Le printemps couvert de Beyrouth
26/06/2011 OLJ
Après les derniers accrochages qui ont eu lieu à Tripoli entre des partisans du régime syrien et ceux qui en dénoncent les abus, la capitale du Nord reste sous haute surveillance... et les Libanais retiennent leur souffle./ AFP
Éclairage Alors que la colère gronde en Syrie, tout le monde retient son souffle à Beyrouth, écrit
Caroline Fourest• dans Le Monde.fr. Par peur que les passions, qui couvent sous les cendres, ne se rallument. Entre prosyriens et anti-syriens. Pro-Hezbollah et anti-Hezbollah. Entre le Sud et le Nord. Entre chrétiens, druzes et musulmans.
Le scénario redouté est funeste mais crédible vu du pays du Cèdre. On y redoute un régime syrien prêt à tout pour sortir de l'ornière. Peut-il embraser le Liban, par exemple avec l'aide de ses alliés iraniens, pour détourner l'attention du face-à-face sanglant qui l'oppose à son peuple et déguiser sa répression en conflit international ? Dans le doute, mieux vaut ne pas tenter le diable.
C'est dans ce contexte qu'intervient la censure du film
Green Days de Hana Makhmalbaf sur le "printemps vert" en Iran. Il ne sera pas montré au festival international qui se tient à Beyrouth jusqu'au 26 juin. Au nom de la sûreté nationale. Comme des milliers d'autres avant lui, censurés quel que soit le contexte. Tant la culture partagée - et non individuelle - est vécue comme un risque de guerre civile au Liban.
Depuis sa naissance, le pays tremble à l'idée d'éveiller les passions confessionnelles et identitaires, qu'il n'a jamais réussi à fondre en nation. Sa vie ne tient qu'à un fil, mal cousu. Le couturier ayant eu la mauvaise idée de prendre modèle sur l'Empire ottoman. La guerre civile a montré que ce modèle, communautarisé à l'extrême mais présenté comme un facteur de paix, était une illusion. A la moindre bourrasque, il prend feu. Pour en sortir, il faudrait que le Liban cesse d'être l'otage des intérêts israéliens, syriens ou iraniens, et surtout qu'il se parle : de laïcité et d'intérêt commun. Mais comment se parler quand tout sujet qui fâche est interdit ?
On ne débat pas sereinement dans un pays qui sort de dix-sept ans de guerre civile. On se tait ou on tempête. Alors on se tait. Guerre, sexe et religion figurent en tête de liste des tabous. C'est l'enfer, pavé de bonnes intentions, avec lequel se débat la vie culturelle au Liban. Les Libanais, souvent hypercultivés, parlent de tout chez eux, mais ils ne peuvent parler de rien tous ensemble et en public. Tous les espaces artistiques et culturels - qui franchissent par nature les frontières des communautés - sont soumis à la censure, qui traite les Libanais comme des enfants et les séparent préventivement. Par peur de la bagarre.
Green Days en a fait les frais. Il avait pourtant beaucoup de choses à dire aux Libanais. Alexandre Najjar, avocat et écrivain, le rappelait dans ces pages (
Le Monde du 23 juin) : le vent du "printemps arabe" a soufflé au Liban bien avant la Tunisie et l'Égypte. En 2005, lorsque la "révolution du Cèdre" a permis de faire dégager l'occupant syrien. Quelques mois plus tard, des Iraniens descendaient dans la rue pour que Mahmoud Ahmadinejad, l'usurpateur, dégage lui aussi.
Green Days montre leur courage. Il a une première fois été interdit à Beyrouth, lors de la venue d'Ahmadinejad. Il l'est à nouveau, sur pression de l'ambassadeur iranien, qui estime que sa projection porte atteinte à la souveraineté de l'Iran. Drôle de conception de la souveraineté que celle qui porte atteinte à celle du Liban... Mais le gouvernement libanais a cédé. Comme toujours. Par peur d'éveiller le Hezbollah. Tout en sachant que les Libanais se précipiteront pour télécharger le film et le voir à l'abri de leurs maisons. Chacun chez soi. Jusqu'à la prochaine étincelle. La censure n'ayant jamais permis d'éteindre les passions que l'on refuse de regarder en face. Pas plus qu'elle n'empêchera l'ambassadeur iranien de voir la suite du Mouvement vert sur grand écran. Celui de l'histoire en marche.
•Caroline Fourest (Sans détour)
Essayiste et journaliste, rédactrice en chef de la revue "ProChoix", elle est l'auteure notamment de "La Dernière Utopie" (Grasset, 2009) et de "Marine Le Pen" (avec Fiammetta Venner) (Grasset, 400 pages).
http://lorientlejour.com/category/Liban/article/709798/Le_printemps_couvert_de_Beyrouth.html
Lire aussi:
Ce qu'on appelle le "printemps arabe" n'a pas vu le jour en Tunisie, il n'est pas né place Tahrir en Egypte. Il est le fruit du "printemps de Beyrouth" qui, en 2005, au lendemain de l'assassinat du premier ministre
Rafic Hariri, a attiré des centaines de milliers de Libanais - chrétiens, musulmans, druzes... pour une fois unis - qui ont manifesté place des Canons pour réclamer - et obtenir ! - le départ de l'armée syrienne qui occupait le pays depuis trente ans.
http://www.lemonde.fr/sujet/c892/rafic-hariri.html
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/22/le-printemps-arabe-est-ne-a-beyrouth_1539291_3232.html