De Saint-Louis à la guerre du Liban : la France, protectrice des chrétiens d'Orient
FIGAROVOX/ANALYSE - L'historien Jean-Louis Thiériot rappelle les liens qui unissent les chrétiens d'Orient et la France depuis Saint-Louis. Une constante de la diplomatie française, qui a traversé les révolutions et les changements de régime.
Jean-Louis Thiériot est un avocat, historien (spécialiste de l'histoire contemporaine) et homme politique français. Son dernier ouvrage, François-Ferdinand d'Autriche: de Mayerling à Sarajevo, est paru aux éditions Tempus.
Pour la communauté internationale, le martyre des chrétiens d'Irak est un drame de plus. Pour la France, c'est un défi majeur car «la protection des chrétiens d'Orient» est un marqueur essentiel de notre diplomatie. Son histoire vaut d'être rappelée, car on oublie trop souvent qu'elle remonte au Moyen Âge.
Saint Louis a été le premier à lui donner une formulation officielle. En 1248, il entreprend la septième croisade pour sauver le royaume latin de Jérusalem. En route vers la Terre sainte, il fait escale à Chypre. Les chrétiens maronites en exil lui font triomphe. Convaincu que ces populations, dont le principal foyer de peuplement se situe autour du Mont-Liban, peuvent être l'avant-garde de la reconquête à venir, Saint Louis s'en proclame le protecteur: «Pour nous, déclare-t-il dans la charte du 24 mai 1250, et nos successeurs sur le trône de France, nous promettons de vous donner à vous et à tout votre peuple notre protection spéciale comme nous la donnons aux Français eux-mêmes.» C'est un texte fondateur car, pour la première fois, il accorde des garanties à des populations étrangères vivant sous la domination de princes musulmans.
L'échec des croisades ultérieures et l'irrésistible progression de l'Empire ottoman vide cette protection de l'essentiel de sa substance. Mais elle ne cesse de hanter l'esprit de nos rois. Désireux d'affaiblir la maison d'Autriche, François Ier fait alliance avec Soliman le Magnifique en signant les fameuses «capitulations». Paris y gagne d'abord des avantages commerciaux qui lui confèrent un quasi-monopole sur le commerce avec le Levant. Mais la défense des chrétiens n'est pas oubliée. De jure, les «capitulations» n'accordent de garantie qu'aux Français. Cependant la France se fait aussi attribuer la garde des Lieux saints, ce qui lui donne un poids particulier.
Constamment renouvelées jusqu'à la Révolution française, les «capitulations» apparaissent de plus en plus comme un recours pour les chrétiens de l'Empire ottoman. En 1604, la France devient protectrice de l'ensemble des pèlerins européens. En 1625, le père Joseph, l'éminence grise de Richelieu, obtient l'autorisation d'envoyer des missionnaires à Alep. En contact étroit avec les consuls français, ils tissent un réseau très dense de soutien aux chrétiens locaux. De facto, la France devient la protectrice de tous les chrétiens d'Orient. Dans le Théâtre de la Turquie, publié en 1682 par Michel Febvre, pseudonymed'un ecclésiastique, on peut lire: «Les chrétiens d'Orient opprimés sous le joug des infidèles fondent leur espérance dans la croyance qu'ils vont être un jour délivrés par un roi de France.»
Les régimes passent. La tradition demeure. La lente agonie de l'Empire ottoman aiguise les convoitises. Tout à son obsession de s'assurer le contrôle des détroits et d'obtenir un débouché en Méditerranée, la Russie cherche à accroître son influence dans les principautés de la Sublime-Porte. En 1846, le jour du vendredi saint, les communautés catholiques françaises et orthodoxes russes en viennent aux mains à Jérusalem. On relève quarante morts dans la basilique du Saint-Sépulcre. La situation s'enlise jusqu'en 1854. Poussé par les Anglais qui apprécient peu de voir les Russes leur contester la suprématie navale en Méditerranée, Napoléon III engage les troupes françaises en Crimée. La primauté sur les Lieux saints n'a pas été la seule cause de l'intervention française. Mais elle joue un rôle suffisamment important pour que le traité de Paris, qui met un terme au conflit en 1856, pose explicitement le principe de la prééminence de la France à Jérusalem et de sa primauté en matière de protection des minorités religieuses.
Ne respectant pas ses promesses à l'égard des chrétiens, en 1860, le sultan exerce sur les maronites libanais une sanglante répression. Pour Napoléon III, c'est une provocation. Un corps expéditionnaire s'embarque pour le pays du Cèdre. Il le quitte un an plus tard en 1861 après avoir obtenu d'Istanbul un statut spécial, avec notamment la désignation d'un gouverneur chrétien pour la «province autonome du Mont-Liban».
Laïque, la IIIe République garde le cap. Le Quai d'Orsay négocie pied à pied pour obtenir de la Sublime-Porte un statut officiel des établissements latins. Dans une lettre du 20 juillet 1898, Léon XIII rend hommage à la «mission à part confiée par la providence à la France, noble mission qui a été consacrée non seulement par une pratique séculaire, mais aussi par les traités internationaux». Les accords de Mytilène en 1901 et de Constantinople en 1913 couronnent ces efforts. Une institution aussi prestigieuse que l'École biblique française de Jérusalem y gagne la reconnaissance officielle qui aujourd'hui encore lui sert de base légale.
La guerre de 1914 ne met pas un terme à ce tropisme oriental. Lorsqu'elle accepte le mandat au Levant qui lui est confié par la SDN au traité de Sèvres en 1921, l'une des principales préoccupations de la France est d'assurer l'autonomie du Liban, fief des chrétiens maronites. Le départ des Français en 1946, distend naturellement les liens noués. Mais ils ne disparaissent pas. Bombardé dans le palais présidentiel de Baabda en 1989, c'est encore vers la France que se tourne le général Aoun pour réclamer une intervention militaire. Et c'est en France qu'il trouve refuge pour son exil.
C'est dire combien dans l'Orient compliqué, le passé commande à la France une vigilance particulière. Face à la tragédie des chrétiens d'Irak, il impose qu'elle se montre à la hauteur de sa vocation singulière.
Envoyé de mon Ipad
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