Les acteurs politiques traditionnels (les Frères musulmans et l’armée) ont compris que les règles du jeu avaient changé et admis la nécessité des réformes. (...) Le mouvement somme les acteurs politiques traditionnels de mettre en place un espace politique démocratique.(4)
http://www.lexpressiondz.com/article/8/2011-04-28/88811.html
Proche-Orient. Ce n'est pas la première fois que le monde arabe est secoué par un vent de liberté.
Les six printemps arabes
http://www.valeursactuelles.com/histoire/actualit%C3%A9s/six-printemps-arabes20110428.html
Né en 1916 d’une révolte contre le sultan ottoman, le monde
arabe moderne n’a cessé de rêver à un “printemps” qui le “libérerait”
définitivement. Avec la complicité d’écrivains occidentaux.
Le monde arabe moderne est né au printemps 1916, quand les Arabes du Proche-Orient se sont soulevés contre les Turcs ottomans, maîtres de la région depuis le début du XVIe siècle. Les Turcs et les Arabes étaient séparés par la langue, mais unis par l’islam. Ce qui a précipité les choses, c’est la brutalité inouïe dont les premiers, alliés à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, ont fait preuve dès le début du conflit mondial, d’abord en organisant un génocide des minorités chrétiennes (Grecs du Pont et Arméniens) puis en éliminant les élites musulmanes non turques. Djamal Pacha, le gouverneur de Damas, fit arrêter des dizaines de notables et d’intellectuels arabophones en avril et en mai 1916. Vingt-deux d’entre eux, accusés de haute trahison, furent pendus en place publique.
Les Arabes, indignés, se sentent déliés de leur fidélité envers le sultan. Ce que met à profit l’émir hachémite du Hedjaz, Hussein ibn Ali. Depuis un an, ce potentat rusé – chérif, c’est-à-dire descendant du Prophète – songe à passer chez les Anglais. Il faut cependant un prétexte honorable : les atrocités de Damas font l’affaire.
Le 5 juin 1916, Hussein proclame « l’indépendance des Arabes » à La Mecque. Un mois plus tard, ses Bédouins s’emparent du petit port d’Akaba, sur la mer Rouge, et y brandissent pour la première fois un drapeau national arabe. Trois bandes horizontales : noire (la couleur des califes abbassides, qui portèrent l’Empire arabe à son apogée), verte (la couleur des Fatimides, qui régnèrent au Caire) et blanche (la couleur des Omeyyades, la première dynastie califale). Et près de la hampe, un triangle rouge (la couleur des Hachémites). Ironie de l’histoire : ce drapeau a été imaginé par Mark Sykes, un orientaliste du Foreign Office qui, au même moment, signe avec le Français François Georges-Picot un plan de partage de l’Orient.
Militairement, cette révolte arabe n’est pas grand-chose : quelques milliers de combattants, armés à la hâte par les Britanniques et commandés par un certain Thomas Edward Lawrence, officier anglo-irlandais parlant parfaitement l’arabe ; ceux-ci mènent des opérations de guérilla sur le flanc des Turcs. C’est l’armée britannique du général Edmund Allenby qui gagne la guerre, non sans difficultés, à l’automne 1918. Mais les Arabes croient redevenir un peuple majeur. Magnifiée par Lawrence dans quelques reportages, puis dans un livre étincelant paru en 1926, les Sept Piliers de la sagesse, cette croyance devient un fait en soi.
Selon les nationalistes arabes, l’insurrection de 1916 aurait dû conduire à la création d’un État unifié, capable de devenir une puissance mondiale. Avancée dès 1938 par le diplomate et historien George Habib Antonius dans son livre le Réveil arabe, cette thèse sera reprise par les mouvements nationalistes laïques des années 1950 et 1960 : le socialisme arabe de l’Égyptien Nasser et le baassisme syro-irakien.
Les islamistes (iraniens, égyptiens ou même turcs) ont proposé une interprétation différente. Selon eux, la révolte de 1916 n’était pas une insurrection nationaliste mais une renaissance religieuse, orientée moins contre l’Empire ottoman que contre ses ultimes dirigeants, “modernistes” et donc désislamisés. Les “masses arabes” se seraient soulevées en même temps que d’autres “masses islamiques”, de la Turquie elle-même (où les confréries musulmanes apportent initialement leur appui à Mustafa Kemal) à l’Inde (où se multiplient les émeutes), et du Rif franco-espagnol à l’Asie centrale russe. Et elles auraient continué à le faire, pour les mêmes raisons, de décennie en décennie. Dans ce second scénario, ce sont les nationalismes arabe, turc ou iranien qui auraient été les “fantoches” de l’Occident judéo-chrétien, en détournant le combat des croyants de son véritable objectif, l’instauration d’un nouveau califat et d’un nouvel empire musulman mondial.
