Homélie du pape François (texte intégral)
Pape François
ROME, 9 décembre 2013 (Zenit.org) - Le pape François dit son espérance dans la paix au Proche-Orient: le "Christ peut renverser la situation"! Il prie spécialement pour l'Egypte, à l'occasion de la venue à Rome du patriarche copte catholique Ibrahim Isaac Sidrak qui, après son élection, a demandé et reçu la « communion ecclésiastique » du pape Benoît XVI, le 18 janvier 2013.
Le patriarche a participé à la messe célébrée par le pape François ce lundi matin 9 décembre, à 7h, dans la chapelle de la Maison Sainte-Marthe. Le cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales, a aussi concélébré.
Le pape a spécialement prié pour que "reprennent rapidement les négociations de paix, souvent paralysées par des intérêts obscurs qui s'y opposent" et pour que la liberté religieuse soit accordée à tous: que "les chrétiens obtiennent aussi le droit de vivre sereinement là où ils sont nés, dans la patrie qu'ils aiment et dont ils sont citoyens depuis deux mille ans, afin qu'ils puissent contribuer comme ils l'ont toujours fait au bien de tous".
A.B.
Homélie du pape François
Béatitude, Éminence,
Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,
C'est la première fois que j'ai la joie, comme évêque de Rome, d'accueillir un nouveau patriarche venu accomplir un geste important de communion avec le Successeur de Pierre. En acceptant l'élection canonique, Votre Béatitude a aussitôt demandé la « communion ecclésiastique » avec « l'Église qui préside à la charité universelle ». Mon vénéré prédécesseur l'a volontiers accordée, en mémoire du lien avec le Successeur de Pierre que l'Église d'Alexandrie des coptes catholiques a toujours maintenu tout au long de son histoire. Vous êtes l'expression de la prédication de saint Marc l'évangéliste : et c'est précisément cet héritage qu'il vous a laissé en bon interprète de l'apôtre Pierre.
Dans la première Lecture, le prophète Isaïe (cf. 35,1-10) a réveillé en nos cœurs l'attente du retour glorieux du Seigneur. Nous entendons cet encouragement donné « aux cœurs défaillants », à ceux qui, sur cette terre bienaimée d'Égypte, font l'expérience de l'insécurité et de la violence, parfois en raison de leur foi chrétienne. « Courage, ne craignez pas ! » : voilà les paroles consolatrices qui trouvent leur confirmation dans la solidarité fraternelle. Je rends grâce à Dieu pour cette rencontre qui me permet de fortifier votre espérance et la nôtre, parce que c'est la même espérance : « … la terre brûlée… et le pays de la soif – en effet – se changeront en eaux jaillissantes » et s'ouvrira enfin « la voie sacrée », la voie de la joie et du bonheur, « et la douleur et les plaintes cesseront ». Voilà notre espérance, l'espérance commune de nos deux Églises.
L'Évangile (cf. Lc 5,17-26) nous présente le Christ vainqueur des paralysies de l'humanité. Il décrit la puissance de la miséricorde divine qui pardonne et délie tout péché lorsqu'elle rencontre une foi authentique. Les paralysies des consciences sont contagieuses. Avec la complicité des pauvretés de l'histoire et de notre péché, elles peuvent se répandre et entrer dans les structures sociales et dans les communautés, au point de bloquer des peuples entiers. Mais le commandement du Christ peut renverser la situation : « Lève-toi et marche ! »
Prions avec confiance pour que, en Terre sainte et dans tout le Moyen-Orient, la paix puisse toujours se relever des coups d'arrêt récurrents et parfois dramatiques qui lui sont portés. Que se taisent pour toujours les inimitiés et les divisions. Que reprennent rapidement les négociations de paix, souvent paralysées par des intérêts obscurs qui s'y opposent. Que de réelles garanties de liberté religieuse soient enfin accordées à tous, et que les chrétiens obtiennent aussi le droit de vivre sereinement là où ils sont nés, dans la patrie qu'ils aiment et dont ils sont citoyens depuis deux mille ans, afin qu'ils puissent contribuer comme ils l'ont toujours fait au bien de tous. Que le Seigneur Jésus, qui a connu la fuite avec la Sainte famille, et qui a été hébergé sur votre généreuse terre, veille sur les Égyptiens qui cherchent dignité et sécurité sur les routes du monde.
