Cette décision constitue un tournant majeur, après l'approche prudente adoptée jusqu'ici par l'administration américaine.
Correspondante à Washington
Déchiré entre son désir de porter assistance à un peuple en danger et son aversion presque physique à engager son pays dans un nouveau conflit de type Irak ou Afghanistan, le président Obama s'est fait violence, ce jeudi, en décidant d'annoncer par la voix de son conseiller Ben Rhodes qu'il allait apporter un «soutien militaire» aux rebelles syriens du Conseil Militaire suprême dirigé par le général Selim Idriss. Mais cette fois, ça y est, la décision, tant attendue dans les rangs de l'opposition syrienne, est claire et à effet immédiat, a précisé Ben Rhodes. «Nous allons aussi travailler à améliorer leurs communications…et leurs moyens de transport», a-t-il dit. Il s'est gardé en revanche d'expliciter quel type d'armes serait fourni. Des officiels ont précisé au New York Times que ces livraisons comporteraient essentiellement de petites armes et des munitions. La livraison de matériel anti-char serait étudiée mais n'est pas encore à l'ordre du jour.
Cette décision n'en constitue pas moins un tournant majeur, après l'approche prudente et passive adoptée jusqu'ici par l'administration américaine. Ben Rhodes a précisé jeudi lors d'une conférence de presse téléphonique convoquée à l'impromptu que la confirmation de l'utilisation d'armes chimiques sur une «petite échelle» par le régime Assad à multiples reprises au cours de la dernière année, avait contribué, entre autres facteurs, à tremper la détermination du président. Il a expliqué qu'une ligne rouge inacceptable pour la communauté internationale avait été franchie avec ces actions, précisant que quelque 100 à 150 personnes avaient péri dans ces attaques chimiques, selon les évaluations récoltées par les Américains.
Mais il est évident que l'implication directe de l'Iran et du Hezbollah libanais dans la bataille, et l'avantage spectaculaire repris sur le terrain par les forces du régime d'Assad, ont joué un rôle sans doute plus décisif encore dans le changement de pied de Washington. Tandis que leurs alliés européens s'efforçaient en solo de prendre des mesures pour empêcher le dictateur d'assassiner des milliers de ses concitoyens, les Américains ne pouvaient se permettre de rester sur le banc de touche plus longtemps, note le journal Politico. C'était un trop lourd aveu de faiblesse, vis à vis de la région, de ses alliés et de ses adversaires potentiels, notamment la Russie, qui se frottait les mains de cette paralysie américaine.
Dilemme moral
Depuis quelques jours, un débat vigoureux agitait les rangs de l'administration, et les élites politiques semblaient mettre une pression accrue sur le président, pointant du doigt la menace d'extension du conflit à toute la région. L'irruption dans cette conversation géopolitique de Bill Clinton, qui a sous-entendu mardi soir à New York que le président se trouvait placé face au même dilemme moral que celui qu'il avait connu au moment du génocide du Rwanda, a sans doute pesé dans la balance.
Lors de plusieurs meetings à haut niveau cette semaine, le président, le secrétaire d'Etat John Kerry, le secrétaire à la Défense Chuck Hagel, et le conseiller à la sécurité nationale Tom Donilon, ont fini par conclure qu'une intervention plus directe des Etats-Unis devenait indispensable pour empêcher les forces d'Assad de triompher et d'arriver en position dominante à la Conférence de Genève censée se tenir en juillet. Tous sont des réalistes circonspects, et s'étaient déclarés jusqu'ici peu pressés d'impliquer l'Amérique. John Kerry et Susan Rice, la nouvelle conseillère à la Sécurité nationale, auraient, selon Politico, été plus moteurs dans la décision d'armer les rebelles que Donilon et Hagel.
Une aide ciblée
Dans sa conférence de jeudi soir, Ben Rhodes a exclu toute implication des boys américains au sol, évoquant en revanche l'existence «d'autres options militaires» qui seront discutées dans les prochains jours avec les alliés et amis des Etats-Unis.
Sur les autres options militaires, le conseiller a toutefois souligné qu'une zone d'interdiction de vol, hypothèse défendue avec insistance par le sénateur John McCain pour offrir une zone de repli sanctuarisée aux rebelles, comportait des risques d'embourbement et des difficultés pratiques dues à l'imbrication étroite des différentes forces militaires et des populations civiles, qui la rendent difficilement envisageable.
Dans ses explications, Rhodes a cité à maintes reprises le Conseil suprême militaire syrien dirigé par le général Idriss, indiquant ainsi que l'Amérique entendait cibler son aide en direction des groupes armés qu'il contrôle, en excluant en revanche de la chaîne les groupes islamistes durs comme al-Nusra. La peur d'armer des groupes proches d'al-Qaida avait jusqu'ici servi de justification majeure au refus d'Obama d'avaliser des livraisons d'armes. Rhods a affirmé que Washington travaillerait à la cohésion du CSM et de l'opposition politique, pour que leur tandem devienne une force susceptible d'incarner l'alternance dans l'après Assad.
Rhodes a en revanche noté que Washington continuait de soutenir l'idée de la conférence de Genève, proposée par les Russes, jugeant qu'une solution politique négociée restait la meilleure chance de succès pour la Syrie, même si «Assad ne peut faire partie de l'avenir» syrien. Mais l'engagement des Etats-Unis dans la fourniture d'armes aux rebelles promet une explication de texte houleuse avec Vladimir Poutine au G8, ce dernier continuant de fournir au régime d'Assad des armements ultrasophistiqués. La Conférence de Genève pourrait bien ne jamais voir le jour.
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