Mais beaucoup de chercheurs contemporains, occidentaux ou arabes, contestent désormais ces schémas. Le Britannique Efraim Karsh, professeur au King’s College de Londres, a démontré que les États arabes constitués au lendemain de la Première Guerre mondiale exprimaient des aspirations locales réelles. D’autres auteurs ont souligné l’importance de facteurs démographiques, communautaires, tribaux, socio-éducatifs, économiques, dans les difficultés internes des pays arabes. Par exemple, le rôle d’ascenseur social des armées modernes : les jeunes officiers, souvent issus de milieux pauvres, entrent en conflit avec les élites civiles traditionnelles et finissent par les supplanter…
Quelque soit leur statut, tous les pays arabes sont en proie, durant les années 1920 et 1930, à des turbulences, des guerres civiles ou des crises de régime… Mais vers 1935, une “solution” se profile : le ralliement à une nouvelle forme de modernité, incarnée par l’Italie fasciste et l’Allemagne hitlérienne. En 1941, quand Rommel et l’Afrikakorps semblent sur le point de s’emparer de l’Égypte, un deuxième “printemps arabe” éclate. En Irak, un officier proallemand, Rachid Ali, prend le pouvoir le 1er avril ; en Égypte, un autre, Anouar al-Sadate, se prépare à l’imiter. Mais les Anglais renversent Rachid Ali et bloquent l’offensive de l’Afrikakorps à El-Alamein, contraignant Sadate et ses hommes à remettre leurs plans à plus tard.
La fin de la Seconde Guerre mondiale conduit à l’indépendance du Proche-Orient arabe. Mais aussi à deux changements géopolitiques qui seront ressentis comme de nouvelles colonisations : la création d’Israël, en 1948 ; l’essor d’une énorme industrie du pétrole, qui enrichit certains États arabes mais crée des liens symbiotiques avec la Grande-Bretagne et surtout les États-Unis.
Les pays arabes tentent d’écraser Israël en 1948. Ils sont vaincus. Humiliation et donc nouveau cycle de révolutions. Dès 1949, la Syrie passe sous une dictature militaire. En Jordanie, un jeune Palestinien assassine en 1951 le roi Abdallah, accusé de connivence avec l’État juif. En Égypte, le roi Farouk est contraint à l’exil en juillet 1952. Les officiers de l’ancien réseau Sadate prennent le pouvoir. En 1953, l’un d’entre eux, le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser instaure une dictature “nationaliste de gauche”. Après une ultime confrontation avec les Anglo-Français en 1956 et une nouvelle déroute devant Israël, il s’aligne sur l’URSS.
Les États-Unis ont cherché, dès 1955, à mettre en place une “Otan du Moyen-Orient”, afin de stabiliser la région : le pacte de Bagdad, qui réunit notamment la Turquie, l’Irak et l’Iran. En janvier 1957, le président Eisenhower présente sa “doctrine” devant le Congrès : Washington interviendra en faveur de tout pays du Moyen-Orient menacé par le communisme international. Ce soutien permet au roi Hussein de Jordanie, petit-fils d’Abdallah, d’écraser un putsch militaire nassérien lors d’un troisième “printemps arabe” avorté, en avril 1957.
Le quatrième “printemps”, le plus spectaculaire et le plus sanglant, commence en février 1958 : la Syrie accepte de fusionner avec l’Égypte de Nasser au sein d’une République arabe unie (RAU) qui, étrangement, se confédère bientôt avec l’une des monarchies les plus archaïques de la région, l’imamat zaydite du Yémen. En mai, une guerre civile éclate au Liban : entre chrétiens pro-occidentaux et musulmans pronassériens. Le 14 juillet, les héritiers de Rachid Ali prennent leur revanche en Irak, dans un putsch barbare, où le roi Fayçal II, son oncle et son premier ministre sont exécutés à la mitrailleuse, sans jugement. En novembre, enfin, les nassériens installent une dictature au Soudan. Le Liban et la Jordanie auraient pu tomber eux aussi : mais les marines américains débarquent à Beyrouth fin juillet, et les parachutistes britanniques à Amman.
