LA CROIX -BENJAMIN QUÉNELLE (à Moscou), le 20/08/2017 à 16h24
Mis à jour le 20/08/2017 à 17h50
Le secrétaire d’État du Saint-Siège entame dimanche 20 août une visite de quatre jours en Russie, au cours de laquelle il rencontrera le président Vladimir Poutine et le patriarche orthodoxe Kirill de Moscou.
Alors que l’hypothèse d’un voyage papal devrait être évoquée, elle suscite sur place des réactions mitigées.
« Votre pape est le bienvenu ! » À la sortie du service matinal de Saint-Philippe, simple petite église orthodoxe du centre de Moscou, les fidèles hésitent entre enthousiasme et indifférence face aux nouvelles rumeurs sur un hypothétique voyage en Russie du pape François.
Un sujet au cœur de la visite de cinq jours qui débute dimanche 20 août, du cardinal Pietro Parolin, numéro deux du Vatican, reçu par le président Vladimir Poutine, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov et, bien sûr, le patriarche Kirill.
« Je ne vois aucune raison de s’opposer à la venue du pape », s’exclame Valentina, 51 ans, habituée de l’église Saint-Philippe. « Nos deux peuples croient en Dieu. Les mariages se multiplient même entre catholiques et orthodoxes. À Moscou, le pape apprendra beaucoup sur nos rites et liturgies », espère-t-elle.
Méfiance à l’égard du Vatican
« Que le pape vienne ! Mais cette visite nous intéresse peu. Cela ne changera rien… », nuance toutefois Viktor, 42 ans, sur le parvis ombragé de Saint-Philippe. Une église et des commentaires parmi bien d’autres à Moscou où, derrière l’indifférence, ressurgissent souvent les vieilles méfiances.
« Les catholiques font de cette possible visite du pape une grande affaire. Si elle a lieu, cela sera un moment historique. Mais rien de plus », prévient ainsi le Père Roman, l’un des jeunes membres du clergé de Saint-Philippe. « N’oublions pas l’histoire ! Les problèmes passés doivent nous rappeler qu’il faut se méfier des initiatives du Vatican : il a longtemps cherché à mettre la main sur la Russie. Non, nous ne tomberons jamais sous le primat de Rome ! Le pape doit le savoir avant de venir ici », insiste ce prêtre, visage souriant mais verbe intransigeant.
600 000 catholiques de Russie
Officiellement, le Patriarcat orthodoxe assure « ne plus avoir de problèmes avec les catholiques » mais, dans les églises à Moscou, de vieux différends religieux reviennent régulièrement dans les discussions. Et, au sein même du clergé orthodoxe, la jalousie vis-à-vis du Vatican s’accompagne encore de soupçons sur les prétendues velléités de prosélytisme catholique.
Pour des raisons politiques et religieuses, les autorités russes n’ont ainsi jamais autorisé Jean-Paul II à venir en Russie pour y voir les 600 000 catholiques, contrariant ses souhaits pourtant maintes fois répétés. Le contexte a toutefois changé. Le pape François est bien vu à Moscou. D’autant plus qu’il n’a jamais rien dit d’irritant contre la politique du Kremlin.
Visiteur régulier au Vatican, Vladimir Poutine profite de chacune de ses rencontres avec des officiels du Saint-Siège pour, en pleines tensions avec l’Union européenne sur l’Ukraine et la Syrie, mettre au contraire en scène son « ouverture » au monde occidental.
Rencontre de Cuba
Sans en être l’initiateur, le président aurait d’ailleurs pleinement participé à l’organisation de la rencontre entre le pape et le patriarche, le 12 février 2016, à Cuba. Le premier sommet de l’histoire entre les deux principaux dirigeants des chrétiens d’Orient et d’Occident séparés depuis le schisme de 1054.
Depuis, la rencontre de Cuba a servi d’accélérateur. « La visite cette semaine de Pietro Parolin s’inscrit dans la normalisation des rapports. Ces derniers mois, les discours du Patriarcat ont d’ailleurs pris un tour plus conciliant avec le Saint-Siège, insistant sur le besoin de dialogue », relève Jean-François Thiry, directeur de la Bibliothèque de l’esprit, rare lieu à Moscou de rencontres œcuméniques entre catholiques et orthodoxes. « Mais les vieilles méfiances, entretenues depuis trente ans, ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Depuis la rencontre de Cuba, les plus conservateurs dans le clergé orthodoxe se sont mêmes radicalisés »,s’inquiète-t-il.
Les traditionalistes se focalisent notamment sur les différends historiques en Ukraine où les catholiques sont accusés de faire du prosélytisme. « Ils y jouent un double jeu et veulent étendre leur influence en Russie », soupçonne le Père Vsevolod Chaplin, ex-porte-parole du Patriarcat et influente voix conservatrice. Il le promet : « Si la visite papale se concrétise, voulue par la frange la plus libérale du Patriarcat, il y aura des protestations ! »
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