A Mar Matta, les moines sont sur la ligne de front
InternationalPour monter au monastère de Mar Matta, au nord-est de l'Irak, il faut emprunter une route à lacets qui grimpe jusqu'à 600 mètres d'altitude. Au bout du chemin, lovée dans la falaise, s'élève une grande bâtisse ocre aux pieds de laquelle s'étire une terrasse. Bienvenue chez les moines résistants, qui de leur abri contemplent la plaine de Ninive, sa montagne jaune, et au loin, la ville de Mossoul, conquise par le groupe djihadiste de l'Etat islamique (EI ou Daech) . A plusieurs dizaines de kilomètres, un champignon de fumée noire s'élève dans le ciel, causé par une frappe aérienne de la coalition internationale.
"Nous vivons sur la ligne de front", dit le moine Joseph, un syriaque orthodoxe dont le patriarche est basé à Damas. "Dieu nous a promis que nous serions persécutés. Vivre avec les musulmans de Mossoul, c'est impossible. C'est fini. Il y a un plan pour évincer les chrétiens du Moyen-Orient. Les chrétiens ont été les premiers ici. Il n'y a presque plus personne. Si des familles chrétiennes veulent aller en Europe, il faut les accueillir. Il n'y a plus d'avenir pour eux ici."
Joseph attend avec ses six frères moines que Daech en termine avec la présence deux fois millénaire des chrétiens dans la région. Il semble se résigner à un noir destin malgré la présence en bas de la colline d'une base de peshmergas kurdes et le fait que la ligne de front, à six kilomètres de là, n'a guère bougé depuis des mois.
Il y a près d'un an, le 6 août 2014, tout a basculé avec l'offensive fulgurante de Daech dans la plaine de Ninive. Les bourgs chrétiens de Qaraqosh, Bartella, Bashika, Talkaif ont été capturés, ses habitants refusant de se soumettre aux envahisseurs. Le monastère de Mar Matta fut une étape dans leur fuite. Ceux-ci s'y arrêtaient avant de gagner Erbil ou Dohuk, dans le Kurdistan irakien. Les moines, eux aussi, fuirent.
Aujourd'hui, protégées par les Kurdes, six familles y vivent. Des habitants de Bagdad sont venus goûter la fraîcheur des lieux alors que les températures en plaine flirtent avec les 40 degrés. Mar Matta a toujours été un lieu de tourisme et de cure que Saddam Hussein appréciait également.
En attendant l'armée irakienne
Mar Matta a été fondé au IVe siècle par un ermite venu de Diyarbakir, dans la Turquie actuelle, devenu saint Matthieu. Il s'installa dans des grottes de la falaise, bientôt suivi par d'autres moines. Il ne reste plus rien du bâtiment original qui a dans premier temps brûlé avant de faire l'objet, au cours des siècles, d'incessantes attaques de Kurdes. Par un curieux retour des choses, ce sont les Kurdes qui le protègent aujourd'hui.
Le monastère ne risque pas grand-chose, affirme au camp d'en bas le commandant Hamid Arandi, "c'est difficile pour Daech, à cette distance, de le bombarder". Les peshmergas défendent une ligne de front sur une crête de montagnes qui s'étend jusqu'à Dohuk. Ils subissent d'incessantes attaques de Daech, surtout la nuit et par des attaques suicides. "Nous avons subi plus de nonante attaques suicides, mais nous les avons tués avant qu'ils n'atteignent nos lignes. Je crois que nous avons tué un millier de combattants de Daech", assure le commandant. Comme ailleurs sur le front, le chef peshmerga se dit prêt à prendre l'offensive dès que l'armée irakienne, formée en accéléré par les occidentaux, notamment par une trentaine de soldats belges à Bagdad, sera prête.
Par sécurité, les moines ont mis à l'abri leurs manuscrits, dont une copie des lettres de saint Paul datant de 1100 ans, ainsi que certains os de saint Matthieu. La tombe de l'ermite fondateur se trouve toujours dans une grotte annexée à l'église, protégée par une vitre.
Une première
Escortée par des peshmergas, une délégation d'évêques belges a rendu visite la semaine dernière à ce monastère. Son supérieur, l'évêque Moïse, les a vivement remerciés. "C'est la première délégation, à ce niveau, venant de l'extérieur de l'Irak", a-t-il dit. "Vous avez le courage dans vos cœurs et l'aide de Dieu."
"J'ai pensé aux moines de Tibéhirine" en Algérie, "qui restent malgré le danger", a réagi Jozef De Kesel, évêque de Bruges. "Le père m'a dit qu'il n'y avait pas d'avenir ici. C'est peut-être la fin du christianisme dans cette région. Ce serait une énorme perte culturelle pour le monde et le Moyen-Orient."
Jtk