Ces événements suscitent l’exaltation des foules arabes, qui y voient une double revanche : sur la Nakba (“catastrophe”) de 1920 et l’échec de 1941. En Occident, c’est Jacques Benoist-Méchin qui s’en fait le thuriféraire, dans Un printemps arabe, qui est aux Sept Piliers de Lawrence ce qu’une prose inspirée est à la poésie pure. Benoist-Méchin connaît son sujet : en 1941, il a tenté de promouvoir un axe proche-oriental entre le IIIeReich, la France de Vichy et l’Irak de Rachid Ali. Le général de Gaulle, qui avait admiré un autre livre de cet auteur, Histoire de l’armée allemande, trouve dans le Printemps arabe des notions qui servent à sa propre politique algérienne et orientale.
La RAU se désintègre dès 1961, la Syrie et le nouvel Irak subissent en moyenne un coup d’État ou une tentative de coup d’État tous les six mois. Nasser rêve d’un “cinquième printemps”, un embrasement de toutes les opinions arabes, qui serait décisif. C’est sans doute ce qui le pousse à reprendre la guerre avec Israël en 1967. La défaite, où il a entraîné la Syrie et la Jordanie, est abyssale. Il annonce sa démission à la radio, dans un de ces discours-fleuves dont il a le secret. Une foule immense envahit Le Caire pour le supplier de rester au pouvoir. Un référendum de la rue, qui consacre le pouvoir du verbe et du rêve.
L’ère des “printemps” paraît close. Il y a encore des troubles, des émeutes, des assassinats, des guerres. Mais aucun régime n’est renversé de l’intérieur (la monarchie iranienne, renversée en 1979, se situe en dehors du monde arabe ; et Saddam Hussein, en Irak, sera liquidé par les Américains). Inversement, tous survivent à la disparition éventuelle de leur chef : qu’il s’agisse de l’Égypte, où Sadate succède à Nasser, et Moubarak à Sadate ; de la Syrie, où Bachar al-Assad remplace son père Hafez ; de la Jordanie, où le roi Hussein, après quarante-six ans de règne, laisse le trône à son fils Abdallah II ; ou de l’Arabie Saoudite, où les fils d’Ibn Séoud règnent les uns après les autres.
Le sixième “printemps”, celui de 2011, a d’autant plus surpris les observateurs. Faut-il y voir, cette fois, un véritable mouvement démocratique, analogue aux révolutions qui, entre 1989 et 1991, ont libéré l’Europe de l’Est puis l’URSS du communisme ? Certes, le monde arabe a mûri pendant la longue “paix du roi” des quarante dernières années : croissance démographique et économique, apparition d’élites modernes. Mais la transition n’est pas achevée, quoi qu’en dise un Bernard-Henri Lévy, qui se veut sans doute l’héritier littéraire et médiatique de Lawrence… Bruno Rivière
Le monde arabe moderne est né au printemps 1916, quand les Arabes du Proche-Orient se sont soulevés contre les Turcs ottomans, maîtres de la région depuis le début du XVIe siècle. Les Turcs et les Arabes étaient séparés par la langue, mais unis par l’islam. Ce qui a précipité les choses, c’est la brutalité inouïe dont les premiers, alliés à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, ont fait preuve dès le début du conflit mondial, d’abord en organisant un génocide des minorités chrétiennes (Grecs du Pont et Arméniens) puis en éliminant les élites musulmanes non turques. Djamal Pacha, le gouverneur de Damas, fit arrêter des dizaines de notables et d’intellectuels arabophones en avril et en mai 1916. Vingt-deux d’entre eux, accusés de haute trahison, furent pendus en place publique.
Les Arabes, indignés, se sentent déliés de leur fidélité envers le sultan. Ce que met à profit l’émir hachémite du Hedjaz, Hussein ibn Ali. Depuis un an, ce potentat rusé – chérif, c’est-à-dire descendant du Prophète – songe à passer chez les Anglais. Il faut cependant un prétexte honorable : les atrocités de Damas font l’affaire.
Le 5 juin 1916, Hussein proclame « l’indépendance des Arabes » à La Mecque. Un mois plus tard, ses Bédouins s’emparent du petit port d’Akaba, sur la mer Rouge, et y brandissent pour la première fois un drapeau national arabe. Trois bandes horizontales : noire (la couleur des califes abbassides, qui portèrent l’Empire arabe à son apogée), verte (la couleur des Fatimides, qui régnèrent au Caire) et blanche (la couleur des Omeyyades, la première dynastie califale). Et près de la hampe, un triangle rouge (la couleur des Hachémites). Ironie de l’histoire : ce drapeau a été imaginé par Mark Sykes, un orientaliste du Foreign Office qui, au même moment, signe avec le Français François Georges-Picot un plan de partage de l’Orient.
