Salim Daccache : « L'identité libanaise est devenue une véritable arche de Noé »
« L'étudiant, notre raison d'être » est le grand axe autour duquel le P. Salim Daccache, recteur de l'Université Saint-Joseph (USJ), a bâti le discours qu'il a prononcé hier, à l'occasion de la fête patronale de l'université, devant la communauté universitaire et les nombreux amis et hôtes, au campus des sciences et technologies de Mar Roukoz.
Se référant à la charte de l'USJ, le P. Daccache a invité la communauté universitaire à rester fidèle et à agir au service des principes suivants : liberté académique et ouverture spirituelle, refus de la discrimination et de l'exclusion, perspective chrétienne qui fonde nos choix les plus essentiels, engagement pour la tolérance, le vivre-ensemble et le respect mutuel et travail sans relâche pour la participation des étudiants à la vie et à la mission de leur université.
Le recteur a ensuite repris ces principes, un à un, pour les situer dans le contexte actuel. Il l'a fait grâce à des rappels historiques toujours pertinents, une riche analyse des trois temps du « métier d'étudiant » et une réflexion sur le rôle de l'USJ dans l'avènement d'une citoyenneté libanaise rajeunie, rénovée.
Le pluralisme religieux
Dans la partie historique de sa réflexion, le P. Daccache rappelle que l'USJ a choisi de gérer la pluralité religieuse qui l'a marqué dès l'origine par « une politique différentielle libérale » plutôt que par une « politique incluse et prosélyte ». Juifs et musulmans formaient déjà 18 % des étudiants à la veille de la Première Guerre mondiale, précise-t-il.
Il avoue qu'en ce moment, la gestion de cette pluralité fait problème, et que certains membres de l'administration souhaitent imposer un quota à l'inscription des non-chrétiens.
La charte de l'USJ précise toutefois que l'université n'est pas « au service d'une classe ou d'une communauté » et ne considère pas ses étudiants « sur la base d'une appartenance confessionnelle ou idéologique », rappelle-t-il.
Citant le sociologue Edgar Morin, il conclut sur ce point en affirmant que « c'est aux hommes d'orienter le cours de l'histoire vers son but, celui de la rencontre des êtres humains dans un seul creuset car l'humanité a toujours aspiré à l'harmonie et il est bien difficile de revenir en arrière ».
(Lire aussi : « Jeunes Libanais, vous êtes journalistes à « L'OLJ » en 2050... »)
L'activité politique
Au sujet de l'activité politique de l'étudiant, l'université peut tirer des leçons de son histoire, poursuit le recteur. L'exemple remonte « à la commission King-Crane et au grand débat sur le statut politique du Liban, tiraillé entre devenir une wilaya du grand royaume hachémite qui s'étend du Hijaz jusqu'à Beyrouth en passant par Damas, proclamé durant le mois de mars 1920, ou obtenir une autonomie qui le prépare à l'indépendance ».
« Une violente controverse opposa à l'époque Rachid Tabbara à Sélim Takla, deux étudiants de la faculté de droit, à ce sujet, rappelle-t-il La controverse jeta des troubles sur l'ensemble des étudiants et eut des répercussions sur la scène politique. » « L'administration universitaire dut intervenir dans le sens de l'apaisement (...) pour assurer le calme propice aux études », précise le recteur.
Tout en se félicitant que « la faculté de droit soit devenue un foyer du nationalisme libanais » et qu'au fil des années, elle soit demeurée « un solide appui à un Liban libre et indépendant », le P. Daccache n'en pense pas moins que les conseils de mesure, ou de modération, valent aussi pour aujourd'hui.
« C'est dans ce cadre que je voudrais me pencher sur le sens des élections des amicales d'étudiants dans une institution universitaire comme l'USJ, dit-il. (...) Ces élections ne sont-elles pas simplement devenues, malgré la bonne intention d'organiser la journée de la démocratie à l'USJ, une partie des rituels d'une démocratie perdue ne servant qu'à reproduire, sur un campus, le délitement politique du pays et la polarisation communautaire ou politique ? »
Le « métier d'étudiant »
Dans la deuxième partie de son exposé , le P. Daccache aborde le thème du « métier d'étudiant », à partir de la charte et d'autres textes statutaires.
« Comme administration et enseignants, insiste-t-il, notre rôle consiste à aider l'étudiant à être de l'Université Saint-Joseph et non seulement dans les salles et les couloirs de l'université, abandonné parfois à des fauves et à des voleurs d'esprit et de pensée qui peuvent le mener à des déviations irréparables. »
À contre-courant
La troisième partie du discours du P. Daccache est dominée par la question lancinante de la citoyenneté. À contre-courant d'un monde postmoderne suspendu entre « un passé de défaillances et un avenir sans promesses », l'USJ n'est pas « seulement soucieuse » des profils de formation et « d'apprentissage professionnel », affirme-t-il.
