Louise-Marie Chidiac, ou l'imagination à l'école
Louise-Marie Chidiac, qui vient de nous quitter, est bien plus qu'ancienne supérieure générale de la congrégation des sœurs des Saints-Cœurs dans les années 1977 à 1989. Dates certes importantes et tragiques pour le Liban, mais surtout fort cruciales pour Louise-Marie Chidiac en vue du démarrage d'une vision d'avenir qui la hantait, l'obsédait. C'est la jeunesse libanaise, la nouvelle génération d'après-guerres multinationales, d'après-paix, meurtrie, ravagée par les séquelles de violence, alors que le Liban message en dépend.
Que faire dans les écoles ? Louise-Marie Chidiac bouge, s'agite, agit, me contacte, connaissant mes rapports avec la congrégation qui compte plus de 30 000 élèves dans tout le Liban. Je lui lance : La génération de la relève. Programme pratique ambitieux, porteur d'avenir, concret, qui part de toutes les écoles de la congrégation et fait participer l'ensemble des acteurs pédagogiques de tout le Liban.
Avec la coopération du CRDI canadien, le soutien de François Farah et les trois mousquetaires du programme, elle-même, Abdo Kahi et moi, nous entreprenons une marche inédite de reconstruction du jeune capital humain du Liban. Pas seulement des études, mais surtout des expériences et des modes d'emploi pratiques qui ont mobilisé durant cinq ans plus de 250 auteurs et acteurs, plus de 20 000 enseignants et élèves, des instances religieuses et des hommes d'État d'envergure nationale (Khatchig Babikian, Joseph Zaarour, Joseph Moghaizel, Rafic Chahine, Mgr Habib Bacha, Issam Béchara, Salim Daccache, Boutros Harb...).
Les quatre volumes publiés de 1989 à 1995 (1. Une éducation nouvelle pour la jeunesse libanaise de notre temps, 2. La pédagogie du civisme, 3. La pédagogie éthique, 4. Le conseil pédagogique ou la démocratie à l'école, Beyrouth, Bureau pédagogique des Saints-Cœurs, librairie Orientale, 4 vol., 1989-1995) ont fourni une base fondamentale de données et de pratiques pour le Plan ultérieur de rénovation pédagogique au CRDP, au ministère de l'Éducation nationale, Plan de rénovation sous la direction pionnière du professeur Mounir Abou Asly, avec la participation de la plupart des universitaires, enseignants et associations qui ont contribué au programme « La génération de la relève ».
Louise-Marie Chidiac, c'est l'imagination à l'école, imagination qui semble avoir aujourd'hui déserté des établissements d'enseignement en faveur de la transmission du savoir. Einstein disait : « L'imagination est plus importante que le savoir. » La congrégation des sœurs des Saints-Cœurs a été, avec Louise-Marie Chidiac, l'exemple de ce qu'une communauté éducative au Liban peut faire à l'échelle de tout le pays, dans une perspective transcommunautaire et nationale.
L'imagination de Louise- Marie Chidiac a été prémonitoire. C'est la relève du Liban qui est visée, notamment dans le sabotage du fonctionnement de l'École nationale d'administration, la bureaucratisation du Plan de rénovation pédagogique, la suppression sans autre substitut du service militaire pour les jeunes, les attentats terroristes contre de jeunes élites de demain, dont Gebran Tuéni, Pierre Gemayel, Samir Kassir, Wissam el-Hassan, Wissam Eid..., les atteintes aujourd'hui aux jeunes recrues de l'armée...
Plusieurs m'ont répété : Le programme « La génération de la relève » ne devait pas s'arrêter. Car la difficulté n'est pas dans les moyens, mais dans l'imagination créatrice et qui frôle l'impossible. Mark Twain disait : « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait. »
Toute opération pionnière et novatrice se heurte à des résistances. Sans la détermination de Louise-Marie Chidiac, l'opération aurait pu s'arrêter à mi-chemin. Au 2e séminaire, les 14-15 juin 1991 : « La pédagogie du civisme », elle était tourmentée, dans tous ses états, me voyant victime d'une chute, avec plusieurs fractures à l'épaule et au pied, et bloqué sur chaise roulante ! Que faire ? Sur ma chaise roulante, à l'hôtel Alexandre, nous avons géré (et je dis nous) la continuité, heurtant ainsi la prétendue victoire des uns contre nous et le handicap physique.
J'ai admiré, j'aime, son harcèlement, j'ai la nostalgie de son harcèlement créatif, de sa conscience toujours en éveil dans un Liban d'aujourd'hui où des consciences sont comatisées, plus profondément que son coma prolongé.
Louise-Marie Chidiac, c'est la foi qui réalise l'impossible, la locomotive qui entraîne, toujours en marche. Le Liban a besoin aujourd'hui de trop d'imagination pour construire et reconstruire. Cela doit partir des écoles et universités. Louise-Marie Chidiac nous servira d'exemple. Quelle relève pour le Liban de demain?