Les coptes ne veulent pas de l'aide américaine pour la construction de leurs églises
Jenna Le Bras, au Caire, le 16/01/2017 à 6h34
Une proposition de loi visant à assigner au secrétaire d'État américain la supervision de la construction des lieux de cultes chrétiens en Égypte doit être examinée ces jours-ci aux États-Unis. Une idée qui a provoqué la colère des Égyptiens, et en premier lieu des coptes eux-mêmes.
Dans la petite rue qui donne sur la place Bab-El-Louk, dans le centre du Caire, une dizaine de policiers en armes se tiennent près de l'église Sainte-Marie-et-Saint-Jean-le-Baptiste. L'édifice – dont la construction n'est pas terminée depuis 2008 – brille comme une île dans le ciel cairote en ce 6 janvier, soir de Noël.
Il est encore tôt, mais dans la nef, une quarantaine de fidèles est déjà réunie dans une ambiance feutrée. « Malgré les incidents récents, les gens viennent, ils viennent encore plus nombreux pour se recueillir », note le P. Youhanna Makin, qui célèbre l'office ce soir-là.
Cette année encore, Noël est célébré dans l'amertume : l'absence de 27 femmes et enfants, décédés dans l'attaque à la bombe survenue sur le site de la cathédrale Saint-Marc, en décembre, pèse sur les cœurs.
Une loi pour contrôler la délivrance de nouveaux permis de construire
Et, depuis quelques jours, à la tristesse s'est ajoutée la colère. Une proposition de loi visant à assigner au secrétaire d'État américain la supervision de la construction des lieux de cultes chrétiens fâche l'Égypte. Ce projet de loi, soumis au Congrès américain par le député républicain Dave Trott, a pour vocation de surveiller la bonne reconstruction des églises endommagées par les attaques islamistes post-Rabaa de 2013, mais aussi de contrôler la délivrance de nouveaux permis de construire dans le cadre de la nouvelle loi, votée par le Parlement égyptien, l'été dernier.
« C'est très gentil de la part des États-Unis de vouloir nous aider, mais nous ne pouvons pas accepter, s'excuse le P. Youhanna Makin. C'est à l'État de se charger de ces choses-là, et nous préférons garder la gestion de nos églises. »
Si le ton est mesuré, l'annonce dans la presse égyptienne de cette note, qui doit être présentée au Congrès américain prochainement, a crispé les autorités égyptiennes autant que les institutions religieuses du pays. Le ministère des affaires étrangères a rejeté la proposition assurant qu'elle « donnait le droit de saper la souveraineté nationale et imaginait que les autorités égyptiennes pouvaient se soumettre et rendre des comptes à une autorité étrangère ».
Construire des églises au sein d'une nation islamique est légitime
Dar Al-Ifta, l'autorité supérieure pour les fatwas, a aussi condamné le projet de loi pointant du doigt « l'ingérence dans les affaires intérieures de l'Égypte, qui fomente la discorde et la discrimination » entre les Égyptiens. L'organisme, chargé de diffuser les lignes directrices relatives à la bonne pratique de l'islam et de mettre fin aux controverses liées à l'application des préceptes coraniques, a toutefois rappelé qu'il était légitime de permettre aux chrétiens de construire des églises au sein d'une nation islamique dans le respect des lois.
« C'est une proposition sans intérêt et hors de propos », a réagi Mgr Anba Makarios, l'évêque très respecté d'Al-Minya, connu pour ses positions pro-régime. « Où étiez-vous en 2013 quand les Frères musulmans ont détruit et brûlé nos églises ? », a aussi martelé le P. Rafic Greiche, porte-parole de l'église catholique en Égypte.
Dans la foulée, l'Église orthodoxe copte a d'ailleurs insisté sur le fait que le gouvernement avait déjà accompli son « plein devoir dans la réparation et la rénovation des églises ». Une observation que remet en doute Mina Thabet, chercheur spécialiste de la minorité chrétienne pour l'ECRF : « Selon la presse, l'Égypte n'a pas besoin des États-Unis car 90 % des églises auraient déjà été reconstruites. ça me semble largement exagéré », assure-t-il.
Pour Georges Fahmi, chercheur au Middle East Directions European University Institute de Florence, « l'Église veut en finir avec l'idée qu'elle doit bénéficier d'une aide ou d'une protection extérieure quelconque ». « Elle a toujours été ferme sur ces questions, notamment car elle est régulièrement accusée d'être un agent de l'Occident par les islamistes », assure le spécialiste des rapports religion-État.
« Le problème vient de l'intérieur, il ne pourra être réglé que de l'intérieur, par les Égyptiens, insiste d'ailleurs Mina Thabet. L'Égypte a besoin d'une stratégie concrète pour lutter contre l'extrémisme religieux et les violences qu'il implique. La proposition américaine ne réglera rien. Reconstruire des églises sans ambition de faire respecter la liberté de culte ne sert à rien. Il faut venir à bout de ce type de violences par l'éducation. Le problème est plus profond que des murs à rebâtir. »
______________________________________
Depuis les attaques de 2013
En 2013, les Frères musulmans et les salafistes tiennent les chrétiens responsables du renversement du président islamiste Mohamed Morsi. Ils sont accusés de se venger en attaquant des lieux de cultes chrétiens.
De nombreuses maisons et magasins appartenant à des coptes sont pillés, 84 églises sur 66 sites différents sont partiellement ou entièrement détruites.
Début 2016, le président Al Sissi promet que tous les bâtiments endommagés seront réhabilités avant 2017.
Lors du Noël copte, le 6 janvier, il annonce avoir tenu sa promesse, avec seulement deux églises à terminer. Aucun rapport officiel n'étant disponible, cette déclaration est mise
en doute par les spécialistes, les travaux n'ayant commencé qu'en janvier 2015.
À l'occasion de la messe de Noël copte, le 6 janvier, le président égyptien annonce la construction de la plus grande église du pays, qui sera inaugurée en 2018 dans la nouvelle « capitale » du pays, qui est en train de s'élever dans la périphérie du Caire. Il souligne avoir alloué 100 000 livres égyptiennes (environ 5 200 €) au projet.
Jenna Le Bras, au Caire
CONTACTEZ-NOUS
3 rue de beaumoreau
79110 TILLOU
NOUS SUIVRE
Votre e-mail*
© 2017 CDM
MENTIONS LÉGALES