« Pour donner à la vie étudiante toute sa place à l'université », le père recteur annonce la constitution d'une commission permanente de la vie étudiante et de l'insertion professionnelle et d'un Haut Conseil des étudiants. Ces forums permettront à tous les problèmes administratifs et académiques, sociaux et politiques ayant trait à la vie des étudiants à l'USJ, des plus sages aux plus fous, d'être soulevés.
La mission politique de l'USJ
Enfin, le P. Daccache s'interroge sur « le rôle que peut ou doit assumer une université libanaise chrétienne et jésuite dans le domaine de la formation de ses étudiants aux valeurs citoyennes et politiques ».
La vision de l' USJ en la matière, affirme le recteur, c'est que « l'université a le devoir d'initier aux valeurs démocratiques et à leur pratique intègre, lucide et pacifique. En deuxième lieu, elle doit aider à la création d'un mouvement estudiantin capable de contribuer activement à la modernisation et à la réforme de la vie politique libanaise. En troisième lieu, elle doit contribuer, par la bonne gestion de la diversité religieuse dans les campus, à la promotion et au renforcement d'un vivre-ensemble libanais, authentique et humanisant, et à une citoyenneté dont la fonction est d'unir les Libanais ».
Le recteur formule le souhait qu'un observatoire interuniversitaire de ces pratiques soit institué. Du reste, s'interroge-t-il, « est-ce que les courants et partis politiques ne sont pas aussi partie prenante dans cette éducation à la citoyenneté ? ».
Un nouvel acte de foi
En conclusion, le P. Daccache souligne « l'importance capitale » d'un « nouvel acte de foi en la libanité comme facteur essentiel d'unité et de renouveau de notre attachement au vivre-ensemble ».
Et d'ajouter : « Aujourd'hui, les développements catastrophiques autour de nous et menaçants chez nous, ainsi que les contenus du discours qui plongent les Libanais dans la contradiction sociale et politique et les dressent les uns contre les autres, les uns face aux autres, ont démontré et démontrent que l'identité libanaise n'est pas une simple intention éphémère, mais une véritable conviction d'une large majorité de chez nous, et qu'elle est devenue et devient politiquement aujourd'hui rien moins qu'une "arche de Noé", du point de vue existentiel et social. »
« Il ne suffit plus de proclamer l'adhésion à un État indépendant et fort ou le désir d'un État juste et capable. Il faut oser désormais passer aux actes », ajoute le recteur, invitant les Libanais à ne plus « penser l'État libanais tel qu'il a été géré sous la tutelle syrienne » et à saisir « le momentum actuel d'une politique dont le point de départ et d'arrivée est le Liban et uniquement le Liban ».
Au sujet de l'implication, le P. Daccache insiste sur le fait que « toute implication libanaise en Syrie ne peut être axée, suivant nos convictions académiques et intellectuelles ainsi qu'affectives, que sur la médiation et le dialogue ».
« Si nous sommes vraiment des Libanais (...), nous n'avons pas besoin de la victoire d'un camp sur l'autre pour la monnayer et en faire un atout quantifiable dans notre jeu politique interne », ajoute-t-il, avant d'inviter les responsables à « alléger les souffrances des réfugiés parmi nous dans un cadre règlementaire qui protège tant les Libanais que les Syriens ».
En conclusion, le recteur invite les Libanais à faire évoluer leurs institutions, affirmant : « L'USJ, fidèle à sa mission historique, voit qu'il est de son devoir d'éclairer le chemin que les Libanais doivent traverser et qui mènera les institutions de l'État de la phase consensuelle, mais combien problématique, où elles se trouvent, à l'étape d'un État de droit moderne et de la citoyenneté fondée sur l'égalité, la justice et la liberté. Il faudra aussi s'assurer que les communautés libanaises, sans aucune exception, jouissent des garanties politiques et constitutionnelles quant à leurs droits et leur devenir. C'est une marche et une démarche complexes, qui appellent les Libanais à oser réfléchir ensemble, à faire acte d'intelligence commune. »
Pour mémoire
À l'USJ, les réponses de Ziyad Makhoul
Droits de la femme : les étudiants libanais s'expriment
À l'AUB, « la banque de papa a fait faillite »!
Chaque semaine, retrouvez l'actualité des campus libanais dans notre page spéciale