olj 21/5/2914-Les maronites en Terre sainte, une présence fragile liée au contexte régional
À la veille du voyage pastoral que le patriarche Raï doit effectuer en Jordanie et en Terre sainte, d'abord pour y accueillir le pape (24-26 mai), ensuite pour une tournée pastorale dans les paroisses maronites de Galilée (à partir du 27 mai), l'évêque maronite de Haïfa et de Terre sainte, Mgr Moussa Hage, a accordé à Télé-Lumière un entretien éclairant sur la situation des maronites en Terre sainte et les défis auxquels ils font face.
L'État d'Israël dans ses frontières d'avant 1967 et la Cisjordanie, territoire occupé, comptent quelque 200 000 chrétiens, dont les deux tiers environ résident au nord d'Israël, en Galilée. C'est là aussi que l'on trouve le gros de la communauté maronite, qui compte quelque 10 000 résidents. Les trois quarts d'entre eux sont installés en Terre sainte depuis au moins le temps de Fakhreddine II, soit depuis le début du XVIIe siècle, et sont comptés comme citoyens d'Israël. Mais ils n'y sont qu'une minorité par rapport aux 130 000 chrétiens qui vivent en Galilée, et appartiennent à égalité aux Églises grecque-orthodoxe et grecque-catholique.
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Haïfa, centre de gravité maronite
Ces maronites-là relèvent du diocèse maronite de Haïfa et de Terre sainte, créé en 1996. Les paroisses en sont réparties de la sorte : Aïn Kynia : église Saint-Georges ; Acre et Maker : église du Rosaire ; Haïfa : église Saint-Louis ; Isfiya : église Saint-Charbel ; Jaffa : église Saint-Antoine ; Jish : deux églises, Notre-Dame et Saint-Maron, et Nazareth : église de l'Annonciation.
Mgr Moussa Hage habite à Haïfa, où réside aussi la moitié des maronites de Galiée, et notamment un bon nombre de réfugiés de Kfar Bar'am, un village rasé par les Israéliens. C'est donc le centre de gravité de la présence maronite en Galilée et en Terre sainte. En fait, cette grande paroisse comprend six communautés paroissiales distinctes et est desservie par 5 prêtres diocésains, deux religieux de l'ordre libanais maronite et neuf religieuses. Quatre jeunes s'y préparent au sacerdoce.
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Les ex-miliciens de l'ALS
Il existe par ailleurs quelque 2 500 maronites qui font partie des Libanais de toutes les communautés ayant fui leurs villages et la bande frontalière, quand l'armée israélienne s'est retirée du Liban-Sud, en 2 000, et qui étaient soit anciens membres de l'Armée du Liban-Sud, soit en rapport commercial ou autre avec Israël. Ceux-là constituent évidemment une catégorie à part, et la plus grande partie d'entre eux rêvent de rentrer au pays ou de quitter une société étouffante qu'ils rejettent. Au départ, ils étaient quelque 10 000 Libanais à fuir, mais progressivement, plusieurs milliers d'entre eux sont revenus au Liban, certains aux risques d'y purger quelques années de prison. Ceux qui sont restés sont des miliciens qui ont un contentieux d'exactions à se reprocher ou qui sont dans le doute sur leur sort s'ils rentrent au pays.
(Repère : Les grandes étapes du pape François en Terre sainte)
Un arrangement abrogé
Selon l'évêque, le retour au Liban des Libanais en fuite avait fait l'objet d'un arrangement cautionné par toutes les parties politiques, en vertu duquel les peines de prison infligées aux anciens miliciens de l'Armée du Liban-Sud qui voudraient rentrer au pays étaient marquées du signe de la clémence. Cet arrangement n'est plus en vigueur, a indiqué Mgr Hage, sans plus d'explications. Qui plus est, les naissances au sein des familles maronites résidant en Israël, à titre provisoire, ne sont plus enregistrées par l'état civil libanais. De sorte qu'il existe en Israël de nombreux adolescents arbitrairement privés de la nationalité libanaise. « Pour préserver leurs droits, nous les inscrivons dans les registres paroissiaux de leurs familles au Liban », a précisé l'évêque.
