Syrie : Il faut arrêter cette guerre, et donc arrêter de vendre des armes!
Entretien avec Michel Roy, directeur de Caritas Internationalis
Anita Bourdin
ROME, 31 mai 2014 (Zenit.org) - Le message du pape François, du Saint-Siège et des organisations caritatives catholiques pour la Syrie est « clair », explique à Zenit le secrétaire général de Caritas Internationalis, M. Michel Roy : « Il faut arrêter cette guerre » et pour cela, il faut « arrêter de vendre des armes » et il faut donc aussi « éviter que le conflit ne tombe dans l'oubli ».
Le Conseil pontifical Cor Unum, présidé par le cardinal Robert Sarah, a en effet réuni pour la seconde fois au Vatican, ce vendredi, 30 mai, les représentants des organisations caritatives catholiques engagées sur le terrain.
Ils ont reçu le soutien du cardinal Secrétaire d'Etat Pietro Parolin, et du pape François qui les a rencontrés et encouragés à poursuivre ce "chemin ensemble": il leur a aussi remis un message écrit.
Caritas Internationalis, la Caritas du Moyen Orient, de Syrie, du Liban, de Jordanie, de Turquie, d'Irak, l'OEuvre d'Orient, l'Ordre de Malte, le Service jésuite des réfugiés, l'Aide à l'Eglise en détresse, se sont ainsi retrouvés « pour faire un point sur l'engagement humanitaire, les besoins et les priorités du moment ».
Le point de vue était donc à la fois national, régional - représentant la charité des catholiques de sept rites (latin et 6 orientaux) et des 17 diocèses – et international.
Depuis le début de la guerre, l'aide caritative catholique approche les 100 millions, toutes organisations confondues : « c'est beaucoup, mais c'est peu par rapport aux besoins aujourd'hui, mais c'est beaucoup aussi parce que cela permet de porter un témoignage fort là où nos organisations interviennent », estime M. Roy.
Un tableau dramatique
Mgr Antoine Audo, responsable de Caritas Syrie, a spécialement souligné l'importance de l'aide auprès des déplacés de l'intérieur du pays.
Pour aider les populations, ce que la réunion a mis en évidence, souligne M. Roy, c'est qu'il faut d'abord éviter que le conflit ne soit oublié : « Le conflit dure depuis trois ans et peu à peu il a tendance à être oublié : qui parle encore de la Syrie dans les media aujourd'hui ? Pour nous, c'est important, alors que la situation ne cesse de se dégrader en Syrie. »
Il précise : « Chaque jour plus de dix mille personnes quittent le pays et la moitié de la population est déplacée à l'intérieur du pays à la recherche d'un peu de sécurité, très difficile à trouver, plus de 60 % des structures sanitaires sont détruites, beaucoup d'écoles aussi – les enfants ne vont plus à l'école, on est dans un pays ravagé par la guerre. »
C'est ce qui fait que « les gens cherchent la sécurité en se déplaçant » et en cherchant à « partir à l'extérieur » du pays.
« Il est important, insiste M. Roy, de continuer de se mobiliser : c'est l'opinion publique qui peut aider les gouvernements à prendre la mesure du drame qui se déroule. En Syrie, c'est vraiment une tragédie humaine quotidienne. Et il faut réagir. »
Cessez de vendre des armes
Il a été frappé par la position ferme du Saint-Siège : « Le plus marquant pour moi c'est cet appel que j'ai entendu fortement de la part du nonce apostolique qui était ici mais aussi du cardinal secrétaire d'Etat ce matin : il faut travailler à arrêter cette guerre. Sinon, on travaillera toujours sur les conséquences, et l'on ne travaille que pour une toute petite partie des victimes parce que leur nombre est tel qu'il est impossible d'arriver à notre niveau à aider tout le monde. Il faut arrêter cette guerre et pour arrêter cette guerre, il y a plusieurs leviers possibles, et le pape tout à l'heure nous a dit : « demandez aux marchands d'armes de ne plus vendre d'armes à ceux qui sont en guerre en Syrie ». Il faut empêcher l'approvisionnement. Je crois que c'est très compliqué mais néanmoins il faut s'y employer. »
Il souligne la responsabilité des gouvernements étrangers : « Il faut que nos gouvernements respectifs, des pays les plus importants de la communauté internationale entreprennent cette croisade parce qu'ils sont à la fois ceux qui disent qu'il faut œuvrer pour la paix mais en même temps aussi vendent des armes aux belligérants. Donc je crois qu'il faut agir aussi sur ce plan là pour que la guerre s'arrête et que les Syriens puissent commencer à panser leurs plaies et l'aide humanitaire qui est très nécessaire aujourd'hui sera tout autant et encore plus nécessaire demain en espérant que ce conflit puisse s'arrêter rapidement. »
