Un patriarche aux frontières - Fady NOUN
S'est-on demandé en quoi la visite de solidarité du patriarche maronite au village grec-catholique de Qaa (Békaa), ciblé par des attentats-suicides, peut faire une différence ; en quoi elle a pu remonter le moral de la population de ce village frontalier ?
Disons d'abord que cette visite illustre la proposition que le patriarche Béchara Raï a lui-même exprimée, en recevant récemment Jean-Marc Ayrault, le ministre français des Affaires étrangères. Le chef de l'Église maronite, a-t-il fait valoir, se considère tenu de conduire physiquement et spirituellement, avec les autres patriarches catholiques, toutes les Églises de l'espace moyen-oriental, et non la sienne exclusivement.
Ainsi, et au risque de pécher par présomption, tout comme « sans les maronites, le Liban n'existerait pas » (dixit Michel Eddé), de même, historiquement, la visite du patriarche Raï confirme que le Liban est aujourd'hui plus que jamais, grâce aux maronites, le pays-témoin de la présence chrétienne en Orient.
Mais ce n'est pas n'importe quelle vocation que l'Église maronite assume en Orient. C'est celle de Pierre, celle que le Christ a directement confiée au prince des Apôtres, après son triple reniement : « Et toi, quand tu seras revenu, fortifie tes frères. » Il s'agissait alors non seulement de les fortifier dans leur foi, qui allait être ébranlée par le drame de la crucifixion, mais aussi de les exhorter à réaliser, au prix même de leur vie, le projet de société que Dieu manifestait « à la plénitude des temps », en fondant l'Église.
Ce que la visite du patriarche Raï à Qaa souligne d'abord, c'est donc la responsabilité de l'Église maronite dans la survie historique des chrétiens d'Orient, au besoin par le martyre. Mais, corollairement, cette visite souligne aussi sa responsabilité dans leur survie spirituelle, dans un Moyen-Orient où ces Églises sont minées (notamment) par le carriérisme, comme la récente crise au sein de l'Église grecque-catholique le prouve, douze évêques sur 22 refusant de répondre à l'appel de leur patriarche à la tenue d'un synode et l'un d'eux réclamant, à la télévision, son départ. Du jamais-vu en termes de vie ecclésiastique. Du reste, sans aller jusqu'à cet extrême, le carriérisme, travers mondain par excellence, n'épargne aucune des Églises orientales catholiques.
Moins grave, mais tout aussi symptomatique, l'échec du concile panorthodoxe de Crète, réduit à n'être qu'une réunion, est d'une certaine manière une autre marque de carriérisme. Certaines Églises orthodoxes, notamment orientales, croient pouvoir prendre leur temps dans la marche vers l'unité, quand la planète tout entière, en particulier leurs fidèles, vivent en état d'urgence en attendant la manifestation de cette unité.
Par ailleurs, ce n'est pas seulement de carriérisme que les Églises orientales souffrent, mais aussi de tiédeur. Comment expliquer autrement, par exemple, que l'Église maronite n'ait qu'un ou deux ermites et les offre avec satisfaction en exemple, plutôt que d'en regretter le petit nombre ? Qu'on aille donc à Notre-Dame de Qannoubine, dans la Qadicha, entendre la voix de la mémoire maronite ! Redoutons d'appartenir à une Église qui n'est plus tendue, dans la contemplation, vers le retour du Christ et qui risque de substituer le culte de l'efficacité et de la compétence à l'amour et à la sainteté.
L'Évangile met en garde contre le « mauvais levain » susceptible de gâter « toute la pâte », en l'occurrence toute une société. Sans vouloir exclusivement jeter la pierre aux maronites, dénonçons aussi l'incohérence des laïcs de cette Église engagés dans l'action politique. Et à l'effritement de cette pâte, à sa dureté, jugeons de ce que doit être le levain qui l'a si mal (é)levée que, plus de deux ans après la fin d'un mandat présidentiel, nous sommes toujours sans président.