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Le cri d'alarme du patriarche des chrétiens d'Irak
FIGAROVOX/LIVRE- Dans un livre d'entretiens avec Laurence Desjoyaux, journaliste spécialiste des chrétiens d'Orient, le patriarche de Bagdad Louis Raphaël Sako lance un appel à l'aide en faveur de l'Eglise d'Irak. Pierre Jova l'a lu pour FigaroVox.
Les chrétiens d'Irak sont appelés parfois «chrétiens de saint Thomas», car ils furent évangélisés par l'apôtre. De saint Thomas, on connaît son incrédulité, son refus de croire en la résurrection du Christ tant qu'il ne l'a pas vu. On connaît moins sa fougue et sa générosité, qui éclatent à la lecture des évangiles: «Allons, nous aussi, et nous mourrons avec lui» (Jn 11:16) s'exclame-t-il par fidélité envers Jésus.
C'est la même détermination que l'on retrouve dans ce livre d'entretiens de Mgr Louis Raphaël Sako, patriarche chaldéen de Bagdad, désigné en 2013. Celui qui veille sur la majorité des chrétiens d'Irak, appartenant à l'Église chaldéenne, une Église orientale unie à Rome, témoigne des conditions héroïques dans lesquelles ses fidèles vivent leur foi.
Un témoin de l'histoire irakienne
Né à Zakho, ville du Kurdistan irakien, en 1948, au sein d'une famille chrétienne, Louis Raphaël Sako entre à 14 ans pour devenir prêtre au petit séminaire de Mossoul, alors tenu par des dominicains français. Il reçoit la consigne de ne parler que le français et non l'arabe! Ordonné prêtre en 1974, il est le témoin de quarante ans d'histoire irakienne. Lors de la guerre Iran-Irak, le jeune prêtre va trouver en personne Saddam Hussein pour être exempté du service militaire. Le dictateur lui lance alors: «priez pour moi!» Pasteur au milieu de ses fidèles, Louis Sako vit avec eux les douze ans d'embargo américain, qu'il qualifie de «guerre menée contre la population». Il est élu évêque de Kirkouk en 2002, peu de temps avant l'invasion de l'Irak et la chute du régime de Saddam Hussein. Des évènements qui marquent l'heure des ténèbres pour les chrétiens irakiens.
Dans le chaos qui déchire le pays, les chrétiens, dépourvus de milices et bien représentés dans les classes moyennes, constituent une proie facile pour les enlèvements. Des milliers de personnes sont ainsi rançonnées. Des attentats ciblés poussent les chrétiens à abandonner certains quartiers de Bagdad. Le 31 octobre 2010, des hommes armés investissent la cathédrale syriaque catholique de la capitale, en pleine messe, et assassinent des dizaines de fidèles. Un massacre que Mgr Sako hésite à attribuer à Al-Qaïda, tant les ramifications entre groupes insurgés et terroristes en Irak sont complexes.
Face à Daech, aucun chrétien n'abjure sa foi
Sur le million de chrétiens qui vivaient en Irak avant l'invasion américaine, ils ne sont plus de 300 ou 200 000. Nombre d'entre eux avaient fui les violences de Bagdad pour Mossoul et sa région. Mais c'est précisément là que l'État islamique, fort du soutien des tribus sunnites et des anciens fidèles de Saddam Hussein, lance une offensive-éclair, en juin 2014. La seconde ville d'Irak et ses environs tombent comme un fruit mûr. Au départ, le doute subsiste sur les intentions des nouveaux conquérants. Puis, le 17 juillet, l'ultimatum tombe: les chrétiens ont le choix entre se convertir à l'islam, payer la taxe des non-musulmans, ou fuir en abandonnant leurs biens. Tous prennent le chemin de l'exil.
Ainsi, les chrétiens de la région de Mossoul ont préféré tout quitter, et se réfugier dans des conditions dramatiques au Kurdistan, plutôt que d'abjurer leur foi. Un courage ordinaire que Mgr Sako explique simplement: «en Orient, la religion fait partie intégrante de l'homme, lui est incorporée, il en est comme pétri. (…) On ne peut pas l'extraire. C'est une expérience mystique. Pour nous, chrétiens, la foi est la chose la plus grande pour laquelle on est prêt à se sacrifier. Croire, c'est être.» Rien de moins.
Une lumière dans l'obscurité
Ce récit du calvaire des chrétiens d'Irak n'est cependant pas dénué d'espérance. Mgr Sako donne des exemples concrets de la solidarité dont font preuve les musulmans à leur égard, du voisin à l'ayatollah chiite. Il évoque le quotidien de l'Église chaldéenne, confrontée aux pires difficultés, et qui continue d'œuvrer à la paix entre les communautés sunnite et chiite dans un Irak déchiré, ainsi qu'à l'évangélisation. Le patriarche parle des musulmans convertis, du rôle des écoles chrétiennes, de la vitalité des familles restées sur place: «Malgré tout, aujourd'hui à Bagdad, il y a encore mille cinq cents enfants au catéchisme! Notre Église est vivante!»
Le patriarche de Bagdad est accompagné dans son récit par Laurence Desjoyaux, journaliste à La Vie qui se rend fréquemment en Irak, et qui a mené les entretiens, et par le cardinal archevêque de Lyon Philippe Barbarin, défenseur des chrétiens chassés de Mossoul, qui préface l'ouvrage. Leur présence donne à l'ouvrage toute sa signification pour le lecteur français. Ne nous oubliez pas! est en effet bien davantage qu'un témoignage, ou une synthèse pédagogique utile à tous ceux qui s'intéresseraient à l'Irak. C'est un appel à la conscience de l'Occident, et de la France. Les chrétiens d'Irak ne veulent pas disparaître de leur terre. En ne les oubliant pas, leurs coreligionnaires d'Occident ne font que répondre à l'appel que Dieu lance à Caïn dans les premières pages de la Bible: «Qu'as-tu fait de ton frère?» (Gn 4, 9)
Mgr Louis Raphaël Sako, Ne nous oubliez pas!, entretiens avec Laurence Desjoyaux, Bayard, 155 pages, 16€90
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