Annoncée le 2 novembre, la visite exceptionnelle du patriarche maronite Béchara Raï en Arabie saoudite est aujourd’hui en suspens, après l’annonce surprise, deux jours plus tard, de la démission du premier ministre libanais Saad Hariri depuis Riyad, capitale saoudienne.
Dans une longue interview accordée à la chaîne nationale libanaise LBC, le cardinal Raï, principale figure chrétienne du pays du Cèdre, avait indiqué qu’il comptait se rendre « dans deux semaines » en Arabie saoudite. Il répondait ainsi à l’invitation inédite du roi saoudien Salmane et du prince héritier, Mohammed Ben Salmane.
« Le patriarche Raï réfléchit actuellement, en accord avec le président de la République, Michel Aoun (chrétien, NDLR.) au maintien ou non de cette visite », a indiqué à La Croix Walid Ghayad, responsable de la communication et du protocole à Bkerké, le Patriarcat maronite. « Il est clair que les récents événements sont de nature à la remettre en cause, mais rien n’est sûr à ce stade », a-t-il encore affirmé. Une réponse, assortie d’une date éventuelle pour cette visite d’une journée, pourrait être communiquée vendredi 10 ou samedi 11 novembre.
Pour l’heure, le cardinal Raï participe à la rencontre annuelle des patriarches orientaux au Liban. L’instabilité suscitée par le départ de Saad Hariri sera certainement au menu des discussions.
Inquiétudes quant à la déstabilisation du Liban
Dimanche 5 novembre, le patriarche maronite s’était d’ailleurs inquiété, dans une homélie dont des extraits ont été relayés par le quotidien libanais L’Orient Le Jour, d’un « plan de déstabilisation visant le pays ».
La démission du premier ministre marque, de fait, le regain de vigueur de la guerre d’influence que se livrent l’Arabie et l’Iran sur le sol libanais. Au Liban, le pouvoir est subtilement réparti entre chiites, sunnites et chrétiens, les trois principales communautés nationales. Les chiites sont sous protection iranienne et les sunnites évoluent à l’ombre de l’Arabie saoudite. Le retrait du principal chef sunnite d’un gouvernement d’union nationale composée il y a à peine un an représente donc un risque pour l’équilibre politique local… et régional.
Au moment de l’annonce de la visite du cardinal Raï, celle-ci avait été interprétée par les observateurs comme un signal d’ouverture envoyé par les Saoudiens, désireux de donner des gages à l’Occident. Le fils du roi a par ailleurs récemment manifesté son souhait de réformer l’islam dans le pays, l’un des plus rigoristes au monde.
« Cette visite pourrait marquer le début d’une nouvelle attitude de l’Arabie saoudite envers les autres religions », avait confirmé peu après à l’agence vaticane Fides le vicaire apostolique pour l’Arabie septentrionale, Mgr Camillo Ballin.
Mais derrière la diplomatie et les déclarations bienveillantes, les responsables catholiques ne sont pas dupes de la situation dans le royaume ultra-conservateur, où le 1,5 million de chrétiens résidant sur place – pour la plupart des Indiens ou Philippins – n’ont pas le droit de pratiquer leur culte de façon publique et où toute construction d’église est interdite. Le clergé d’autres religions que l’islam ne peut entrer dans le pays pour y exercer un ministère, et doit donc disposer d’une couverture. Le « prosélytisme » est formellement proscrit.
Voyages à la rencontre de la diaspora
Si la visite du patriarche avait effectivement lieu, ce serait le premier voyage officiel d’un responsable chrétien de ce niveau depuis les années 1970. À ce jour en effet, seuls deux patriarches grecs-orthodoxes ont effectué une visite en Arabie saoudite, la dernière remontant à 1975. Il s’agirait donc de la première visite d’un cardinal, alors même que Riyad n’entretient pas de rapports diplomatiques avec le Saint-Siège. Toutefois, en 2007, le roi Abdallah ben Abdulaziz Al Saud avait été reçu au Vatican par Benoît XVI.
Le patriarche Raï effectue de nombreux voyages à la rencontre de la diaspora libanaise dans le monde. De nombreux Libanais sont expatriés en Arabie saoudite, notamment chrétiens.
En 2013, il s’était rendu au Qatar, voisin ennemi de l’Arabie. En 2014, à l’occasion de la visite du pape François en Terre Sainte, il avait effectué une visite hautement controversée à Jérusalem et en Israël, à la rencontre des Libanais ayant quitté leur pays lors de la guerre de 2000 entre les deux voisins, qui n’entretiennent aucune relation diplomatique et sont toujours officiellement en conflit. Il était ainsi devenu le premier patriarche maronite à fouler le sol israélien depuis la naissance de l’État hébreu, en 1948.
Au cours de sa visite en Arabie saoudite, le patriarche Raï a indiqué qu’il prévoyait d’évoquer avec les responsables saoudiens la question de la possibilité, pour les chrétiens libanais, de se rendre en Terre Sainte. Actuellement, la loi libanaise le leur interdit.