Dans une scénographie digne d'Hollywood, vingt et un coptes ont été froidement égorgés hier en Libye par le groupe État islamique, et leur sang a rougi la Méditerrannée, symbole de cette mer où les cendres d'Oussama Ben Laden ont été secrètement dispersées par les États-Unis le 2 mai 2011. Quel rapport entre les deux événements ? Aucun. Pourquoi vingt et un chrétiens égyptiens ont payé de leur vie, de cette atroce façon, la mort d'Oussama Ben Laden, on ne le saura jamais. Et contrairement aux chrétiens de Mossoul, les ouvriers coptes en Libye n'ont même pas eu le choix de l'apostasie. Leur baptême a suffi à leurs tortionnaires. Le titre de ce film d'horreur pourrait être Le silence des agneaux, s'il n'en portait déjà un : celui de la Passion du Christ. « Comme un agneau conduit à la boucherie, il n'ouvre pas la bouche », avait prophétisé Isaïe. Est-ce un hasard ? Ce supplice intervient à l'orée du grand carême où la Passion du Christ est récapitulée.
La mort des vingt et un ouvriers égyptiens, choisis pour mourir parce que chrétiens, n'est rien moins qu'une Passion revécue. À leur corps défendant peut-être, ces morts sont des martyrs. « Il faudrait sans plus tarder leur construire des sanctuaires », pensent les plus radicaux. De fait, assoupies dans le confort, les Églises orientales courent le risque d'oublier qu'elles sont « sel et levain » des nations où elles sont enracinées, d'oublier qu'elles sont à leurs sociétés « ce que l'âme est au corps ».
Aussi noble qu'elle soit, la réaction du président égyptien réduit la portée de cette mort. Le président Abdel Fattah al-Sissi a présenté ses condoléances au chef de l'Église copte-orthodoxe, Tawadros II, mais il a reçu le massacre de ses compatriotes dans un esprit nationaliste. Il s'est promis de punir leurs agresseurs. Ses avions ont commencé la tâche. C'est légitime, mais ce n'est pas le mot de la fin. D'une certaine manière, les « condoléances » transmises par le patriarche maronite au chef de l'Église copte-orthodoxe tombent dans cette catégorie. Elles passent à côté de l'essentiel.
« Le martyre, dit saint Irénée, est semence de chrétiens. » C'est dans cette conscience chrétienne globale que doit être vécue la mort des ouvriers coptes en Libye. Les Églises orientales devraient avoir l'audace de dire au monde qu'elles ont versé leur part de sang, ce qui légitime leur droit à s'engager à l'émancipation humaine et spirituelle du monde dont ils rachètent ainsi le sol. Il faut en finir, une fois pour toutes, avec les réactions timides, chétives, apeurées, prudentes et embrasser résolument la possibilité du martyre comme une occasion de témoignage, et non un malheur à éviter à tout prix.
Ce qu'est vraiment le groupe État islamique, on le saura un jour. La théorie du complot n'est pas à écarter. Disons aussi, et ce n'est pas contradictoire, que son inspiration est plus qu'inhumaine, démoniaque. Quelque part derrière ce paravent, il y a un antéchrist (au sens étymologique du terme) qu'il faut combattre avec des armes spirituelles, et non seulement des avions. Cet adversaire est redoutable par l'habileté avec laquelle il manipule les médias. Il faut lui reconnaître au moins cet atout : il sait instrumentaliser la peur. Comme Gengis Khan en son temps, il gagne du terrain par la peur plutôt que par les armes, il assure ses victoires dans les esprits et pas seulement sur le terrain. Et les sentiments qu'il suscite devraient les rendre encore plus populaires aux yeux d'une jeunesse fragilisée sensible à l'image de force qui se dégage de ses actions, et encore plus menaçant pour le reste du monde.
Et là, c'est un autre danger qui s'offre. En effet, l'autre réaction possible à l'immolation des coptes de Libye serait, pour la masse des chrétiens orientaux, de prendre peur et de désespérer de leurs patries qui chancellent sous les coups d'une violence provenant d'un islam qui, enfin, se montre à visage découvert. Résultat, songer au départ, et au plus vite. Ou encore, s'armer, comme certains le font en Irak par souci légitime d'autodéfense, au risque de voir un instrument de sécurité se transformer rapidement en un instrument de pouvoir.
Fort heureusement, des réactions émanant de personnalités musulmanes devraient enrayer l'un et l'autre réflexe. La réaction du chef du Hezbollah est à cet égard symptomatique. Il a clairement affirmé hier qu'il ne se reconnaît pas dans cet islam qui contredit « la conscience innée » de l'homme qui se trouve au cœur de l'islam. Après l'immolation du pilote jordanien, l'imam d'al-Azhar avait, lui aussi, considéré les musulmans de ce groupe comme des renégats de la pire espèce, de celle qu'il faut amputer des mains et des pieds et crucifier. Les spécialistes devraient se saisir sans retard de ces thèmes pour faire avancer la théologie du dialogue interreligieux, que les Églises orientales devraient utiliser comme base pour un discours d'enracinement et de témoignage sans ambiguïtés. Un discours où leurs martyrs ne s'inscriraient pas contre l'islam mais contre toute violence qui déshumanise l'homme.
Envoyé de mon Ipad