Une revendication légitime qui dégénère
Il rappelle l'origine du conflit : « Souvenez-vous : les manifestations pour demander plus de liberté étaient justifiées dans un pays dont le système autoritaire mené par l'armée depuis des décennies ne laissait guère de place aux gens. Et cette revendication de plus de liberté de parole et d'association a dégénéré. Et puis là-dessus, assez rapidement, sont arrivés des groupes extrémistes armés par des pays comme l'Arabie Saoudite et le Qatar. Ils ont commencé à créer une violence inouïe, en massacrant des populations, en chassant des populations de leur territoire, de leurs villages. Et donc il y a un mélange d'acteurs dans cette guerre qui est très complexe. Les rebelles du début en sont aussi venus à combattre les extrémistes, donc c'est la confusion qui règne. Et tous ces groupes sont soutenus de l'extérieur. On a l'impression que la Syrie est devenue un champ de bataille pour d'autres pays qui trouvent chacun leur intérêt. Il y a ceux qui sont concernés par des questions de primauté de leur famille religieuse : les Sunnites sur les Chiites, les Chiites étant minoritaires mais au pouvoir. Le gouvernement est lui-même soutenu par les pays chiites de la région, en particulier d'Iran et du Liban. Et puis il y a ceux qui, comme Israël, estiment que c'est pas mal que la Syrie, en ruine, ne représente plus de risque. Il y a un mélange de beaucoup de raisons qui font que ces groupes rebelles existent et continuent d'exister parce qu'ils sont soutenus de l'extérieur. »
Mais pour Michel Roy , il n'y a pas d'alternative : « Je ne vois pas d'autre solution: que les pays qui soutiennent ces groupes arrêtent de les soutenir, et les invitent à la table du dialogue. La conférence de Genève II qui a eu lieu cette année a été un échec parce qu'il n'y a pas eu assez de pression mise sur les parties belligérantes. Et la population syrienne souffre dramatiquement d'une situation pour laquelle elle est un petit peu en cause - elle a réclamé plus de liberté -, mais on est arrivé à une situation qui dépasse tout le monde. Il faut que la communauté internationale se mobilise à nouveau. Et nous, Français, il faut que nous demandions à nos autorités de se remobiliser non pas pour soutenir un camp contre l'autre mais pour faire en sorte que les parties se retrouvent vraiment autour d'une table. »
Travailler à ce que la paix arrive enfin
Pour ce qui est de la promotion de la paix par le pape François – et encore récemment en Terre Sainte -, il suggère : « Pour la Syrie il se peut que le pape François prenne aussi des initiatives. Son insistance d'abord sur le fait qu'il faut arrêter de vendre des armes est très claire : le message est très clair. »
Il souligne aussi la mobilisation du réseau des nonces, ou des contacts – de Caritas Internationalis notamment - avec le Corps diplomatique à Rome.
C'est l'heure, pour M. Roy de « se retrousser les manches et d'œuvrer à ce que la paix arrive enfin. »
Il reconnaît : « On a parfois l'l'impression d'être complètement dépassés et impuissants, mais la prière – la veillée du 7 septembre – peut avoir des effets très forts, donc agissons et prions pour la paix dans cette région du monde. »
Quant à l'Union européenne, il rappelle son engagement financier et humanitaire, mais ajoute qu'il faut faire davantage : « L'Office humanitaire de l'Union européenne a un rôle important, non seulement par un soutien aux Eglises, mais aussi au HCR, à l'OMS, au PAM. Cependant, au plan politique l'UE n'est malheureusement pas assez forte, soudée pour changer la donne. »
Il conclut, au terme de cette journée de travail, d'information et de coordination : « Au plan des ressources, il faut faire plus et mieux. Au plan politique, il faut faire la paix par le dialogue: on ne s'en sortira pas par les armes, malheureusement aujourd'hui ce sont encore les armes qui parlent. »
Cinq façons d'agir possible
Il ajoute que les catholiques du monde ne peuvent pas se sentir impuissants : il leur indique cinq moyens d'agir à leur portée.
