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Les Syriens chrétiens face au risque de la marginalisation
Les Syriens chrétiens face au risque de la marginalisation
François d’Alançon, à Al-Qaryatayn, Yabroud, Maaloula et Damas, le 18/05/2016 à 17h14
- Depuis mars 2011, les Syriens chrétiens sont touchés de plein fouet par le Al-Qaryatayn, une oasis, à une centaine de kilomètres au sud-est de Homs. À l’écart de la ville, le monastère de Mar Elian n’est plus qu’un amas de pierres silencieuses aux portes du désert. Pas une âme ne vit dans les bâtiments pillés et incendiés par les combattants de l’État islamique.
Les djihadistes ont rasé les murs de la chapelle à coups de bulldozer, profané le cimetière et brisé le sarcophage contenant les reliques de Mar Elian, un saint vénéré depuis des siècles par les chrétiens et les musulmans. Les excavations réalisées sous la direction de l’archéologue britannique Emma Loosley ont été saccagées. Des bibles abandonnées jonchent le sol de l’ancienne sacristie.
Une grande tradition spirituelle
Quelques jours après l’arrivée des djihadistes, dans la nuit du 5 au 6 août 2015, la passion de détruire a voulu effacer les traces d’une très ancienne tradition spirituelle. Chaque année, le 9 septembre, des générations de pèlerins venus de toute la région convergeaient vers le sanctuaire d’Al-Qaryatayn pour une journée de processions, de prières et de célébration.
Depuis les années 2000, sous la houlette du père Jacques Mourad, le monastère restauré accueillait de nombreux visiteurs syriens et étrangers. Al-Qaryatayn, une localité de 18 000 habitants dont près de 2 000 chrétiens, s’était tenue à l’écart du conflit grâce à des accords négociés par des notables de la ville entre le gouvernement et les rebelles.
Au fil des mois, cette neutralité fragile s’est effritée. La position stratégique de la cité en faisait une plaque tournante pour les déserteurs de l’armée. Des familles de déplacés, chrétiens et musulmans, fuyant les affrontements à Homs ou à Palmyre, ont trouvé refuge dans l’enceinte du monastère.
« La région n’est pas sûre »
Le 21 mai 2015, des hommes armés enlèvent le père Jacques Mourad, prieur de Mar Elian, en compagnie de son diacre. Les islamistes les transfèrent à Raqqa puis à Palmyre avant de les ramener, début septembre, à Al Qaryatayn avec d’autres prisonniers chrétiens pour vivre sous la loi de l’émirat islamique. Un mois plus tard, en octobre 2015, avec l’aide d’un ami musulman, le père Mourad prend la fuite à moto, déguisé en islamiste.
Al-Qaryatyn retrouvera-t-il un jour son monastère et ses familles chrétiennes ? Moins de deux mois après la reprise de la ville par l’armée syrienne, le 3 avril 2016, après huit mois d’occupation djihadiste, rien n’est moins sûr. Environ 800 familles musulmanes, revenues dans la cité dévastée par les bombardements, vivent sans électricité et sans eau courante. Une des douze mosquées de la ville doit rouvrir ses portes.
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Les chrétiens, eux, préfèrent rester à Zeidal et Feyrouz, les villages de coreligionnaires qui les ont accueillis près de Homs. Leurs deux églises, syriaque catholique et syriaque orthodoxe, sont en ruines.
« La région n’est pas sûre et on se demande comment faire revenir une famille pour protéger ce qui reste du monastère », explique Marwan, un chrétien de la communauté de Mar Moussa à laquelle le monastère de Mar Elian était rattaché. « Qui va y aller et pour quoi faire ? Nous sommes peu nombreux et les chrétiens d’Al-Qaryatayn n’y sont plus. »
Peu de solutions pour protéger sa communauté
Dans tout le pays, la minorité chrétienne fait profil bas, confrontée au risque de l’isolement et de la marginalisation. Comment résister à l’effet conjugué d’une natalité en baisse, des mariages mixtes, synonymes de conversion à l’Islam, et de l’hémorragie migratoire accélérée par le conflit ? Chacun a sa méthode.
À Yabroud, ancien fief rebelle dans le Qalamoun, région frontalière du Liban, repris le 16 mars 2014 par les combattants du Hezbollah libanais et l’armée syrienne, Georges Haddad, curé grec-catholique, a versé un tribut aux groupes armés en échange de la sécurité et de la protection pour sa communauté.
Le système a fonctionné quelque temps, jusqu’à ce que des combattants de Homs et d’ailleurs affiliés au Front al-Nosra prennent l’ascendant sur les rebelles locaux. Au printemps 2014, le père Georges Haddad et la grande majorité de ses fidèles ont trouvé refuge à Damas.
