Une première. La France a convoqué une réunion sur la défense des Chrétiens d'Orient et des minorités persécutées au Conseil de Sécurité de l'Onu le 27 mars prochain, présidée par Laurent Fabius. Marc Fromager, directeur de l'AED en France, salue la prise de conscience du grand public et du monde politique à ce sujet dans un entretien réalisé par Radio Vatican.
La défense des Chrétiens d'Orient et des minorités persécutées sera au cœur d'une réunion le 27 mars prochain, au Conseil de Sécurité de l'Onu. Le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé qu'il présiderait personnellement cette réunion pour signifier l'engagement de la France sur ce dossier.
Samedi, Nicolas Sarkozy a reçu à son domicile parisien trois grands témoins du drame actuellement vécu par les chrétiens. Ils étaient accompagnés de Marc Fromager, directeur de la Fondation Aide à l'Église en détresse qui organise ces jours-ci la 7° Nuit des Témoins dans six diocèses de France. Cette initiative réunit des témoins exceptionnels venus d'Irak, Nigéria, Liban, Colombie, afin de défendre la liberté religieuse dans le monde. La rencontre avec le président de l'UMP s'est faite dans la plus grande discrétion et a duré plus d'une heure.
Evoquant ce que les chrétiens vivent et subissent au quotidien au Proche et au Moyen Orient, l'ancien président Sarkozy a parlé d'épuration religieuse commise en silence et a insisté sur le rôle historique de la France dans la protection des chrétiens de cette région. L'entretien a également permis d'aborder la situation du Nigéria, mis à feu et à sang par Boko Haram, de l'Irak qui s'enfonce chaque jour davantage dans le chaos, l'affaiblissement de la laïcité en Turquie, le soutien des Kurdes aux chrétiens et la situation au Liban qui subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Syrie.
Joint au téléphone par Cyprien Viet, le directeur de l'AED, Marc Fromager, salue une prise de conscience du grand public et du monde politique :
Nous sommes ravis d'apprendre cette initiative. Nous constatons depuis quelques semaines, quelque mois, en tout cas depuis l'été dernier avec cette actualité au Moyen-Orient, la prise de Mossoul et de la Plaine de Ninive, qu'il y a une réelle mobilisation, sensibilisation de la population française et donc, par voie de ricochet, des parlementaires et des responsables politiques sur cette question des chrétiens d'Orient, sur ce qui se passe au Moyen-Orient. En ce moment, nous sommes en pleine tournée de la Nuit des Témoins, -ce sont des veillées de prière -, et nous constatons une mobilisation bien supérieure à ce que nous avions constaté les années précédentes. Donc, il y a un réel intérêt, une réelle volonté des responsables politiques de répondre à cet engouement, à cet intérêt plus important pour ce qui se passe au Moyen-Orient. Donc, on ne peut que se réjouir de cette initiative. Maintenant, reste à savoir si ce ne sera que des belles paroles. Et là, on est quand même en droit d'émettre quelques réserves sur le fait que pour le moment, la stratégie politique de la France au Moyen-Orient n'a pas changé. Et donc, au-delà des belles déclarations, il faudra voir bien entendu ce qui sera fait de concret.
Qu'est-ce que le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait faire de concret pour préserver la présence chrétienne au Proche-Orient ? Est-ce qu'il y a des mesures très concrètes qui pourraient s'appliquer en urgence ?
Aujourd'hui, les chrétiens d'Orient qui sont menacés de disparition, ce sont ceux de l'Irak et de la Syrie. En Irak, il n'en reste vraiment plus beaucoup. Évidemment, il faudrait stabiliser ce pays. Aujourd'hui, le noyau du problème reste la Syrie où il y avait à peu près 8% de chrétiens il y a quatre ans. Maintenant, ils sont en train de partir. Pratiquement 40% de la population chrétienne a disparue. Et donc, tant que ce pays, la Syrie, ne sera pas débarrassé des scories de cette guerre qui, je le rappelle, est une guerre internationale puisque vous avez des mercenaires venant de 84 pays différents, tant que l'ordre ne sera pas rétabli a minima dans ce pays, les chrétiens continueront à fuir. Et on peut malheureusement craindre leur disparition totale très proche à venir.
Laurent Fabius est intervenu à ce sujet pendant une visite au Maroc. On a vu un certain nombre de dirigeants arabes s'exprimer de plus en plus clairement contre l'État islamique depuis quelques semaines : la Jordanie, l'Égypte, la Ligue Arabe. Est-ce que vous sentez une prise de conscience au niveau de ces États majoritairement musulmans ? Est-ce que vous sentez que les gouvernements actuels sont prêts à lutter contre l'extrémisme islamiste ?
Espérons ! J'ai un peu l'impression que ça reste au niveau des belles paroles. Certains régimes de la zone moyen-orientale doivent commencer à se sentir menacés par le renforcement de l'État islamique. Un certain nombre de pays musulmans se rendent compte également que l'image véhiculée de l'Islam du fait de l'extrême violence de l'État islamique ne leur est pas profitable. Mais malheureusement, force est de reconnaitre que pour le moment, il y a une espèce d'unanimité, que ce soit de la péninsule arabique, – l''Arabie Saoudite et le Qatar-, ou de l'Occident, -les États-Unis et la France et la Grande-Bretagne -, à continuer de soutenir et financer tous les djihadistes mercenaires dans l'est syrien avec comme objectif prioritaire de renverser Bachar Al-Assad. On sait, on connait la porosité totale entre ces groupes et l'État islamique. Donc, on peut encore une fois faire de grandes déclarations, tant que nous continuerons à avoir comme objectif prioritaire le renversement de Bachar avec le soutien de tous ces mercenaires dans l'est syrien, en réalité, indirectement, on continuera à soutenir l'État islamique. C'est pourquoi j'émets quelques réserves sur l'unanimité de ces belles paroles.
Vous vous êtes entretenus samedi avec Nicolas Sarkozy en présence de certains participants à la Nuit des Témoins. Qu'est-ce qu'il est ressorti de cette discussion ? Je crois qu'il a employé le terme de « génocide » religieux ? Qu'est-ce que vous pensez de ce terme ?
La première chose, c'est qu'effectivement, nous avons été reçus par Nicolas Sarkozy, chez lui, en compagnie de son épouse. Donc, c'était une marque de bienveillance, même honorifique vis-à-vis de nos témoins qui viennent du Moyen-Orient mais également du Nigéria. Et donc, nous avons été bien entendu très touchés par ce geste avec, je crois, un réel intérêt de Nicolas Sarkozy pour ces questions de chrétiens discriminés, cette question du Moyen-Orient. Il a effectivement utilisé ce mot de génocide. Il n'est pas le premier à le faire mais venant d'un responsable politique, à son niveau, c'est vrai que cela est une manière forte d'afficher à la fois la réalité des faits. Est-ce qu'il faut utiliser ce mot ou pas ? Je n'en sais rien. Je sais que le mot est polémique. Les chrétiens au nord de l'Irak n'ont pas été massivement exécutés, on leur a permis de fuir. Bien entendu, ils ont tout perdu et on peut le regretter. Mais il n'y a pas eu d'exécutions de masse et l'on s'en réjouit ! Donc, est-ce que le mot s'applique ou pas ? On n'en sait rien. En tout cas, un génocide culturel et le résultat, c'est une disparition, encore une fois, totale de toutes ces communautés du Moyen-Orient. Dans ce sens-là, on peut sans doute utiliser le terme.
Source: Radio Vatican