Hsain, Najat et Daoud ont fui l'État islamique.
Depuis début début août, la nouvelle avancée de l'Etat islamique a chassé sur les routes des centaines de milliers de réfugiés yézidis, chrétiens, mais aussi kakaï, chabak ou sabéens.
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Prévenus par leurs proches, certains sont parvenus à quitter leurs villes et villages à temps, mais ont souvent tout perdu, et même parfois la vie, dans leur fuite éperdue. Lorsqu'ils n'ont pu partir à temps, les yézidis ont été massacrés pour les hommes, enlevées et vendues comme esclaves à Mossoul pour les femmes. De leur côté, soumis à d'intenses pressions pour se convertir, la plupart des chrétiens ont eu, eux, la vie sauve à condition de partir.
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Les déplacés vivent aujourd'hui dans des conditions misérables au Kurdistan irakien. L'aide internationale, qui a commencé à leur arriver, est encore insuffisante.
Daoud, à l'extrême-droite de la photo
• Daoud : « J'ai vu la mort en face »
Daoud, un Chaldéen de Qaramlesh, est resté pour veiller sur ceux qui n'avaient pas pu fuir avant l'avancée de l'État islamique. Il partage désormais avec quatre familles une petite maison louée par ses proches à Ankawa.
« J'avais quatre enfants, trois filles et un garçon, mais malheureusement j'ai perdu ma fille Amira, 8 ans, d'un cancer du foie et je n'ai même pas pu assister à ses obsèques. La veille du jour où l'État islamique (EI) est entré dans la plaine de Ninive, je l'avais amenée à Qaraqosh pour la faire soigner et je suis rentré à Karamlesh.
Lorsque les gens ont fui, dans la nuit du 6 au 7 août, un de ses oncles a porté Amira jusqu'à la frontière du Kurdistan pour l'emener à l'hôpital, mais hélas elle est décédée. Moi, j'ai décidé de rester avec un ami, Yasser, pour veiller sur ceux, âgés surtout, qui n'ont pu partir à temps.
Quand j'ai appris que ma fille allait être enterrée à Erbil, j'ai demandé aux gens de l'EI de me laisser y aller. Ils ont refusé en disant : "Nous aussi, on a quitté nos familles pour venir en Irak." C'était très dur pour moi.
Un jour, les gens de l'EI m'ont dit :"Tu es nazaréen". J'étais paralysé. J'ai répondu : "Non, chrétien". Ils m'ont dit : "Si tu es nazaréen, alors tu marches le long du mur". Ils m'ont dit qu'ils allaient fouiller les maisons et qu'il fallait partir. Quand j'ai fui, j'ai vu la mort en face : les hommes d'EI dans la rue et, au-dessus de nos têtes, les avions qui bombardaient… »
• Hsain : « Beaucoup d'enfants sont morts de soif »
Yézidi, Hsain était fermier dans un village du nord du Sinjar. Il est arrivé à Souleymanié en passant par la Syrie, puis le nord du Kurdistan.
« Le 3 août, lorsqu'on a vu les peshmergas (NDLR : les soldats kurdes) reculer, tout le monde s'est enfui dans la panique, dans des voitures, en tracteur, à dos d'âne ou à pied. Une immense foule. Moi, j'ai fui avec 31 personnes de ma famille.
Lorsque les voitures sont tombées en panne, les gens continuaient à pied. Il y avait des gens âgés, des petits enfants. Comme nous n'avions pas assez d'eau, nous ne donnions que le bouchon de la bouteille aux enfants pour qu'ils trempent leurs lèvres. Mais beaucoup sont morts de soif.
En voiture, on peut mettre environ cinq heures à rejoindre le Kurdistan, mais à pied, nous avons mis trois à quatre jours, en passant par la Syrie. Lorsque nos chaussures ont été trop abîmées, nous avons enroulé nos chemises autour de nos pieds pour continuer à marcher.
Quand nous sommes arrivés enfin à Dohouk (NDLR : dans le nord du Kurdistan), les Kurdes nous ont donné à boire, un peu d'argent. Aujourd'hui, certains de mes fils qui travaillent nous aident. Mais ce n'est pas suffisant. Nous devons vendre nos bijoux pour acheter de quoi manger. »
• Najat et Behnam : « Plutôt le martyre que la conversion »
Najat et Behnam tenaient une petite épicerie dans le village chrétien de Bartella, dans la plaine de Ninive. Parce qu'ils n'ont pu fuir à temps, ils ont passé plusieurs jours sous le joug de l'État islamique.
« Personne ne nous a dit de partir, le 6 août au soir. Lorsque je me suis réveillée le matin, il n'y avait plus personne. Vers 11 heures ou midi, une douzaine de combattants de l'État islamique sont entrés chez moi pour me demander de me convertir.
Ils m'ont dit que nous aurions tout ce qu'il nous faut si nous acceptions. Ils étaient masqués, portaient la barbe, une chemise noire et un pantalon noir. Tous les jours, ils sont revenus. À la fin, je leur ai dit : "Vous avez des armes, tuez-moi ! Je préfère être martyre que de me convertir". Je n'en pouvais plus.
Alors ils m'ont dit de venir, qu'ils allaient m'emmener à la frontière avec le Kurdistan. Ils ne m'ont rien laissé prendre. J'avais un chapelet dans mon sac, ils l'ont pris, m'ont demandé ce que c'était et l'ont détruit. Là, j'ai commencé à avoir peur.
Ils ont pris la clé de ma maison, je ne l'ai même plus. Aujourd'hui, nous dormons dans une salle de l'église évangélique de Souleymanié et le P. Ayman (NDLR : un curé chaldéen) nous a donné un peu d'argent. Mais je ne mange rien, je n'ai jamais faim. Et mon mari ne parle plus. »
• Mohammed : « C'est une éradication »
Mohammed, kakaï (religion anté-islamique), s'est réfugié avec 46 familles de son village dans le camp chrétien de Mart Shmouni à Ankawa
« Nous vivions dans un petit village, Kabarli, près de Qaraqosh. Il y a environ 6 ou 7 villages de Kakaïs dans la plaine de Ninive. Quand les peshmergas (NDLR : soldats kurdes) se sont retirés, on s'est enfui en même temps que les chrétiens parce que nous avions entendu dire que les combattants de l'État islamique tue des gens, enlèvent les femmes… Il n'y a plus aucun Kakaï dans nos villages. J'ai entendu dire que nos voitures avaient été volées par l'État islamique et nos troupeaux par nos voisins musulmans.
Pourquoi la France n'envoie-t-elle pas son armée ? C'est une éradication. Nous étions 20 000 Kakaïs en Irak. Un jour, il n'y en aura plus aucun… Nous travaillions avec les musulmans mais finalement, ils nous ont trahis. J'ai 60 ans, et je n'ai plus rien à part cette tente.
Nous voulons retourner dans nos villages avec une protection internationale permanente pour ne pas être attaqués de nouveau. Il faudrait expulser le village musulman qui s'est installé près de nous pour que nous puissions vivre en paix. Nous sommes nés en Irak et nous mourrons en Irak. Même s'il ne reste rien de nos maisons, nous les reconstruirons pierre après pierre. »
Recueilli par Anne-Bénédicte HoffnerEnvoyé de mon Ipad