« Donner de l’espérance »
Les icônes les plus précieuses de l’église Saint Elian restent entreposées dans les sous-sols de la banque centrale. Les 722 familles chrétiennes, soit près de 2 900 chrétiens sur environ 30 000 habitants, s’en remettent à la protection de l’armée et des milices du régime, mais l’avenir reste incertain, en l’absence d’une réconciliation entre les habitants. Le Qalamoun, une région à majorité sunnite, vit désormais sous la domination du Hezbollah, fer de lance de la communauté chiite libanaise.
« Ici comme ailleurs, les jeunes hommes quittent le pays, pour échapper au service militaire ou faute de travail », souligne le père Georges Haddad. « Beaucoup de musulmans de Yabroud, sympathisants du Front al-Nosra, sont partis au Liban. On ne sait rien de ce que l’avenir nous réserve ».
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À Maaloula, la bourgade chrétienne nichée dans les contreforts de la chaîne du Qalamoun, tombée aux mains des islamistes en décembre 2013 et libérée le 14 avril 2014, 340 familles sont revenues, dont une vingtaine de familles musulmanes.
« Donner de l’espérance »
Après avoir supervisé la restauration de l’église Saint Georges et du couvent Saint-Serge, le père Tawfik Eid, curé de la paroisse grecque-catholique, veut« donner de l’espérance et aider à enraciner les gens » en leur donnant du travail. Un atelier de fabrication de sous-vêtements offrira une trentaine d’emplois aux femmes du village, et la restauration des maisons pillées et incendiées se poursuit.
Là aussi, la méfiance règne entre chrétiens et musulmans. « Certains musulmans ont rompu le pacte de non-agression, initialement conclu entre l’armée et les rebelles, pour faire entrer les combattants islamistes dans la ville », affirme Joseph Saadé, dentiste et membre du conseil local. « Les chrétiens se sont sentis trahis et la réconciliation sera compliquée ».
Dans la communauté chrétienne et ses différentes dénominations, la tendance est au repli sur la famille et les proches. « Dans un ghetto habité par la peur et le refus de l’autre », analyse un religieux.
Vers une cohabitation avec l’Islam
Les départs à l’étranger se préparent en catimini. On découvre un jour que le voisin a fait ses valises sans faire ses adieux. Des couples de sexagénaires communiquent avec leur progéniture réfugiée au Canada ou en Europe. Une génération entière de conscrits manque à l’appel.
Quel avenir et quel rôle pour le « petit reste », ces Syriens chrétiens qui, par choix ou par nécessité, ne quitteront pas le pays ? La question taraude les chefs religieux retranchés à Damas. « C’est vrai que le sentiment d’être minoritaire n’est pas sécurisant mais nous devons nous libérer de la peur », avance un prélat. « Le modèle de l’Église primitive est une bonne source d’inspiration. Cohabiter avec l’Islam est notre choix difficile mais inévitable. »
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Les chrétiens en Syrie
– En 2012, un an après le début du conflit, la Syrie comptait près d’un million de chrétiens
– 4,6 % de la population – contre 15,8 millions de sunnites (72,8 %), 2,2 millions d’Alaouites (10,2 %) et 400 000 Druzes (1,8 %).
– Ils se décomposaient ainsi : grecs-orthodoxes : 526 000 ; grecs-catholiques : 121 000 ; arméniens orthodoxes : 121 000 ; syriaques orthodoxes : 89 000 ; maronites : 29 000 ; arméniens catholiques : 26 000 ; protestants : 21 000 ; assyriens : 20 000 ; syriaques catholiques : 18 000 ; chaldéens : 14 000 ; latins : 9 000. (Source : Youssef Courbage, démographe et spécialiste du Proche-Orient)
– Maaloula comptait avant le début du conflit environ 5 000 résidents permanents dont un
tiers de musulmans. Les chrétiens (environ 60 % grecs-catholiques et 40 % grecs-orthodoxes)
n’étaient majoritaires qu’à la saison estivale, quand des centaines de chrétiens de Damas ou de l’étranger venaient séjourner dans leur village d’origine. L’hiver, les musulmans et les vieux étaient les plus nombreux.
François d’Alançon, à Al-Qaryatayn, Yabroud, Maaloula et Damas
tiers de musulmans. Les chrétiens (environ 60 % grecs-catholiques et 40 % grecs-orthodoxes)
n’étaient majoritaires qu’à la saison estivale, quand des centaines de chrétiens de Damas ou de l’étranger venaient séjourner dans leur village d’origine. L’hiver, les musulmans et les vieux étaient les plus nombreux.
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