« Premièrement, il ne faut pas baisser les bras », et « continuer de prier » car « la prière va aider à trouver les solutions ».
« Deuxièmement, autant que faire se peut, en parler, faire savoir. Il ne faut pas que cette guerre devienne un conflit oublié ».
« Troisièmement, si l'on vous propose d'accueillir des réfugiés syriens là où vous êtes, dans votre région, ouvrez les bras et accueillez, au moins pour un temps. Parce que personne n'a envie de voir les chrétiens d'Orient partir. Et il n'y a pas que des chrétiens qui cherchent refuge à l'extérieur. Mais en tous cas c'est important d'accueillir des réfugiés parce que dans les pays d'accueil intermédiaires comme le Liban ou la Jordanie, ils sont "coincés": ils n'ont pas la possibilité de travailler, de survivre vraiment donc c'est dramatique, ils préfèrent aller un peu plus loin le temps que la guerre s'arrête. »
« Et puis soutenez le réseau Caritas, soutenez ceux qui agissent, les autres organisations catholiques dont vous êtes proches, pour qu'ils puissent mener à bien les programmes pour lesquels l'Eglise de Syrie se mobilise, et attend notre solidarité. »
« Et enfin parlez-en à votre député, à votre sénateur, pour que cette question ne soit pas oubliée et qu'on en parle dans les lieux ou les décisions peuvent être prises et que le gouvernement français se remobilise. Non pas pour appuyer les rebelles, comme on l'a entendu un peu trop l'année dernière, mais pour appuyer la recherche de la paix, en facilitant le dialogue entre les parties. Et qu'il entraîne l'Union européenne et les autres acteurs. C'est dommage d'entendre le président Obama dire ces jours-ci que les Etats-Unis vont reprendre leur appui aux rebelles. Ce n'est vraiment pas là la voie de la solution. Donc, le dialogue ! Encouragez vos élus à reprendre le chemin du dialogue : n'hésitez pas à les interpeller ils ont besoin de cela aussi pour avancer. »
Hommage au P. Frans van der Lugt
Enfin, M. Roy souligne l'importance du « maillage horizontal et vertical »des communautés religieuses qui « restent et ne s'en vont pas » et qui « portent le témoignage de l'amour de Dieu pour tous qui est fondamental » : dans un univers musulmans il est fondamental, et il est attendu de la part des musulmans eux-mêmes, qui ont besoin de cette présence chrétienne. C'est une présence aimante, c'est une présence éducative. A l'école sont assis côte à côte musulmans et chrétiens qui apprennent à s'apprécier mutuellement, à grandir ensemble et ensuite à travailler ensemble. Les communautés religieuses : chapeau ! Le Père Frans van der Lugt, jésuite hollandais assassiné le 7 avril, dans la vieille ville de Homs, était le témoin de cette volonté de rester avec les populations, à leurs côtés, malgré les risques que cela représentait. Je pense que le P. van der Lugt est un exemple de cet engagement de religieuses et religieux dans un pays en guerre comme celui-là. »
Pour ce qui est du sort du P. Paolo dall'Oglio, sj, « on ne sait rien », dit-il : « On continue d'espérer et de prier. De même que pour les deux évêques syro-orthodoxe et grec-orthodoxe d'Alep enlevés il y a plus d'un an maintenant, on est sans nouvelles, mais on a toujours de l'espoir de les retrouver. Ce sont des gens qui ont accepté de donner leur vie… Il faut continuer de prier pour eux. »
« Ne pas considérer les chrétiens comme une minorité mais comme des citoyens ». Les chrétiens d'Orient veulent sortir de la logique minoritaire
Il suffit de jeter un coup d'œil sur sa monture pour comprendre que le cavalier ne revient pas d'un banal « trophée 4L ». Cabossée, éreintée, mais fidèle au poste après 60 000 km de traversée, des steppes d'Asie centrale aux pistes du nord du Soudan, la belle dort sous un préau, aux portes de la Vieille Ville de Jérusalem. Là même où, savoureuse coïncidence, le pape François a achevé lundi 26 mai son premier voyage en Terre sainte.
Il faut parfois deux bonnes minutes pour que le moteur cède aux injonctions de l'allumeur. Mais Vincent Gelot a du temps. À 26 ans, cet ancien étudiant en histoire a appris à s'en donner pour aller à la rencontre des communautés chrétiennes du bout de l'Orient.
