Le problème libanais est systémique
Depuis l'élection du président de la République, le 31 octobre, par une Chambre des députés autoprorogée, les tractations honteuses auxquelles se livre la classe politique libanaise pour la formation du gouvernement démontrent que le vrai, le seul et l'unique problème du Liban est son organisation légale, politique et sociétale. Au mépris du peuple libanais, cette classe politique qui domine le pays depuis 40 ans essaye de se répartir les ministères comme les parts d'un gâteau, chicanant sur les ministères régaliens, de services, ou secondaires.
Ces tractations se font entre quatre murs, les Libanais devant se contenter de photos de poignées de main entre gens cravatés entourés de gardes du corps et circulant en convois blindés à coup de sirènes hurlantes. Même les autorités religieuses sont consultées... À quel titre ? Sont-elles une instance constitutionnelle ?
Ont-elles été élues par le peuple ? Sont-elles des organes de l'État ? Le Liban politique ressemble furieusement à la royauté française avant la Révolution. Une aristocratie politique au pouvoir absolu, dont aucun des partis ne peut pourtant aligner plus de 20 000 partisans, le deuxième pouvoir, les religieux de tous bords, élus par personne mais faisant la pluie et le beau temps, et le tiers État, la société civile issue du peuple, mais n'ayant aucun pouvoir.
Devons-nous blâmer les membres de la classe politique à titre individuel comme le font de nombreux commentateurs ? Probablement pas ! La particularité de l'homme, politique ou pas, est de s'adapter et de tirer le meilleur de l'écosystème dans lequel il évolue... Qui peut blâmer les hommes politiques et les forces politiques en présence de tirer parti d'un système comportant un vice de structure fondamental depuis sa création ? En effet, le problème du Liban depuis 73 ans est systémique.
Lorsque nos pères fondateurs héritèrent du Grand Liban en 1943, une entité politique nouvelle recouvrant une identité nationale millénaire, ils commirent deux erreurs fondamentales. La première fut de diviser en droit le nouveau peuple libanais. En effet, ayant incorporé l'intégralité des droits constitutionnels, administratifs, judiciaire et commercial français, ils refusèrent d'incorporer l'essence du droit, le droit du statut personnel, naissance, filiation, mariage, divorce et succession, les droits fondamentaux de la vie en société et en laissèrent la compétence aux tribunaux religieux des 18 communautés, leur donnant ainsi la prérogative d'appliquer aux citoyens libanais des droits différents, des lois que nul Parlement démocratique ou républicain n'a jamais voté. Au lieu de bâtir l'identité nationale de la nouvelle République libanaise, nos pères fondateurs ont inscrit dans le marbre le droit de la division communautaire des Libanais, les empêchant depuis 73 ans d'être libanais avant d'être communautaires.
Cette division identitaire a affaibli structurellement la nation libanaise en la divisant au lieu de l'unir dans l'identité nationale. Cette organisation juridique est pourtant contraire à la Constitution libanaise. « Le peuple est le détenteur de la souveraineté qu'il exerce à travers les institutions constitutionnelles » et « il n'est point de discrimination entre la population fondée sur une quelconque allégeance », dit-elle en préambule. La délégation de la justice du statut personnel aux tribunaux religieux a divisé les Libanais en créant une inégalité des citoyens devant la loi. Or l'article 7 de la Constitution pose le principe fondamental de toute république : « Tous les Libanais sont égaux devant la loi. »
La deuxième erreur commise par nos pères fondateurs fut de rajouter la division politique à la division juridique. En superposant le pacte national à la Constitution républicaine, nos pères fondateurs ont inscrit la division communautaire dans les organes politiques et administratives libanais, affaiblissant structurellement toutes les institutions de l'État. La répartition arbitraire des postes politiques et administratifs entre les communautés a créé un conflit d'intérêt à tous les niveaux de l'État. Cette double allégeance systémique a ouvert la voie au népotisme, à la corruption et a miné l'essence de toute institution : l'« Accountability ». La construction juridique, constitutionnelle et politique libanaise est malheureusement bancale depuis sa création. Et les conséquences sociétales de ces erreurs sont catastrophiques.
Chaque événement de l'histoire de la République libanaise et son déclin constant trouvent leurs causes et leurs racines dans cette construction inachevée. Peut-on blâmer nos pères fondateurs ? Sans doute les temps de l'époque et leur histoire leur ont fait croire qu'ils étaient dans le juste, mais leur absence de vision nationale est inexcusable. Doit-on blâmer la succession d'hommes politiques et encore ceux d'aujourd'hui, pour avoir maximisé leurs intérêts propres ou communautaires au lieu de réformer un système structurellement vicié ? Est-ce parce que pendant 73 ans nous avons eu un système intrinsèquement condamné que nous devons poursuivre dans cette voie ? Est-ce que la solution est véritablement de savoir si la communauté chiite doit diriger le pays après les expériences ratées des communautés sunnite et maronite ?
Messieurs les Libanais, réveillez-vous ! Prenez votre destinée en main. Il suffit de réformer pacifiquement l'organisation juridique, constitutionnelle et politique du pays pour en faire enfin un pays fonctionnel et magnifique, tant il est vrai qu'il dispose de tous les atouts structurels de développement.
Messieurs les politiques, réveillez-vous ! Prenez l'opportunité de cette nouvelle présidence et de votre présence à tous au gouvernement pour attaquer enfin le mal à sa racine et donner aux Libanais l'État qu'ils méritent, un État de droit, un État juste, un État fort, uni dans la nationalité et non divisé dans la confession.