Militairement, cette révolte arabe n’est pas grand-chose : quelques milliers de combattants, armés à la hâte par les Britanniques et commandés par un certain Thomas Edward Lawrence, officier anglo-irlandais parlant parfaitement l’arabe ; ceux-ci mènent des opérations de guérilla sur le flanc des Turcs. C’est l’armée britannique du général Edmund Allenby qui gagne la guerre, non sans difficultés, à l’automne 1918. Mais les Arabes croient redevenir un peuple majeur. Magnifiée par Lawrence dans quelques reportages, puis dans un livre étincelant paru en 1926, les Sept Piliers de la sagesse, cette croyance devient un fait en soi.
Selon les nationalistes arabes, l’insurrection de 1916 aurait dû conduire à la création d’un État unifié, capable de devenir une puissance mondiale. Avancée dès 1938 par le diplomate et historien George Habib Antonius dans son livre le Réveil arabe, cette thèse sera reprise par les mouvements nationalistes laïques des années 1950 et 1960 : le socialisme arabe de l’Égyptien Nasser et le baassisme syro-irakien.
Les islamistes (iraniens, égyptiens ou même turcs) ont proposé une interprétation différente. Selon eux, la révolte de 1916 n’était pas une insurrection nationaliste mais une renaissance religieuse, orientée moins contre l’Empire ottoman que contre ses ultimes dirigeants, “modernistes” et donc désislamisés. Les “masses arabes” se seraient soulevées en même temps que d’autres “masses islamiques”, de la Turquie elle-même (où les confréries musulmanes apportent initialement leur appui à Mustafa Kemal) à l’Inde (où se multiplient les émeutes), et du Rif franco-espagnol à l’Asie centrale russe. Et elles auraient continué à le faire, pour les mêmes raisons, de décennie en décennie. Dans ce second scénario, ce sont les nationalismes arabe, turc ou iranien qui auraient été les “fantoches” de l’Occident judéo-chrétien, en détournant le combat des croyants de son véritable objectif, l’instauration d’un nouveau califat et d’un nouvel empire musulman mondial.
Mais beaucoup de chercheurs contemporains, occidentaux ou arabes, contestent désormais ces schémas. Le Britannique Efraim Karsh, professeur au King’s College de Londres, a démontré que les États arabes constitués au lendemain de la Première Guerre mondiale exprimaient des aspirations locales réelles. D’autres auteurs ont souligné l’importance de facteurs démographiques, communautaires, tribaux, socio-éducatifs, économiques, dans les difficultés internes des pays arabes. Par exemple, le rôle d’ascenseur social des armées modernes : les jeunes officiers, souvent issus de milieux pauvres, entrent en conflit avec les élites civiles traditionnelles et finissent par les supplanter…
Quelque soit leur statut, tous les pays arabes sont en proie, durant les années 1920 et 1930, à des turbulences, des guerres civiles ou des crises de régime… Mais vers 1935, une “solution” se profile : le ralliement à une nouvelle forme de modernité, incarnée par l’Italie fasciste et l’Allemagne hitlérienne. En 1941, quand Rommel et l’Afrikakorps semblent sur le point de s’emparer de l’Égypte, un deuxième “printemps arabe” éclate. En Irak, un officier proallemand, Rachid Ali, prend le pouvoir le 1er avril ; en Égypte, un autre, Anouar al-Sadate, se prépare à l’imiter. Mais les Anglais renversent Rachid Ali et bloquent l’offensive de l’Afrikakorps à El-Alamein, contraignant Sadate et ses hommes à remettre leurs plans à plus tard.
La fin de la Seconde Guerre mondiale conduit à l’indépendance du Proche-Orient arabe. Mais aussi à deux changements géopolitiques qui seront ressentis comme de nouvelles colonisations : la création d’Israël, en 1948 ; l’essor d’une énorme industrie du pétrole, qui enrichit certains États arabes mais crée des liens symbiotiques avec la Grande-Bretagne et surtout les États-Unis.
Les pays arabes tentent d’écraser Israël en 1948. Ils sont vaincus. Humiliation et donc nouveau cycle de révolutions. Dès 1949, la Syrie passe sous une dictature militaire. En Jordanie, un jeune Palestinien assassine en 1951 le roi Abdallah, accusé de connivence avec l’État juif. En Égypte, le roi Farouk est contraint à l’exil en juillet 1952. Les officiers de l’ancien réseau Sadate prennent le pouvoir. En 1953, l’un d’entre eux, le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser instaure une dictature “nationaliste de gauche”. Après une ultime confrontation avec les Anglo-Français en 1956 et une nouvelle déroute devant Israël, il s’aligne sur l’URSS.