Continuons notre marche, en cherchant le Seigneur, en cherchant de nouvelles routes, de nouvelles voies pour nous approcher de lui. Et, s'il s'avérait nécessaire de faire un trou dans le toit pour que tous puissent s'approcher du Seigneur, que la charité créative de notre imagination nous y aide : il s'agit de trouver et construire des routes pour la rencontre, des routes de fraternité, des routes de paix.
Quant à nous, nous désirons « glorifier Dieu », en remplaçant nos craintes par notre étonnement : aujourd'hui encore, nous pouvons voir des « prodiges ». Le prodige de l'Incarnation du Verbe et, donc, de l'absolu de Dieu qui se fait proche de l'humanité : c'est là que se situe le mystère de l'Avent. Que votre père Athanase le Grand, si proche de la Chaire de Pierre dans la basilique du Vatican, intercède pour nous, avec saint Marc et saint Pierre, et surtout avec la Mère de Dieu, l'Immaculée et la Toute-Sainte. Qu'ils nous obtiennent du Seigneur la joie de l'Évangile, donnée en abondance aux disciples et aux témoins. Ainsi soit-il.
Traduction d'Hélène Ginabat
Et les chrétiens du Liban ?
Que l'islam soit en crise, qu'il traverse aujourd'hui la période la plus sombre de son existence, plus personne ne songerait à le nier. La situation est d'autant plus dangereuse qu'elle englobe inévitablement les États de la région et se traduit par des conflits aigus entre régimes d'obédiences communautaires opposées. Avec, en toile de fond, une hydre jihadiste tentaculaire qui menace autant les sunnites que les chiites.
La tragédie syrienne a constitué, en quelque sorte, une boîte de Pandore révélatrice : de ses tréfonds ont surgi tous les malentendus, toutes les haines accumulées au fil des siècles, une explosion dont les éclats ne pouvaient qu'atteindre le Liban à l'équilibre confessionnel fragile.
C'est là précisément notre propos : l'implication du Hezbollah chiite dans la guerre syrienne aux côtés des forces du régime et l'appui fourni par les courants sunnites à la rébellion ont révélé la profondeur des divergences qui meurtrissent l'islam libanais et l'importance des allégeances à l'Iran et à l'Arabie saoudite qui en découlent.
Une fracture qui met à mal le projet de société issu du pacte national qui a forgé l'indépendance du Liban et dont les chrétiens ont été les initiateurs, les grands défenseurs. Non au chant des sirènes occidentales, non au chant des sirènes arabes, tous unis dans une même entité, le Liban : voilà la formule sur laquelle s'étaient entendus chrétiens et musulmans en 1943 et qui était supposée préserver le pays du Cèdre des influences et pressions externes. Où en sommes-nous 70 ans plus tard ? Une société pulvérisée, des communautés qui s'épient en chiens de faïence et une implication suicidaire dans la guerre syrienne où chiites et sunnites enterrent les derniers rêves d'un islam tolérant et ouvert sur le monde.
Il y a quelques décennies, le maronitisme politique était accusé de tous les maux, soupçonné de nourrir de noirs desseins. Les années se sont écoulées, les crises ont succédé aux crises et qu'ont offert, entre-temps, le sunnisme et le chiisme politiques? Des divisions supplémentaires, une exacerbation du communautarisme, l'assujettissement à des agendas étrangers et la neutralisation de l'État par un parti qui s'est arrogé le droit de décider de la guerre ou de la paix et qui s'est fourvoyé dans la guerre civile syrienne. Conséquence naturelle : les jihadistes prennent tout le monde en otages, sunnites et chiites réunis, et, dans la foulée, se déchaînent contre les chrétiens, spectateurs et victimes d'un conflit et de haines qui les dépassent.
Le naufrage est tel qu'au sein même des communautés musulmanes des voix commencent à s'élever pour insister sur le rôle fondamental des chrétiens du Liban, garants d'une formule fondatrice seule susceptible de protéger le pays de la barbarie qui le talonne.
Pas de Liban possible sans les chrétiens, entend-on ainsi dire dans des milieux autant sunnites que chiites effrayés par l'ampleur du désastre. Mais les chrétiens, eux, englués dans leurs propres divisions, sont-ils encore à même d'en tirer les conclusions à quelques mois de l'échéance présidentielle ?