépulcre. » Il était même prévu que le pape remonte la Via Dolorosa en portant une croix, ce qui a été rendu impossible par la densité et l'agitation de la foule qui se pressait autour de lui.
> Dans nos archives : « Au Saint-Sépulcre, Paul VI est resté recueilli au sein d'une véritable cohue », reportage dans la Croix du 5 janvier 1964
Paul VI a éprouvé, dira-t-il, un « grand réconfort » que « Pierre, dans la personne de son humble successeur, ait pu retourner là d'où il est parti, là où l'Église est née et a fait ses premiers pas ».
Un contexte géopolitique délicat
Les voyages en Terre sainte de ses successeurs (Jean-Paul II en 2000, Benoît XVI en 2009) revêtiront un caractère plus officiel, avec par exemple la visite au mémorial de Yad Vashem, où Paul VI s'était contenté d'envoyer le cardinal Tisserant.
Mais la situation géopolitique et diplomatique de l'époque ne permettait guère autre chose qu'un pèlerinage. Les Lieux Saints, situés aujourd'hui en Israël, étaient alors en Jordanie. « L'état d'Israël n'était reconnu, à l'époque, par aucun état arabe, rappelle Yves Chiron ; le Vatican et Israël n'entretenaient pas non plus de relations diplomatiques ; et enfin dans les Lieux Saints eux-mêmes coexistaient, parfois difficilement, catholiques latins, catholiques orientaux et les différentes Églises orthodoxes. »
Pour son voyage, cependant, le pape François semble vouloir reprendre le bâton de pèlerin de Paul VI. Il a annoncé, mercredi 21 mai, que son voyage serait « strictement religieux » .
> Lire : Le pape François dans les pas de Paul VI en Terre sainte, sur le blog d'Isabelle de Gaulmyn
La fin de mille ans de schisme
C'est le patriarche de Constantinople qui est à l'origine de la rencontre avec Paul VI. « Dès qu'il a su par la presse que Paul VI se rendait en Terre sainte, Athénagoras a souhaité pouvoir le rencontrer là-bas, indique Yves Chiron. La rencontre a été préparée par le P. Duprey (2), envoyé par le pape à Constantinople. »
La réunion des responsables des deux Églises, qui n'avait plus eu lieu depuis 525 ans, fut un moment émouvant, à l'occasion duquel le pape prononça une allocution que La Croix publiait en intégralité dans son édition du mardi 7 janvier 1964. « Grande est notre émotion, déclarait Paul VI, profonde est notre joie en cette heure vraiment historique, où, après des siècles de silence et d'attente, l'Église catholique et le Patriarcat de Constantinople se retrouvent à nouveau en présence ».
> Dans nos archives : Le discours de Paul VI à Athénagoras, dans la Croix du 7 janvier 1964
Alors rédacteur en chef de La Croix, le P. Wenger avait assisté à la rencontre entre le pape et le patriarche. « Le Pape, dont les yeux vert-gris reflétaient la lumière des flashs, commença d'une voix ferme la lecture en latin de son adresse, écrivait-il. (…) Le patriarche est pâle et fait effort pour contenir son émotion. La main sur le cœur, il évite d'abord de regarder l'assistance en face. »
Échange de cadeaux
Après les allocutions, le patriarche et le successeur de Pierre s'échangent des présents. Pour Athénagoras, un calice, représentant la communion des deux Églises par l'Eucharistie. Et pour Paul VI, la croix pectorale symbolisant le gouvernement de l'Église par les évêques. En offrant ce cadeau, Athénagoras considère Paul VI comme un évêque de l'Église d'Orient. Puis ils lisent ensemble, en latin et en grec, le chapitre 17 de l'Évangile selon Saint Jean, la prière du Christ : « Qu'ils soient un afin que le monde croie ».
> Archives : « À Jérusalem, nous avons senti le passage du Seigneur », par le P. Antoine Wenger, dans la Croix du 5 janvier 1964
Surtout, « une décision importante fut prise, rappelle Yves Chiron : une commission serait créée où théologiens catholiques et orthodoxes se rencontreront et discuteront des questions doctrinales et disciplinaires qui divisent encore les deux Églises ».
Peu après cette rencontre, les Églises d'Orient et d'Occident levaient leurs excommunications respectives, des sentences prononcées en 1 054.
Un voyage fondateur
Qu'il s'agisse du rapprochement avec les orthodoxes ou du voyage en lui-même, les trois jours passés par Paul VI en Terre sainte ont fait date. « On pourrait dire que dans la dimension mondiale désormais de leurs voyages apostoliques, conclut Yves Chiron, la venue en Terre sainte est un passage obligé, comme un retour nécessaire aux sources. » De ce voyage de Paul VI, vient surtout l'habitude prise par les papes d'aller, partout dans le monde, à la rencontre des fidèles.
(1) Yves Chiron, Paul VI, Via Romana, 2008, 325 p.
(2) Pierre Duprey (1922-2007), Père Blanc, a été nommé Secrétaire du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens en 1983, puis évêque de Thibar en 1990.