Chrétiens, réveillez-vous !
FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Frédéric Saint Clair, le danger qui plane sur les Chrétiens d'Orient doit permettre à l'Occident de prendre conscience de sa propre déchristianisation.
Frédéric Saint Clair est mathématicien et économiste de formation. Il a été chargé de Mission auprès du Premier ministre pour la communication politique (2005-2007). Il est aujourd'hui Consultant Free Lance.
La terreur qui s'abat sur les chrétiens d'Orient, ou plutôt sur les chrétiens vivant en Orient, sur cette fraction d'une même communauté chrétienne, cependant citoyenne d'une nation incapable de leur reconnaître le droit à vivre en paix, blesse l'ensemble de la communauté chrétienne. Et pourtant, la question se pose à chacun: «Que puis-je y faire, réellement, concrètement, moi qui habite si loin de là, moi qui n'ai aucune réelle influence sur les évènements?» Cette question, que d'aucun trouverait légitime, revient aujourd'hui à une autre question tout aussi impérieuse: «Qu'est devenu le Christianisme?», ou bien «A quoi sert-il désormais?», ou même: «Qu'est-ce qu'être chrétien?», «Quelle dimension pratique?».
Il y a plus d'un demi-siècle, Simone Weil déplorait que la question religieuse ait été réduite «au choix d'un lieu où aller passer une heure ou deux, le dimanche matin.» Aujourd'hui, elle n'est même plus cela. Car la grasse matinée du dimanche est devenue un plaisir bien supérieur. Ou bien les balades en forêt, les compétitions sportives, les brunchs, le bricolage, les sorties en famille, la plage, les joggings dans les bois, les flâneries en tous genres…
Si d'aventure un chrétien d'Irak, lequel risque sa vie pour faire le choix de la prière à l'église le dimanche matin, pouvait tourner ses yeux vers nous, qu'y verrait-il? L'image d'une communauté décomposée prêchant de bonnes paroles mais incapable de transformer ces paroles en actes? L'image d'une communauté ayant troqué sa foi au profit d'un loisir? Si nous étions nous-mêmes en Orient, menacés, mais priant malgré tout pour obtenir protection et secours, qu'aimerions-nous voir en tournant nos regards vers l'Occident?
Un christianisme pratique, qui a été réduit, par l'incapacité des âges, à un christianisme théorique, déraciné, trouve un écho dans le point de vue de Simone Weil: elle constatait amèrement que les chrétiens «se résignent à être eux-mêmes irréligieux dans toute la partie profane de leur vie…» alors que la fonction propre de la religion «consiste à imprégner de lumière toute la vie profane, publique et privée, sans jamais aucunement la dominer». Les chrétiens se sont retirés de la vie publique, déléguant au politique son entière gestion, se contentant de juger, voire de condamner, alors qu'il leur était demandé d'inspirer, d'initier, d'inciter, de participer. Il est important de noter que Simone Weil, déplorant que la religion ait été dégradée au rang d'affaire privée et réclamant l'action du chrétien, ne renonce pas au principe de laïcité. Lectrice des Evangiles, elle savait que le principe de laïcité avait été inscrit par le Christ lui-même au fondement de sa doctrine: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu». Le christianisme se satisfait donc pleinement de la laïcité qui ne constitue pas un obstacle à sa foi ni à ses œuvres ; et le Christ, et les disciples, et Paul, ont montré à quel point il était possible pour un chrétien d'être dans le monde sans pourtant être du monde.
La «lumière» évoquée ici par Simone Weil est celle que le Sermon sur la montagne associe aux chrétiens: «Vous êtes la lumière du monde», et dont le Christ dit que son rôle est de luire devant les hommes. C'est cette lumière, éclairant la pensée, qui ouvre la voie à des solutions pratiques. Mais si les œuvres ont été abandonnées, si la foi s'est éteinte, si les paroles sont devenues de maigres souhaits adressés à un pouvoir politique affaibli et qui confond bien souvent athéisme et laïcité, alors le résultat s'impose et nous accable: les chrétiens d'Occident ont fermé leurs yeux et se sont endormis. Comme l'écrivait François Mauriac dans un article du Figaro de 1934, «il s'agit d'un sommeil cherché, voulu, d'un renoncement collectif à l'esprit.» Ce renoncement à l'esprit est un renoncement à l'être, et il explique l'impuissance des actes. La question s'impose donc, plus impérieuse que jamais: Chrétiens, à quand le réveil? Car pendant que la communauté chrétienne internationale dort, les chrétiens d'Irak meurent. A quand le retour à une foi vivante, à cette prière du juste dont la Bible dit qu'elle a une grande efficace? Il ne s'agit pas d'arborer de grandes croix sur le poitrail, de multiplier les actes de prosélytisme au coin des rues, de scander à tour de bras des slogans agressifs, mais de vivre simplement en chrétiens et de ressusciter les paroles et les œuvres dont le Christ disait qu'elles témoignaient de son unité avec Dieu. Etre chrétien ne nécessite pas d'être proclamé, mais d'être vécu, dans la simplicité ; car par-là l'invisible conviction devient visible. La réinscription de l'Eglise au centre de la vie du chrétien - Eglise, il est important de le rappeler, pour laquelle les chrétiens d'Orient risquent leur vie - c'est-à-dire la participation à la communauté chrétienne, à l' «ecclésia», qui unifie d'ailleurs les dénominations, catholique, protestante, orthodoxe, etc., sous un même terme, «Christianisme», est le premier pas qui permet ensuite à la lumière d'imprégner «toute la vie profane, publique et privée», et qui incite le chrétien à déborder le cadre du dimanche matin, jamais ne cherchant à dominer la vie publique mais s'y inscrivant et la nourrissant. Et par ces actes répétés, donnant force aux paroles, les chrétiens d'Orient retrouveront l'espoir, car ils ne seront plus seuls. Et par ces actes répétés, témoins d'une foi vivante, la force qui manque cruellement aujourd'hui aux gouvernants, et le courage, et la détermination, seront peut-être rendus.
Envoyé de mon Ipad