L'orthodoxie à l'aube d'une nouvelle ère ?
Le monde orthodoxe l'attendait depuis au moins cinquante ans. On avait même fini par le rebaptiser « l'arlésienne de l'orthodoxie ». Les primats des Eglises orthodoxes réunis en synaxe la semaine dernière à Istanbul, ont annoncé la tenue d'un concile panorthodoxe, c'est-à-dire réunissant toutes les Eglises orthodoxes autocéphales qui se reconnaissent comme tel entre elles (14 Eglises), à Istanbul, à la Pentecôte 2016 en la cathédrale Sainte-Irène.L'événement serait historique car, pour mémoire, le dernier des 7 conciles œcuméniques reconnus par les Eglises orthodoxes est le Deuxième concile de Nicée qui s'est tenu en 787. Cette décision a été annoncée dans un communiqué signé par les principaux chefs d'Eglises orthodoxes, Bartholomée de Constantinople, Théodore d'Alexandrie, Théophile de Jérusalem, Cyrille de Moscou, Irénée de Serbie, Daniel de Roumanie, Néophyte de Bulgarie, Elie de Géorgie, Chrysostome de Chypre, Hiéronyme d'Athènes, Sawa de Varsovie et Anastase de Tirana. Soient 12 des 13 Eglises autocéphales présentes ou représentées. La délégation du Patriarcat d'Antioche (le Patriarche Jean X d'Antioche n'ayant pas pu prendre part à la Synaxe pour raison de santé) a en effet quitté la table samedi, estimant que la question du Qatar (le territoire relève de la juridiction canonique du patriarcat d'Antioche mais le patriarcat de Jérusalem a décidé d'y nommer un évêque en lui donnant le titre d'archevêque du Qatar) n'avait pas été traitée.
Témoigner pour le monde contemporain
Le « saint et grand synode de l'Eglise orthodoxe » répond à deux facteurs : le premier, conjoncturel, qui est l'élan actuel d'unité rencontré dans la sphère orthodoxe et, l'autre, prospectif, la volonté pour l'Eglise orthodoxe d'actualiser et de renouveler son témoignage dans le monde contemporain. « Cette synaxe des primats est une occasion bénie pour nous de renforcer notre unité dans la communion et la coopération, ont ainsi déclaré les primats dans leur communiqué. Nous affirmons notre engagement à l'importance primordiale de la synodalité de l'unité de l'Eglise. Nous affirmons les paroles de saint Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople, que "le nom de l'Eglise signifie l'unité et de la concorde et non de division." » Ainsi, parmi les thèmes qui devraient être débattus, on trouve des sujets délicats pour les Eglises orthodoxes : les autonomies, l'autocéphalie, l'avenir de la diaspora orthodoxe, les relations avec les autres Églises, les questions éthiques et sociales, le calendrier liturgique et la primauté.L'orthodoxie en quête de consensus
La tenue de ce Concile souhaité par Athénagoras en 1961 n'était pas gagnée. Le patriarcat de Moscou avait ainsi été accusé par les métropolites de Prousse et de Chalcédoine (du patriarcat de Constantinople) d'être hostile à la convocation d'un Concile. Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou avait récusé ces accusations tout en jugeant néanmoins les méthodes préparatoires employées « peu efficaces » : « Pour intensifier le processus préconciliaire, avait-il affirmé, il me semble qu'il faudrait mettre en place un organe panorthodoxe efficace, capable de mener les choses à bien. Si l'objectif est si important, il ne faut pas attendre plusieurs années pour les réunions de préparation, mais se réunir, disons, sur une base mensuelle. »La synaxe a visiblement pris acte de ces critiques et convenu que le travail préparatoire au Synode devrait être intensifié. « Ce qui est nouveau, explique Carol Saba, responsable de communication de l'Assemblée des évêques orthodoxes en France (AEOF), c'est déjà l'annonce d'une date, 2016, et un lieu, Constantinople, pour la tenue du Concile. Mais ce qui est aussi novateur, c'est la mise en place d'une architecture de préparation et d'organisation du Concile et de la représentation des Eglises. »
Un comité inter-orthodoxe spécial travaillera de septembre 2014 à Pâques de 2015. Ce travail sera suivi d'une conférence panorthodoxe pré-synodale convoquée au premier semestre de 2015. Et toutes les décisions seront prises, que ce soit dans les étapes préparatoires ou bien lors de la tenue du Concile, par consensus. Le « Saint et Grand Synode de l'Eglise orthodoxe » sera convoqué par le patriarche œcuménique de Constantinople en 2016, « à moins que quelque chose d'inattendu se produise », précise le communiqué des primats.
L'épine dans le Concile : la situation du Patriarcat d'Antioche
En effet, le départ de la délégation patriarcale du Patriarcat d'Antioche vers la fin de la synaxe et son refus de signer le communiqué final a jeté un froid. « En dépit du différend qui existe déjà depuis un an, le Patriarcat d'Antioche a tenu à être présent à la Synaxe et ses représentants ont participé à tous ses travaux, voire à la rédaction de la déclaration finale. Mais la situation relative au Qatar aurait dû être traitée par les primats en assemblée plénière au moment de la synaxe », regrette Carol Saba.Ainsi, ce n'est pas juste une question de conflit "territorial" entre le Patriarcat d'Antioche et celui de Jérusalem. « Elle met en cause l'ordre canonique des juridictions entre les Eglises orthodoxes défini dans le cadre des conciles œcuméniques alors que c'est par le respect mutuel de ces canons que s'exprime aussi l'unité de l'Eglise orthodoxe et que fonctionne son ecclésiologie de communion, poursuit Carol Saba. La synaxe a acté le principe du consensus et non de la majorité (qualifiée ou pas) dans le processus de préparation du Concile panorthodoxe et dans la mécanique de prise de décision lors du Concile. Cela signifie que toutes les Eglises devraient participer aux préparatifs et chacune d'elles, même la plus petite, aura un droit de véto sur les décisions qui devront être prises par consensus, à l'unanimité. »
Donc, rien ne pourra se faire sans le patriarcat d'Antioche, ce qui met aujourd'hui tout le monde devant leur responsabilité pour « trouver une issue favorable à la situation du Qatar acceptable pour le Patriarcat d'Antioche qui est le premier concerné par cette question. »
Quant à l'épineuse question des contours de la primauté d'honneur du patriarcat de Constantinople qui semble faire débat entre l'Eglise de Constantinople et celle de Moscou, elle semblerait avoir connu quelques avancées pendant la synaxe. « La dominante dans l'orthodoxie est la collégialité et non pas la primauté, analyse Carol Saba. L'orthodoxie reconnaît au patriarche Œcuménique de Constantinople une primauté d'honneur qui implique une diaconie de service sur le plan panorthodoxe mais pas une primauté au sens juridique du terme ou bien une quelconque forme de juridiction universelle sur l'orthodoxie. Ainsi, là aussi, s'il y a des divergences qui pourraient s'exprimer sur ce que peut faire ou ne pas faire le primat d'honneur de l'orthodoxie au nom de l'ensemble de l'Eglise orthodoxe, c'est peut être une question qui, in fine, s'ajoutera aux thèmes qu'abordera le Concile qui en déterminera définitivement le contours par consensus de l'ensemble des Eglises orthodoxes.».
Et si le Concile était retardé ? Quand on leur pose la question, les orthodoxes citent le patriarche Athénagoras : « Ce qui m'importe davantage que la tenue du saint et grand concile panorthodoxe, est que les orthodoxes apprennent à travailler ensemble pour préparer sa tenue. »
Envoyé de mon Ipad