Anne Kurian
ROME,
mardi 18 septembre 2012 (
ZENIT.org) – Dans un message adressé à Benoît XVI, le métropolite orthodoxe d’Alep livre un plaidoyer pour que les chrétiens ne quittent pas la Syrie, ce qui aurait « de tristes conséquences » sur la « riche mosaïque syrienne, trésor de son identité depuis des siècles ». Il appelle donc à « endiguer » l’émigration par des politiques adaptées.
Mar Gregorios Yohanna Abramo, métropolite d’Alep, de l’archidiocèse orthodoxe de Syrie, dont l’archevêché est au cœur de la vieille ville d’Alep, n’a pas pu se rendre au Liban pour rencontrer Benoît XVI : en effet, à Alep, explique-t-il dans un courrier envoyé à Rowan Williams, archevêque de Canterbury, « les mouvements sont restreints à espace d’un kilomètre carré », l’aéroport international de la ville est « inaccessible » et beaucoup de chrétiens sont en train de mourir « martyrs ».
Les citoyens « souffrent immensément », souligne le métropolite qui fait part de ses craintes que les citoyens « perdent confiance dans leur pays natal ». Lorsque les hostilités cesseront, « le monde sera stupéfait de l’étendue des vies civiles perdues et de l’ampleur des dévastations et sacrilèges, en plus des ravages économiques », affirme-t-il.
Mar Gregorios Yohanna Abramo n’a donc pas pu être présent lorsque le pape a remis son exhortation apostolique au Moyen-Orient (14-16 septembre 2012), alors même qu’il avait participé activement – intervenant sur le témoignage des chrétiens et sur l’immigration de ces derniers – au synode des évêques pour le Moyen-Orient en octobre 2010.
Le métropolite a malgré tout fait parvenir une lettre à Benoît XVI, datée du 14 septembre 2012, souhaitant que la présence du pape redonne « de l’enthousiasme, de l’assurance et l’espoir d’un avenir lumineux pour la région entière » et lui exprimant ses préoccupations pour son pays.
Depuis mars 2011, les Syriens endurent une « violence sans précédent, qui se diffuse rapidement dans tous les coins du pays, avec un bilan humain de dizaines de milliers de victimes et martyrs et des vagues de centaines de milliers de personnes en exode », rapporte-t-il : « aucun citoyen n’est immunisé » et les plus grandes villes « sont devenues des champs de bataille ».
A Alep même, ville qui était un « exemple de coexistence pacifique entre chrétiens et musulmans », des chrétiens sont « kidnappés, torturés », des « énormes rançons sont demandées pour leur libération », tandis que « des églises et mosquées sont profanées ».
En outre, ajoute le métropolite, des menaces sont sans cesse proférées à l’encontre des chrétiens. Récemment encore, un groupe de la communauté arménienne a été victime d'une embuscade en rentrant de l’aéroport, le 12 septembre 2012.
Si les chrétiens de Syrie sont dans un état de « profonde dépression et anxiété », cependant ils ne sont pas les seuls à pâtir de la situation : l’absence de loi et d’ordre aura des conséquences funestes « sur le bien-être de la communauté dans son entier », estime Mar Gregorios Yohanna Abramo.
« La seule mesure de protection à portée des citoyens terrifiés et traumatisés est de fuir à la première occasion et de trouver refuge là où c’est possible, souvent au Liban, en Egypte, à Chypre et en Turquie », constate le métropolite : « beaucoup nourrissent cette idée de l’immigration, peu importe la destination, s’accrochant à des rumeurs de possibilités pour la Suisse, la Hollande, le Canada ou l’Amérique ».
Or, déplore-t-il, « l’immigration n’était pas une priorité avant l’escalade de la violence et l’échec des appels à un cessez-le-feu et à des négociations ».
Le métropolite y voit un retour du scénario vécu par les chrétiens d’Irak en 2003, dont beaucoup sont d’ailleurs « encore en Syrie, attendant indéfiniment qu’on leur attribue une destination ambiguë ». Si cette situation se reproduit en Syrie, elle aura « de tristes conséquences sur l’équilibre délicat de la démographie » du pays, et affaiblira la « riche mosaïque syrienne, trésor de son identité depuis des siècles ».
C’est pourquoi Mar Gregorios Yohanna Abramo lance un « appel pressant » aux Eglises et aux gouvernements du monde pour « s’occuper de la racine de cette violence imposée qui accélère la migration forcée des Syriens ».
Bien sûr, poursuit-il, il n’est « pas suffisant » de condamner l’immigration. Il faut aussi « l’endiguer » en élaborant des politiques pour « aider les chrétiens à mener des vies paisibles et dignes, pour que les jeunes puissent fonder de nouvelles familles et consolider leur présence et leur témoignage dans leur société ».
En ce sens, le métropolite appelle les gouvernements arabes et islamiques à « reconsidérer leurs programmes d’éducation » et à « y éliminer les signes ou suggestions qui pourraient encourager à une culture de sectarisme, discrimination et violence qui saperait le rôle des chrétiens ou tout autre groupe de la société ».
Pour lui en effet, la « présence et la durabilité » des chrétiens au Moyen-Orient est une « responsabilité morale islamique », car les chrétiens répandent un « message d’amour et de coopération ». Les chrétiens « ne sont pas de nouveaux arrivants dans la région », insiste-t-il, ils sont « la population indigène de cette terre, qui a vécu et pratiqué le christianisme dans la région depuis deux millénaires ».
Afin de « garantir les droits égaux de chacun sur une même terre », il faut garantir la « citoyenneté ». En ce sens, précise Mar Gregorios Yohanna Abramo, les gouvernements du Moyen-Orient doivent « mettre fin à la répression, aux arrestations arbitraires », et « réhabiliter les prisonniers, établir des systèmes d’aides sociales pour aider les familles d’émigrés à se retrouver, donner plus de liberté aux medias et soutenir les réformes pour la démocratie en vue de l’égalité et la justice sociale ».
Le métropolite propose par ailleurs à Benoît XVI des initiatives communes à toutes les Eglises de la région, notamment l’unification de la date de Pâques, l’établissement d’un anniversaire pour les chrétiens martyrs, et surtout le soutien du dialogue « entre chrétiens » et « entre chrétiens et musulmans » au Moyen-Orient.
En conclusion, il appelle « toutes les parties en guerre à rejoindre la table des négociations pour rétablir la paix ».