Le patriarche maronite en Arabie saoudite au nom du dialogue interreligieux
Le cardinal libanais Béchara Raï effectue une visite officielle à Riyad les 13
et 14 novembre, afin de promouvoir le dialogue islamo-chrétien. Ce
déplacement intervient dans un contexte de grave crise entre l’Arabie
saoudite et le Liban.
Dialogue interreligieux ?
Marie Malzac
Officiellement, le patriarche maronite Béchara Raï, principale figure chrétienne du Liban,
est en Arabie saoudite pour parler dialogue interreligieux. Mais le contexte local donne
une teinte particulièrement à sa visite historique de deux jours dans la capitale du Royaume
wahhabite.
En effet, peu après l’annonce de ce déplacement inédit, le premier d’un responsable
catholique de ce niveau dans ce pays ultra-conservateur, le premier ministre libanais
Saad Hariri démissionnait… depuis Riyad. Depuis, il s’y trouve toujours.
Le cardinal Raï, arrivé le 13 novembre en fin de journée en Arabie saoudite, s’est d’abord
rendu à l’ambassade du Liban où l’attendaient les membres de la communauté libanaise à
Riyad. Dans une allocution prononcée à cette occasion, le patriarche maronite a rendu « un
vibrant hommage au roi Salmane ben Abdel Aziz, ainsi qu’au prince héritier Mohammad
ben Salmane pour l’attention qu’ils portent aux Libanais installés au royaume », rapporte
le quotidien libanais francophone L’Orient le Jour, alors qu’une importance délégation
médiatique accompagne le cardinal dans son voyage.
Ce discours a été l’occasion d’insister sur le sens de ce déplacement, la promotion du pluralisme
religieux et culturel. « Le Liban est une mosaïque et non pas une fusion où tout s’emmêle »,
a-t-il dit. « Dans trois ans, nous célébrerons le centenaire du Grand-Liban. Cet anniversaire
signifie surtout que le Liban ne va pas disparaître, un Liban où chrétiens et musulmans
continueront de coexister », a soutenu le patriarche.
Pas de politique donc dans son discours devant les Libanais de Riyad. Cependant, dans une
conversation avec la presse, le cardinal Raï « a indirectement affirmé soutenir l’appel du
premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, à une application rigoureuse de la politique de
distanciation, affirmant cependant souhaiter (qu’il) regagne Beyrouth pour en discuter de vive
voix », toujours selon le quotidien libanais.
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Le lendemain, mardi 14 novembre, le roi Salmane a reçu le patriarche maronite, une première
historique en Arabie saoudite qui intervient notamment au moment où Riyad accentue la
pression sur le Liban pour tenter d’isoler le Hezbollah, une formation chiite membre du
gouvernement libanais et considérée comme étant dans l’orbite de l’Iran.
Selon un communiqué de l’agence de presse saoudienne SPA, le cardinal Raï et le roi Salmane
ont insisté lors de leur rencontre sur « l’importance des différentes religions et cultures dans la
concrétisation du pardon et du rejet de la violence, de l’extrémisme et du terrorisme, de même
que l’instauration de la sécurité et la paix pour les peuples de la région et du monde ».
Le patriarche a également été reçu par le prince héritier Mohmmad ben Salmane et s’est
entretenu avec l’émir de Riyad, Fayçal ben Bandar ben Abdel Aziz, qui a offert un déjeuner
en l’honneur du chef de l’Église maronite. « La visite du patriarche Béchara Raï souligne
l’approche du royaume en faveur de la coexistence pacifique, de la proximité et de l’ouverture
à toutes les parties de la population arabe », a écrit sur Twitter le ministre saoudien chargé des
Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhan.
L’une des principales conséquences de cette visite pourrait être la fondation d’un Centre
international permanent de dialogue interreligieux. Instrumentalisation stratégique ou
signe d’une inflexion du pouvoir saoudien ? De nombreux Libanais espéraient que le
patriarche pourrait évoquer la question de la liberté de culte dans le Royaume, où la
construction
d’églises et l’exercice de membres du clergé autre que musulman sont formellement
interdits. Mais il est difficile de savoir officiellement si ce sujet aura été abordé dans les
discussions.
Reste que cette visite s’inscrit dans le cadre de gestes « d’ouverture » envoyés depuis quelque
temps par Riyad, capitale d’un pays où l’islam pratiqué est parmi les plus rigoristes au
monde. Le cardinal Raï sait certainement à quoi s’en tenir mais ne peut refuser les mains
tendues, dans un contexte régional délicat.
Le patriarche maronite a également eu l’occasion de s’entretenir, à huis clos, avec Saad Hariri,
qui se trouve toujours à Riyad et devrait revenir au Liban « dans deux jours », selon le
premier ministre. Le cardinal Raï s’est dit « convaincu » par les raisons avancées de sa
démission, alors que les observateurs estiment que l’Arabie saoudite a forcé la main au chef du
gouvernement libanais.
Marie Malzac , le 14/11/2017 à 17h57