Les habitants de Damas entament leur quatrième année de guerre. Comment vivent-ils aujourd'hui ? Peuvent-ils sortir de chez eux ? Comment affrontent-ils l'angoisse de la guerre au quotidien ? Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas, a répondu aux questions de l'AED dans une interview du 22 octobre.
AED : Excellence, la guerre en Syrie dure maintenant depuis plus de trois ans déjà. Comment les gens vivent-ils dans une telle situation ?
Mgr Nassar : Les problèmes augmentent. L'économie est morte. Les gens n'ont pas de travail. L'inflation galope. Notre monnaie se déprécie massivement par rapport au dollar. Chacun s'appauvrit lentement. Les gens ont épuisé toutes leurs économies. Tout le monde a besoin d'aide. En tant qu'Église, nous tentons de soutenir autant de familles que possible. Actuellement, il s'agit d'environ 300 à 400 familles chrétiennes. Le problème est de leur faire parvenir de l'aide. Ce n'est pas sans danger. Il y a un risque réel de se faire attaquer ou enlever, mais nous devons vivre avec, car sinon, nos gens partiront. Déjà maintenant, il nous a fallu fermer trois paroisses parce que les fidèles étaient partis. Donc, si nous n'apportons aucune aide au peu de gens qui restent, il n'y aura plus d'Église à Damas. Dieu soit loué, l'Aide à l'Église en détresse est là pour nous soutenir durant ces années difficiles.
AED : l'État syrien est-il encore capable d'accorder de l'aide, quelle qu'elle soit ?
Non. Les gens sont livrés à eux-mêmes. Mais comme je le disais précédemment, même ceux qui ont un travail s'appauvrissent à cause de l'inflation très élevée. Mais il n'y a pratiquement plus de travail. Bien sûr, les personnes âgées sont le plus durement touchées. Jusqu'à présent, elles étaient aidées par leurs familles. Mais celles-ci non n'ont plus rien non plus. Nous essayons donc d'intervenir. Nous avons un programme qui aide les personnes âgées à recevoir leurs médicaments.
AED : comment faut-il s'imaginer la vie quotidienne dans une région en crise ?
Voyez-vous, nous vivons notre quatrième année de guerre. Au début, tout le monde avait peur des combats, des bombes, des roquettes. Maintenant, nous nous y sommes habitués. La vie doit continuer. On essaie évidemment d'être très prudent. Il vaut mieux rester dans la maison que dans la rue. À Damas, vous pouvez mourir de diverses manières, par exemple sous les coups de feu de tireurs embusqués ou à cause de l'explosion d'une voiture piégée. Evidemment, il y a aussi les obus. Bien sûr, quand on est blessé, on peut aussi mourir parce qu'on manque de médicaments. Les hôpitaux n'ont plus assez de médicaments. L'impact d'un obus peut tuer sur le coup trois ou quatre personnes et en blesser peut-être trente ou quarante, dont une dizaine mourront ensuite parce qu'elles n'auront pas pu être suffisamment soignées. Et bien entendu, vous pouvez aussi mourir de malnutrition. Si vous êtes diabétique par exemple, et que vous devez respecter un certain régime alimentaire mais que vous ne le recevez pas, vous mourrez aussi plus rapidement. Mais même en dehors de cela, les circonstances de vie sont mauvaises. Nous avons deux millions d'enfants qui ne vont plus du tout à l'école. De nombreux établissements scolaires sont détruits. Ceux qui sont encore debout sont totalement surpeuplés. Les classes se composent maintenant d'environ soixante élèves. Le niveau d'éducation s'en ressent.
AED : qu'en-est-il de l'approvisionnement en nourriture ? Peut-on acheter quelque chose lorsqu'on a de l'argent ou n'y a-t-il simplement rien à acheter ?
Certes, on peut acheter des choses, surtout des conserves. Mais ce qui manque, ce sont les produits frais comme les légumes, le fromage et la viande. Le problème, c'est aussi qu'à cause de la chaleur, l'été, il faut conserver les denrées périssables au frais. Nous avons malheureusement un problème avec l'alimentation électrique. Voilà pourquoi nous mangeons principalement des conserves ou des denrées de longue conservation, comme le riz ou les lentilles.
AED : avez-vous l'impression que la guerre et la détresse ont approfondi la foi de vos fidèles ?
Oui. Il y a un retour à la foi. Les gens prient beaucoup plus. Les églises restent ouvertes longtemps Beaucoup de fidèles s'y réunissent et y passent souvent des heures entières à prier en silence. En fait, ils n'ont plus rien d'autre que leur foi. On se retrouve dans un cul-de-sac en attendant la mort. À la fin de chaque messe, on se dit adieu parce qu'on ne sait pas si on se reverra le lendemain. C'est une ambiance résignée. On se résigne à son sort. C'est donc une situation très difficile. En ce moment, nous en tant qu'Église assurons moins d'activités pastorales que surtout sociales et tentons d'atténuer la détresse des gens. C'est bien tout ce qu'on a pour l'instant. Il n'y a sinon aucune autre aide. En fait, la famille constitue la seule institution intacte. C'est la famille qui aide, partage et soutient. L'identité familiale est extrêmement marquée. Sans la famille, ce serait le désastre total.
AED : avez-vous des chiffres au sujet du nombre de vos fidèles qui ont quitté la Syrie ?
Non. Nous ne disposons d'aucune statistique. Mais nous nous rendons compte que le nombre de sacrements administrés s'amenuise d'année en année, et ce d'une manière massive. En 2012, il y avait encore plus de baptêmes et de mariages qu'en 2013. Par contre, le nombre d'enterrements augmente. Nous devons maintenant agrandir notre cimetière. Avant, nous avions des projets pour une garderie d'enfants ou une école, aujourd'hui, nous projetons l'extension de notre cimetière chrétien.
Depuis le début de la guerre en mars 2011, l'Aide à l'Église en Détresse a transmis une aide s'élevant au total à 4,15 millions d'euros à la population de Syrie et aux réfugiés syriens dans les pays voisins. Rien qu'en 2014, les victimes de guerre et réfugiés de Syrie ont jusqu'à présent été soutenus par des aides d'urgence d'un montant total de 1.234.700 euros.