17/6/2013- « Le salut viendrait-il de l'école ? » : Salim Daccache compare le rapport des écoles à la citoyenneté
Qu'est-ce donc que l'école libanaise ? « Une école pour le Liban », précise le recteur de l'Université Saint-Joseph, le père Salim Daccache s.j. Une école capable donc de transmettre l'essence de la formule libanaise : la cohésion non seulement au-delà de la différence, mais à travers l'assimilation de cette différence en tant qu'expression, presque fascinante, de l'humanité de l'autre. Dans son dernier ouvrage Pluralisme, vivre-ensemble et citoyenneté au Liban : le salut vient-il de l'école ?, le père Daccache démontre que les écoles actuelles détiennent les outils nécessaires pour accomplir une mission transcommunautaire d'éducation à la citoyenneté, sans occulter l'appartenance communautaire comme élément de l'identité. L'enjeu est « d'entrer dans la dynamique de la formation du citoyen libanais, sans qu'il ne soit déraciné de son milieu », explique le père recteur lors de la table ronde ayant accompagné la signature de son ouvrage.Son travail se base sur une étude comparative des textes fondateurs, chartes, projets éducatifs et déclarations de mission de plusieurs écoles libanaises chrétiennes, musulmanes et laïques, privées et publiques. Il parvient à dégager des valeurs transcommunautaires reconnues par ces établissements, en dépit de leurs divergences communautaires et parfois idéologiques. Le principal point de convergence relevé porte sur le rapport à l'autre : « La position vis-à-vis de l'autre (telle que préconisée dans les textes fondateurs), est clairement une position de respect et d'acceptation des différences.
Cette étude, pourtant basée sur des textes, ne se dissocie pas de l'action entreprise effectivement dans les écoles. Ces textes fondateurs « ne sont pas que des paroles, mais des énoncés performatifs, des actes constitutifs institutionnels », a précisé d'ailleurs Nada Moghaizel-Nasr, chargée de mission à la pédagogie universitaire à l'USJ, dans sa présentation des contours de l'ouvrage. Ce lien entre l'énoncé et la performance est exploité par l'auteur, qui met l'accent d'abord sur les éléments susceptibles d'incruster l'acceptation de l'autre dans les jeunes esprits. Le père Daccache fait remarquer de prime abord que « la visibilité des projets éducatifs », qu'assure leur publication, permet en soi de créer un espace propice à l'échange, qu'il qualifie de « terrain commun des altérités, principalement religieuses ». Ce qui est désormais certain est que « l'autre, en tant qu'institution scolaire, n'est plus un mystère ou un inconnu, mais un autre qui a un visage que le texte de mission dévoile ».
De « l'identité relationnelle »
Ce constat pourrait rejaillir sur l'enseignement de la manière de voir l'autre, en dépit des « tensions » subies par les écoles à cause de « la différenciation confessionnelle », qui continue de guider les comportements. L'auteur remarque en effet que « l'école place les valeurs de convivialité et de citoyenneté en bonne position et appelle l'élève à les intérioriser », mais fait remarquer en même temps qu'à « tout moment, surtout dans les moments de crise et de danger, ce sont les valeurs de la communauté ou de la société particulière qui prennent le dessus, sans pour autant que les valeurs citoyennes ne soient supprimées ». Ce constat nuancé induit une réflexion sur l'importance de ces valeurs, qui ont déjà le mérite d'exister et de résister. Elles semblent assimilables à un filet d'idées recueillies par l'élève, des idées parfois floues, mais qui tissent, du moins dans son inconscient, l'image de ce que pourrait signifier le vivre-ensemble. Les valeurs inculquées seraient, pour le moins, un système encore silencieux, peu exprimé, mais susceptible de faire le contrepoids à la violence latente que couve l'establishment politico-confessionnel du pays.
C'est cette approche qu'a adoptée le politologue Joseph Mayla, dans sa réflexion sur l'ouvrage. Il propose un enseignement qui « fait de la reconnaissance de l'identité de l'autre une identité en soi ». Il s'agit donc de « définir une unité supracommunautaire », précise-t-il, reprenant l'approche habermatienne. C'est l'idée d'une « identité relationnelle », censée combler la question de savoir « qui sommes-nous ? », toujours sans réponse à cause justement de l'impossibilité d'écrire une histoire libanaise. « La limite du pluralisme est l'identité problématique : je sais ce que j'enseigne et en qui je crois, mais qui suis-je au niveau de la nation ? », explique-t-il encore. Face à ce constat, l'ouvrage du père Daccache a le mérite de permettre de visualiser une « juxtaposition des traditions communautaires » qui doivent être comprises, en vue d'être transcendées, à travers « l'identité relationnelle ».
Le danger de l'absence de l'État
Mais dans son « analyse comparative des finalités, des objectifs généraux et des valeurs cosignés dans les données documentaires », l'ouvrage met en relief des nuances dangereuses qui existent, même dans la théorie, au niveau de certains points centraux, tels que « le rapport à l'entité libanaise ». Ces nuances trahiraient, dans la pratique, des divergences susceptibles d'abattre toute ouverture à l'autre. C'est ce point qu'exploite d'ailleurs le sociologue et chercheur Saoud el-Maoula dans sa lecture critique de l'ouvrage. Mettant l'accent sur la corrélation entre l'éducation et l'idéologie, prise dans le sens d'un « ensemble de représentations collectives par lequel s'affirme une hiérarchie de valeurs » (J.-W. Lapierre), il affirme que « si la nation, patrie ou société n'était pas toujours présente et vigilante pour obliger l'action pédagogique à s'exercer dans un sens social, celle-ci se mettrait nécessairement au service de croyances particulières et la grande âme de la patrie se diviserait et se résoudrait en une multitude incohérente de petites âmes fragmentaires en conflit ». Il s'attarde par exemple sur « les valeurs religieuses particulières dans les écoles partisanes chiites (les écoles Mahdi du Hezbollah), basées sur des thèmes récents qui n'avaient encore jamais existé dans les écoles chiites : ayatollah-wilayet el-faqih-jihad ». Il relève également « les valeurs sociales liées elles aussi à des thèmes récents : la société chiite libre et forte, l'élève combattant, le culte du martyr... ». Relevant en revanche l'accent mis par les écoles du mouvement Amal sur « l'affermissement de l'attachement national », Saoud el-Maoula est revenu sur les associations chiites antérieures à la naissance du Hezbollah, les associations créées par cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine, Moussa Sadr et Mohammad Hussein Fadlallah, ayant « donné aux Libanais chiites une éducation nationale et religieuse soutenant leur intégration totale dans la nation ». Même si l'ouvrage ne mentionne pas ces écoles, il valorise l'importance de l'enseignant et des projets interscolaires qui équilibreraient la mainmise des idéologies.