Un projet un peu loufoque sur le papier, une odyssée spirituelle et mécanique en solitaire à laquelle peu de monde croyait, hormis lui-même et un camarade qui fera défection sur la ligne de départ.
Sur les routes, un pèlerin reporter
C'était en septembre 2012, à Beyrouth. Vincent terminait un stage au sein d'une ONG lorsqu'il apprit que Benoît XVI venait au Liban avec l'intention de remettre aux Églises d'Orient une feuille de route pour les prochaines décennies – le texte de l'exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente.
Cet ancien scout nantais découvre alors un monde dont il ignore à peu près tout : les Églises et les rites de cet Orient si compliqué, qui ont pour noms de code « copte », « maronite », « syriaque », « arménien »… Vincent décide alors de partir à la rencontre de ces communautés mal connues, voire interdites ou persécutées, en voyageant « à l'ancienne », dans une petite voiture « fiable, sympa et qui soit signe de simplicité ».
Customisée aux couleurs de l'Orient par un ami artiste, la « Habibimobile » (1) se lance sur les routes de Turquie, d'Irak, de Géorgie, d'Arménie… En pèlerin reporter, Vincent Gelot entame un minutieux travail d'enregistrements et de photos, rédige un journal de bord et recueille dans un cahier au format A3 les témoignages des gens qu'il rencontre – le « Livre d'Orient ». Son objectif ? « Rapporter à Jérusalem les prières de tous ces chrétiens qui n'y mettront sûrement jamais les pieds. »
Embûches et solitude
Les obstacles ne tardent pas à s'accumuler. Financiers, d'abord, contraignant Vincent à se lancer dans une levée de fonds sur Internet. L'interminable traversée des républiques d'Asie centrale – il passera deux mois auprès des communautés chrétiennes isolées d'Ouzbékistan – le pousse jusque dans ses retranchements.
La solitude, en plein désert kazakh, l'a marqué davantage que la morsure d'un chien de garde en Iran, ou l'accident qui faillit lui coûter la vie, en pleine nuit, au détour d'une route de montagne en Éthiopie.
En Azerbaïdjan, Vincent s'improvise contrebandier. Il embarque une cinquantaine de bibles imprimées en russe, à destination du Turkménistan et de l'Ouzbékistan, où leur diffusion est passible de prison. « Dans la seule église catholique autorisée du pays, l'évêque m'a accueilli avec des étoiles dans les yeux ! »
Après avoir placé sa 4L sur un bateau à Ormuz (Iran), direction Djibouti, le jeune homme tente d'entrer au Yémen. Repéré comme chrétien, il est retenu 48 heures à l'aéroport, sous étroite surveillance policière, avant d'être expulsé. « J'ai bien cru que l'aventure se terminerait là. » Son « Livre d'Orient » était resté en soute. « S'ils l'avaient trouvé, qu'en auraient-ils fait ? »
Sous le siège avant, des pages sacrées
Quelques semaines plus tard, le précieux recueil retrouvera sa place sous le siège avant de la voiture, arche d'alliance essoufflée dont la dernière étape, après le Soudan et l'Égypte, fut l'entrée en Israël après plus de cinq heures d'interrogatoire par les gardes-frontières israéliens.
Du temps, Vincent comptait bien en prendre une dernière fois, à Jérusalem, pour préparer minutieusement la remise de son « Livre d'Orient » au pape François, à Rome. Les projets de publication, expositions, conférences se bousculent derrière son sourire apaisé.
« Ma responsabilité, aujourd'hui, c'est de témoigner pour aider ces chrétiens à garder leur foi, leur terre, leur identité. Ils disent au reste du monde que le christianisme vient d'Orient. »
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La chapka du berger
« Le voyage n'est qu'un prétexte pour la rencontre à l'état brut, sans artifice », raconte Vincent Gelot. « Par exemple, celle avec ce berger du nord de l'Azerbaïdjan, un vieil homme au cœur de la pampa. Il ne parlait pas un mot d'anglais, je ne connais pas un mot de russe. Pourtant nous nous sommes compris. Nous avons fait le tour de vieilles tombes musulmanes autour de sa maison. Il y avait celle de ses deux enfants, morts en bas âge. Cette rencontre n'avait rien à voir avec les chrétiens, qui étaient le but de mon voyage. Mais c'était l'une des plus intenses. Quand nous nous sommes quittés, après trois jours, il m'a offert une chapka de berger. Puis il m'a pris dans ses bras, comme un fils. »
Samuel Lieven (à Jérusalem)