Les cloches de la cathédrale Saint-Mina d’Héraklion, capitale de la Crète, sonnent à toute volée sous le soleil dominical. Retransmise dehors sur grand écran, la liturgie de la Pentecôte orthodoxe débute en présence du patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomeos Ier, entouré de dix primats des Églises orthodoxes.
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Cierges, chants polyphoniques, icônes, encens… Alors que la place est encore déserte à cette heure matinale – les fidèles grecs ne se déplacent qu’en fin de liturgie, après plusieurs heures de lecture et de psalmodie –, c’est un événement de portée historique qui se joue à l’instant sur le rivage crétois : le coup d’envoi du « saint et grand » concile panorthodoxe, qui ne s’était plus tenu depuis le schisme de 1054 et dont la préparation est engagée depuis plus d’un demi-siècle.
Un concile maintenu malgré l’absence du patriarche de Moscou
Certes, quatre des quatorze chefs d’Église qui s’étaient engagés à y prendre part en janvier dernier y ont renoncé, parmi lesquels le patriarche de la puissante Église orthodoxe russe, Kirill Ier de Moscou. Mais considérant que la signature des absents les engage malgré tout, le patriarche œcuménique a décidé de ne pas réduire la voilure de cet événement qui doit adresser au monde un signal d’unité de la foi orthodoxe.
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Jusqu’aux volte-face de dernière minute, le concile convoqué en Crète ressemblait pourtant sur le papier à un véritable Vatican II de l’orthodoxie. Après les siècles d’hégémonie ottomane qui ont suivi la chute de Constantinople (1453), les deux guerres mondiales et les décennies de glaciation soviétique au XXe siècle, ces Églises divisées se retrouvent jetées dans le bain d’une histoire qui s’emballe : effondrement de l’URSS, bouleversement des sociétés à l’est, crise financière globale, menace écologique, conflits en Ukraine et au Proche-Orient… Le besoin d’un « aggiornamento » orthodoxe est d’autant plus impérieux que ces Églises elles-mêmes se sont mondialisées en prenant pied – via d’importantes diasporas – sur les cinq continents.
Enfin, l’avènement d’un pape François venu de l’hémisphère Sud, philo-orthodoxe et apôtre de la synodalité, contraint les Églises orientales à se déterminer par rapport à cette nouvelle main tendue en faveur de l’unité.
Un ordre du jour limité à cinq textes
Reprendre en marche le train de l’histoire ne se fait pas sans soubresauts. En témoignent non seulement les chaises vides laissées par Moscou, Sofia, Tbilissi et Antioche. Mais aussi l’ordre du jour sur lequel vont se pencher dès aujourd’hui les quelque 200 évêques présents. Cadenassé depuis 1976, ce dernier se limite finalement à cinq textes (sur les dix proposés au départ) ayant préalablement recueilli le consensus de toutes les Églises. Et ce au terme de décennies d’âpres discussions…
L’un des plus importants porte sur la « diaspora », terme emprunté au judaïsme pour désigner les communautés installées à l’étranger, tout en restant liées à l’Église mère du pays d’origine. Enjeu politique et financier de taille à l’heure de la mondialisation, cette question touche aussi au cœur de l’expérience orthodoxe. « Si ces diasporas sont une chance pour inciter les Églises à s’ouvrir et coopérer, elles risquent en même temps de les enfermer dans des ghettos ethniques, explique le P. Nicolas Kazarian, prêtre orthodoxe et chercheur en relations internationales, présent comme expert en Crète. Le concile va rappeler que seule la célébration de l’Eucharistie fonde l’Église locale ».
Un autre texte, consacré à la « mission de l’Église dans le monde contemporain », témoigne d’une défiance persistante de l’Église orthodoxe à l’égard d’un Occident pourvoyeur de tous les maux : individualisme, sécularisation… Quant au texte sur l’œcuménisme, il polarise l’orthodoxie entre les partisans du dialogue et ceux, jusqu’au-boutistes, qui nient aux autres confessions chrétiennes la qualité même d’Église. Enfin, il sera également des conditions d’accès à l’autonomie des Églises et du jeûne.
Les grands défis d’aujourd’hui tenus à l’écart
Au total, cet ordre du jour crétois tient résolument à l’écart les grands défis d’aujourd’hui. En particulier la guerre qui déchire l’Ukraine, mais aussi les questions brûlantes liées à la gouvernance mondiale, l’écologie, la révolution numérique et bioéthique…
Tenant à bout de bras le processus conciliaire en dépit des vents contraires, Bartholomeos n’ignore rien de ces difficultés. « Notre Église orthodoxe doit livrer au monde un témoignage d’amour et d’unité, lui révéler l’espérance gardée comme un trésor secret », a-t-il déclaré hier lors de son homélie de Pentecôte.« Pourtant, cela n’est pas suffisant si nous en restons à la théorie. Cela exige un effort au niveau du vécu, sur lequel force est de constater que malheureusement nous sommes très en retard. »
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Le concile en chiffres
• Dix Eglises autocéphales sur les 14 que compte l’orthodoxie participent au concile : Constantinople, Alexandrie, Jérusalem, Chypre, Athènes, Pologne, Roumanie, Albanie, terres tchèques et Slovaquie, Serbie.
• Au total, ce sont près de 200 métropolites et évêques qui travaillent sous la présidence du patriarche oecuménique Bartholoméos de Constantinople.
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http://www.la-croix.com/Religion/Monde/Le-concile-panorthodoxe-debute-ses-travaux-en-Crete-2016-06-19-1200769776
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