« Le discours des communautés chrétiennes au Proche-Orient en période de crise », aujourd'hui à l'USJ
L'inquiétude des chrétiens de l'Orient arabe quant à leur sort, leur quête d'un rôle national et leur attachement à la liberté de la culture et de la pensée sont les trois piliers de ce colloque qui se penchera sur l'état de grande confusion qui règne au niveau des positions des autorités chrétiennes religieuses référentielles politiques et culturelles vis-à-vis du mouvement du printemps arabe et de ses conséquences dans certains pays.
Il faut rappeler que depuis la clôture du dossier de la « question orientale », suite à la chute de l'Empire ottoman, et avec le début des mandats, les chrétiens de l'Orient arabe ont fait face aux situations les plus critiques qu'ils aient connues dans l'histoire moderne et contemporaine. Ce dossier a été clos lorsque les affrontements idéologiques entre les partisans de la création d'un État nationaliste, ceux du nationalisme laïc, d'une part, et les partisans de la restauration de l'islam politique, de l'autre, n'ont pu mener à la cristallisation d'une conception de gouvernement viable, accepté par la majorité des composantes des territoires ottomans et qui acquirent ultérieurement leur indépendance.
Suite à la création des États nationaux au Moyen-Orient sous le mandat et à la promulgation de Constitutions inspirées de Lois fondamentales européennes, les chrétiens sont entrés efficacement dans le champ politique et national, aux côtés des forces musulmanes locales ayant adopté le libéralisme. Mais cette expérience s'est soldée par un échec lamentable. En fait, ceux qui ont joué un rôle politique de premier plan dans ces pays appartenaient à une classe politique aisée représentée par le parti al-Wafd et le Parti national en Égypte, le parti « al-'Ahd », le Parti national, le parti de la Renaissance et les chefs des tribus en Irak, le Bloc national et les grands hommes d'affaires en Syrie. Mais à cette classe libérale manquait un programme politique et national qui lui conférait une certaine crédibilité et qui renforçait la citoyenneté et la démocratie. Son action politique était surtout marquée par une lutte pour le pouvoir et par l'incapacité des gouvernements successifs à gérer, d'une façon efficace, les affaires publiques, la fraude électorale, la corruption, ainsi que par les intérêts personnels qui l'emportaient sur l'intérêt public.
Des régimes militaires s'y sont ainsi substitués. Ils choisirent l'orientation socialiste antioccidentale en s'opposant à cette classe libérale et à certains milieux chrétiens marqués par l'image du colonialisme, en particulier à l'issue de la défaite de 1967. Le Liban est resté le seul pays à avoir maintenu un système qui ralliait, d'une manière complexe et fragile, les principes de l'État national et le système confessionnel qui, lui, était à la base de toutes les crises vécues au Mont-Liban sous la domination ottomane. Cependant, l'identité du Liban est restée floue, reflétant à la fois la méfiance d'une grande partie des chrétiens vis-à-vis de leur environnement islamique arabe et leur ouverture à l'Occident et à sa culture, ainsi que la méfiance des musulmans vis-à-vis de l'Occident et leur adhésion à leur environnement et à ses causes.
Sous les régimes militaires autoritaristes qui ont accusé une large incapacité à faire face aux défis régionaux et internationaux et à améliorer leurs situations internes, tout en réussissant dans l'exercice d'un contrôle inflexible des sociétés, le monde arabe a commencé à connaître une renaissance des courants islamistes modérés et fondamentalistes en même temps. Ces courants se renforcèrent en particulier, en même temps que l'apprivoisement total de la résistance palestinienne en dehors de la Palestine, qui se présentait comme l'héritière du dernier mouvement révolutionnaire nationaliste et de la révolution islamique en Iran. Ces courants se sont présentés comme substituts aux régimes autoritaristes, brandissant le slogan : « L'islam est la solution ». Quant aux milieux chrétiens, ils adoptèrent une multitude de positions. Des voix chrétiennes s'étaient ainsi élevées pour s'opposer à la tyrannie, surtout dans les pays de la diaspora, mais la majorité avait préféré se soumettre au fait accompli, tout comme la majorité des concitoyens musulmans.
Cependant, cette position n'a pas tout à fait conféré aux chrétiens l'égalité, la sécurité et la stabilité qu'ils souhaitaient, du moins en Irak et en Égypte. En Égypte, les coptes ont continué à sentir qu'ils étaient des citoyens de seconde classe, et leurs églises et quelques-unes de leurs institutions ont continué à être les cibles, par intermittence, d'attaques attribuées aux salafistes. Certains coptes immigrés accusaient explicitement le régime d'en être le principal bénéficiaire, prenant ces attaques comme excuse pour échapper aux réformes démocratiques et maintenir une politique d'oppression. En Irak, les chrétiens ont connu des mouvements de grande migration pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran, et après la nationalisation de vastes terrains qu'ils possédaient dans la plaine de Ninive puis, suite à la première guerre déclenchée au Golfe, lorsque le pouvoir a annoncé « la campagne de la foi » et la transformation du parti Baas en mouvement islamiste. Cependant, la grande tragédie des chrétiens d'Irak a commencé en 1992 quand ils ont été livrés au terrorisme tantôt sous prétexte d'avoir fait un compromis avec l'armée américaine, tantôt pour se venger des injustices infligées aux musulmans dans d'autres pays, et parfois sans aucune raison. Il en résulta qu'au moins un demi-million de chrétiens irakiens quittèrent le pays.
Aujourd'hui, c'est le sort de l'ensemble de la communauté chrétienne du Moyen-Orient qui soulève des inquiétudes. Ainsi, en Égypte, 42 000 coptes auraient quitté le pays depuis le succès de la révolution du « 12 Janvier ». Les événements de Syrie ont provoqué une anarchie croissante qui menace tout le monde y compris les chrétiens qui se trouvent pris entre la brutalité du régime et une révolution dont personne ne sait sur quoi elle va déboucher.
L'Exhortation apostolique, signée par le pape Benoît XVI en septembre dernier au Liban, rappelle aux chrétiens qu'ils bénéficient des mêmes droits et devoirs que leurs concitoyens.