Les États-Unis ont cherché, dès 1955, à mettre en place une “Otan du Moyen-Orient”, afin de stabiliser la région : le pacte de Bagdad, qui réunit notamment la Turquie, l’Irak et l’Iran. En janvier 1957, le président Eisenhower présente sa “doctrine” devant le Congrès : Washington interviendra en faveur de tout pays du Moyen-Orient menacé par le communisme international. Ce soutien permet au roi Hussein de Jordanie, petit-fils d’Abdallah, d’écraser un putsch militaire nassérien lors d’un troisième “printemps arabe” avorté, en avril 1957.
Le quatrième “printemps”, le plus spectaculaire et le plus sanglant, commence en février 1958 : la Syrie accepte de fusionner avec l’Égypte de Nasser au sein d’une République arabe unie (RAU) qui, étrangement, se confédère bientôt avec l’une des monarchies les plus archaïques de la région, l’imamat zaydite du Yémen. En mai, une guerre civile éclate au Liban : entre chrétiens pro-occidentaux et musulmans pronassériens. Le 14 juillet, les héritiers de Rachid Ali prennent leur revanche en Irak, dans un putsch barbare, où le roi Fayçal II, son oncle et son premier ministre sont exécutés à la mitrailleuse, sans jugement. En novembre, enfin, les nassériens installent une dictature au Soudan. Le Liban et la Jordanie auraient pu tomber eux aussi : mais les marines américains débarquent à Beyrouth fin juillet, et les parachutistes britanniques à Amman.
Ces événements suscitent l’exaltation des foules arabes, qui y voient une double revanche : sur la Nakba (“catastrophe”) de 1920 et l’échec de 1941. En Occident, c’est Jacques Benoist-Méchin qui s’en fait le thuriféraire, dans Un printemps arabe, qui est aux Sept Piliers de Lawrence ce qu’une prose inspirée est à la poésie pure. Benoist-Méchin connaît son sujet : en 1941, il a tenté de promouvoir un axe proche-oriental entre le IIIeReich, la France de Vichy et l’Irak de Rachid Ali. Le général de Gaulle, qui avait admiré un autre livre de cet auteur, Histoire de l’armée allemande, trouve dans le Printemps arabe des notions qui servent à sa propre politique algérienne et orientale.
La RAU se désintègre dès 1961, la Syrie et le nouvel Irak subissent en moyenne un coup d’État ou une tentative de coup d’État tous les six mois. Nasser rêve d’un “cinquième printemps”, un embrasement de toutes les opinions arabes, qui serait décisif. C’est sans doute ce qui le pousse à reprendre la guerre avec Israël en 1967. La défaite, où il a entraîné la Syrie et la Jordanie, est abyssale. Il annonce sa démission à la radio, dans un de ces discours-fleuves dont il a le secret. Une foule immense envahit Le Caire pour le supplier de rester au pouvoir. Un référendum de la rue, qui consacre le pouvoir du verbe et du rêve.
L’ère des “printemps” paraît close. Il y a encore des troubles, des émeutes, des assassinats, des guerres. Mais aucun régime n’est renversé de l’intérieur (la monarchie iranienne, renversée en 1979, se situe en dehors du monde arabe ; et Saddam Hussein, en Irak, sera liquidé par les Américains). Inversement, tous survivent à la disparition éventuelle de leur chef : qu’il s’agisse de l’Égypte, où Sadate succède à Nasser, et Moubarak à Sadate ; de la Syrie, où Bachar al-Assad remplace son père Hafez ; de la Jordanie, où le roi Hussein, après quarante-six ans de règne, laisse le trône à son fils Abdallah II ; ou de l’Arabie Saoudite, où les fils d’Ibn Séoud règnent les uns après les autres.
Le sixième “printemps”, celui de 2011, a d’autant plus surpris les observateurs. Faut-il y voir, cette fois, un véritable mouvement démocratique, analogue aux révolutions qui, entre 1989 et 1991, ont libéré l’Europe de l’Est puis l’URSS du communisme ? Certes, le monde arabe a mûri pendant la longue “paix du roi” des quarante dernières années : croissance démographique et économique, apparition d’élites modernes. Mais la transition n’est pas achevée, quoi qu’en dise un Bernard-Henri Lévy, qui se veut sans doute l’héritier littéraire et médiatique de Lawrence… Bruno Rivière
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