Par ailleurs, il existe une présence maronite très clairsemée à Jérusalem, autour de l'église Saint-Maron, proche du Saint-Sépulcre, et à Bethléem, autour de l'église Saint-Charbel. À Jérusalem, qui fait partie d'un archidiocèse comprenant Jérusalem, la Palestine et la Jordanie, on estime le nombre de fidèles à 45 familles, soit 135 personnes, y inclus 4 familles à Bethléem, 7 à Beït Jala, et deux à Beït Sahour et à Ramallah.
Des maronites se sont aussi dispersés dans Abou Dis, Beit Hanina, Sha'fat, Ar-Ram, etc.
Messe de Raï à Beït Sahour
La visite pastorale du patriarche maronite commence après le 26 mai, qui marque la fin de la visite du pape en Terre sainte, a précisé Mgr Moussa Hage. Mardi 27 mai, Mgr Raï célébrera une grand-messe à Beït Sahour qui, avec Bethléem et Beit Jala, est l'épicentre de la présence chrétienne en Cisjordanie et où en fait les maronites sont très peu nombreux. « Il en est ainsi, a commenté l'évêque. Les chrétiens de ces régions-là ont insisté pour que le patriarche leur rende visite. » Le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, assistera à la messe, qui sera donc un moment d'affirmation identitaire et éthique autant que chrétienne.
Le patriarche se rendra ensuite pour quelques jours en Galilée, où il visitera les paroisses maronites et écoutera les doléances de leurs fidèles, avant de regagner la Jordanie par la route et de prendre l'avion pour le Liban. Il voyagera avec un passeport de service du Vatican, et sera accompagné de Mgr Boulos Sayah et du porte-parole de Bkerké, Walid Ghayad. La présence de Mgr Sayah aux côtés du patriarche sera précieuse puisque nul mieux que lui ne connait les détails de la présence maronite en Terre sainte. Mgr Sayah cumulait en effet les titres d'archevêque de Haïfa et de Terre sainte, et de vicaire patriarcal maronite de Jérusalem, Palestine et Jordanie, avant l'élection du patriarche Raï.
Les habitants de Kfar Bar'am
Les difficultés et défis rencontrés par les maronites en Terre sainte sont immenses, indépendamment des cas des familles ayant fui en Israël après le retrait de l'armée israélienne du Liban-Sud.
Le patriarche aura l'occasion d'écouter les habitants de Kfar Bar'am, dont le village a été rasé et les terres « confisquées » par les Israéliens, mais qui ont obtenu, à force de tenacité, un jugement en faveur de la part de la Haute Cour israélienne. Le caractère raciste du pouvoir politique israélien se manifeste clairement à ce niveau ainsi qu'à celui des délais indéterminés nécessaires pour obtenir, par exemple, un permis de construction quand on n'est pas juif. Tout est donc fait pour décourager les non-juifs et les pousser au départ, dans l'apparent respect de leurs droits civils. Il n'y a donc pas de persécution directe des chrétiens, mais une guerre d'usure qui en tient lieu.
L'esprit missionnaire absent
Par ailleurs, les maronites de Terre sainte n'ont ni écoles, ni dispensaires, ni centres qui leur sont propres, sinon des ébauches, précise Mgr Moussa Hage. Certes, on ne peut occulter le rôle de l'ordre libanais maronite qui, depuis plus d'un siècle, est implanté à Jaffa dont il dessert la paroisse. Il y a construit 50 appartements pour faciliter le logement des familles. Le tout s'est fait sur un terrain de l'ordre. Par ailleurs, les sœurs maronites de Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus sont présentes en Terre sainte (Jérusalem et Jish) depuis 1981. Mais Mgr Hage appelle de ses vœux une présence plus active des ordres religieux maronites en Terre sainte. Il déplore le relâchement de l'esprit missionnaire et l'amour du confort qui les en empêche.
Enracinement et mobilité...
Dans une étude récente, le père Louis Wehbé, du monastère de Latroun (Terre Sainte), le reconnaît : « L''avenir de l'Église maronite en Terre sainte reste fragile. Son devenir dépend essentiellement du sort du reste des chrétiens. Le tout étant viscéralement lié au contexte régional très instable. La présence chrétienne doit y joindre le don de l'enracinement au talent de la mobilité. Elle doit faire preuve à la fois de persévérance, mais aussi de souplesse. Son aptitude à l'adaptation doit l'immuniser face aux dangers des troubles politiques et économiques, comme ceux qui résultent d'une certaine recrudescence des courants fondamentalistes. »
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