Appel des patriarches orientaux aux autorités civiles religieuses musulmanes : Passez aux actes !
Des états généraux ecclésiastiques se sont tenus hier au siège patriarcal maronite de Dimane, en présence des patriarches orientaux catholiques et orthodoxes et du nonce apostolique, Gabriele Caccia, œil averti du Vatican. La réunion s'est tenue aussi sur la triste nouvelle d'une nouvelle avancée des jihadistes de l'État islamique dans la plaine de Ninive, en Irak, comme si les frontières du nouveau Moyen-Orient devaient être tracées avec le sang des chrétiens. Retenu en Irak, le patriarche des chaldéens, Louis Raphaël Sako, s'est fait représenter à cette réunion. Également absents, les assyriens et les coptes.
Ce nouvel appel s'est distingué des précédents par son caractère plus exhaustif. Les patriarches s'y disent « épouvantés » par des développements « sans précédent » auxquels ils assistent, et « les développements désastreux à caractrère confessionnel et religieux rarement égalés dans l'histoire »; il adjure les Arabes et les musulmans à adopter une attitude plus claire à l'égard de ce qui se passe dans la plaine de Ninive, les exhortant à publier des fatwas et des lois sanctionnant la discrimination religieuse à l'égard des minorités.
Le texte esquisse aussi une demande d'intervention des Nations unies, sans oser aller au bout de sa requête pour réclamer un déploiement de forces internationales. Mais ce déploiement est suggéré, puisque les patriarches demandent au Conseil de sécurité d'adopter une résolution claire ordonnant la restitution des maisons et des biens spoliés « par tous les moyens possibles ».
De même, les patriarches en ont appelé à l'Organisation de la conférence islamique, à la Ligue arabe et au Tribunal pénal international, jugeant que cette dernière instance est habilitée à juger d'actes de barbarie qui sont de véritables « crimes contre l'humanité », qu'ils aient été commis à Mossoul où à Gaza.
Un phénomène durable
Dans la partie analytique du texte, les prélats réunis disent s'attendre à ce que le phénomène de l'extrémisme religieux soit durable, et affirment que « chrétiens et musulmans ont le devoir d'y faire face ensemble pour transmettre aux générations futures un Moyen-Orient libéré d'un tel fléau, en éclairant les consciences et les intelligences et en invitant les fidèles à respecter l'essence de la religion, loin de toute exploitation qu'on peut en faire pour des raisons personnelles, ou pour atteindre un objectif régional ou international ».
Cette dernière remarque a ensuite été abordée de front par le communiqué. « Si des parties dissimulées encouragent cet extrémisme et en financent l'effet destructeur et corrupteur, il est indispensable qu'elles soient dénoncées et qu'elles aient à en rendre compte devant l'opinion internationale et les autorités morales agissantes », dit le communiqué.
« Et pour ce faire, ajoute le texte, Arabes et musulmans n'ont d'autre choix que de retrouver l'esprit d'unité, de découvrir les avantages de la diversité qui est la marque distinctive de notre Machrek et de s'accepter réciproquement dans leurs modes de vie différents, dans le respect mutuel et dans l'égalité civique, dans tous les pays où ils se trouvent. »
Et de préciser : « Nous adjurons les instances islamiques, sunnites et chiites, de promulguer des décrets religieux clairs jetant l'interdit sur l'agression contre les chrétiens et tous les autres innocents. Nous demandons en outre à tous les Parlements du monde arabe et islamique de voter des lois favorisant l'ouverture, rejetant clairement toute forme d'exclusion religieuse de l'autre (takfir) et responsabilisant toutes les personnes qui enfreindraient ces lois. »
Même la loi du nombre a été dénoncée par les patriarches. « Nous adjurons les États de cesser d'aborder la diversité culturelle sous un angle minoritaire, comme si seul le nombre donnait valeur à la présence humaine, abstraction faite de la contribution humaine de chaque personne selon les dons que le Créateur lui a accordés »
Un exode planifié
Voici, par ailleurs, des passages significatifs du communiqué des patriarches :
« L'expulsion des chrétiens de Mossoul et aujourd'hui de toutes les agglomérations de la plaine de Ninive n'est pas un incident isolé qui se produit durant les guerres et les conflits, affirme le communiqué ; ce n'est pas non plus un exode volontaire dû à la peur ou à la recherche d'un abri provisoire pour éviter la mort. Il a été planifié par l' organisation de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et d'autres groupes jihadistes qui les ont contraints à abandonner leurs foyers exclusivement en raison de leur appartenance religieuse, en violation directe de toutes les conventions et chartes internationales. Cette décision inique prise au nom de l'islam est un grave recul pour la région arabe et islamique (...) il s'agit d'une discrimination raciste rejetée par les peuples et condamnée par la communauté internationale. »
« (...) Nous demandons que la condamnation de cette situation soit générale et vienne de tous les musulmans qui nous sont liés par un destin commun, et qu'elle conduise à des initiatives de nature à corriger cette dérive qui jure avec nos traditions du vivre-ensemble que Dieu a recommandé et ordonné. Il est regrettable que les prises de position islamiques, arabes et internationales restent timides et insuffisantes, et ne reflètent pas la gravité du phénomène et de ses conséquences sur la diversité démographique historique des peuples de la région. Et ce qui aggrave encore les choses, c'est le fait que quelques États européens encouragent l'exode des chrétiens, sous prétexte de les protéger, encouragements que nous condamnons et stigmatisons (...) Ce que nous demandons à la communauté internationale, à travers le Conseil de sécurité, c'est une résolution ferme ordonnant la restitution des maisons et des biens spoliés par tous les moyens possibles et le plus rapidement possible. Nous ne voulons de protection de personne. Nous avons des droits et nous considérons qu'il est du devoir des instances internationales de préserver leur crédibilité et d'interdire tout changement démographique forcé imposé aux chrétiens ou à d'autres communautés religieuses. »
Effet boomerang
« Nous invitons en outre tous les régimes et tous les États qui appuient, arment ou financent directement ou indirectement les groupes terroristes à cesser de le faire car l'extrémisme religieux, quel qu'il soit, finira par porter atteinte à celui qui l'appuie ou à celui qui ne lui résiste pas. »
« L'expulsion forcée des chrétiens de leurs foyers et la confiscation de leurs biens, le meurtre de civils innocents, les agressions contre les minorités religieuses et leurs églises à Mossoul, Sadad, Maaloula, Kassab et ailleurs sont à classer parmi les crimes contre l'humanité ( ...) Le Tribunal pénal international doit en être saisi (...). »
« Les incidents sanglants en Syrie ont tourné à la guerre stérile (...) Les camps concernés et les États qui les appuient, les financent et les arment doivent l'arrêter et trouver au conflit une solution politique en vue de l'instauration d'une paix juste, globale et permanente. »
« Il y a un peu plus d'un an et trois mois que les évêques Boulos Yazigi et Youhanna Ibrahim ont été enlevés (22 avril 2013), et nous insistons pour dire que les réactions internationales à ce fait sont insuffisantes (...) Nous sommes surpris par l'indolence avec laquelle ce dossier est abordé. »
« Au regard des pertes en vies humaines qui se sont produites en trois semaines au sein de la population civile, ce qui vient de se passer à Gaza est "un crime contre l'humanité", souligne le communiqué. La communauté internationale doit œuvrer sans relâche à l'instauration d'un État palestinien avec Jérusalem pour capitale. »
Envoyé de mon Ipad