Être président et chrétien, une tradition revisitée
« Je suis chrétien », a déclaré François Fillon en réponse à une question sur son programme social. Un affichage inhabituel en politique, même si la plupart des présidents de la Ve République ont, chacun à sa manière, convoqué la religion à un moment ou l'autre de leur mandat.
« Je suis chrétien », a déclaré François Fillon en réponse à une question sur son programme social. Un affichage inhabituel en politique, même si la plupart des présidents de la Ve République ont, chacun à sa manière, convoqué la religion à un moment ou l'autre de leur mandat.
François Fillon visite un centre Emmaus, Paris le 3 janvier 2017. / Martin Bureau/AFP
Mardi 3 janvier au soir, François Fillon faisait sa rentrée médiatique sur TF1. Interrogé sur les polémiques provoquées par sa réforme du système de santé, il fit une double déclaration : « Je suis gaulliste et de surcroît, je suis chrétien. Cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui soit contraire à la dignité humaine, au respect de la personne humaine, au respect de la solidarité. » Une déclaration inhabituelle, même si elle s'inscrit dans une tradition bien ancrée depuis les débuts de la Ve République.
A lire : François Fillon se revendique « chrétien » et « gaulliste »
Présidents et croyants, une constante sous la Ve
De manière plus ou moins ostensible, la plupart des présidents de la Ve République ont marqué leur attachement non seulement à la croyance, mais à la pratique de la religion catholique : « Le général de Gaulle allait à la messe tous les dimanches, tout comme Georges Pompidou ou encore Valérie Giscard d'Estaing qui assistait aux offices de Saint-Jean-Cap-Ferrat lorsqu'il séjournait au fort de Brégançon », rappelle l'historien Jean Garrigues.
Tous les présidents, chanoines d'honneur de Saint-Jean-de-Latran, se sont également rendus au Vatican, à l'exception de Georges Pompidou. « Jacques Chirac, qui proclamait en 1996 la fidélité de la France à son héritage chrétien,avait rencontré Jean-Paul II à cinq reprises avant d'être président, précise encore l'historien. Même François Mitterrand, dont le rapport à la religion était plus complexe et ambigu, s'y rendit, en visite privée et non officielle toutefois. »
La rupture des deux derniers quinquennats
Avec la même constance, les présidents de la Ve s'étaient employés à distinguer strictement sphère privée et sphère publique, préférant les correspondances ou les mémoires pour se confier sur leur spiritualité et prenant parfois des décisions politiques en porte-à-faux avec leur intime conviction. Ce fut notamment le cas de Valéry Giscard d'Estaing, catholique pratiquant, qui soutint la loi sur l'IVG « en contournant notamment celui qui représentait alors la démocratie chrétienne, Jean Lecanuet, qui y était plutôt hostile », rappelle encore Jean Garrigues.
Au vu de cette longue histoire, François Hollande et son agnosticisme revendiqué font figure d'exception. Mais c'est au président précédent que remonte la véritable rupture. Dans sa volonté de définir l'identité nationale, Nicolas Sarkozy franchit plus d'une fois la barrière symbolique entre adhésion personnelle et déclaration publique (1). En 2005, avec la publication de son ouvrage La République, les religions, l'espérance. En 2007, lorsque, président, il prononça le célèbre discours de Latran dans lequelil affirmait la primauté de l'homme d'Église sur l'instituteur dans la transmission des valeurs.
Une stratégie électorale gagnante
François Fillon est l'héritier de cette double histoire, celle qui remonte aux débuts de la Ve comme celle, plus récente, qui a remis les racines chrétiennes de l'Europe au centre du débat politique. Mais contrairement à son prédécesseur, qui pouvait choquer par ses comportements et son style, « François Fillon a les gestes et la parole, résume le politologue Jérôme Fourquet. Dans sa campagne, il a été capable de se présenter comme une synthèse des différentes traditions de la droite française, à la fois la gaulliste, la libérale et la conservatrice. »
Et pour cela, il a su manier des références multiples. Comme il a rappelé maintes fois ses origines séguinistes pendant la campagne de la primaire, il convoque aujourd'hui la démocratie chrétienne et ses valeurs humanistes : « Dans les deux cas, il s'agit de contrebalancer son discours libéral qui lui a par ailleurs amené la faveur des classes aisées », analyse le politologue. Une référence d'autant plus utile que François Bayrou, dépositaire de cette histoire politique et critique du projet Fillon, ne l'utilise plus de manière explicite.
Un effet de la droite décomplexée
En même temps qu'il semble tendre la main aux démocrates-chrétiens, François Fillon adresse un signe aux catholiques qui ont joué un rôle important dans sa victoire à la primaire. Mais au-delà de l'électorat catholique, son message s'adresse à l'ensemble de la droitefrançaise « qui aujourd'hui se vit comme décomplexée », analyse Jérôme Fourquet. Il répond ainsi à une tendance qui traverse aujourd'hui l'électorat de droite : « la volonté de ne plus se cacher mais d'affirmer au contraire ses convictions comme ses racines, poursuit le politologue. Il ne s'agit pas d'une offensive cléricale contre le camp laïc, mais d'une affirmation identitaire qui s'accompagne en revanche d'un positionnement face à l'islam ».
Béatrice Bouniol
(1) Marc Tronchot, Les présidents face à Dieu, Calmann-Lévy, 2015.
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