Pratiquants réguliers pour un tiers d'entre eux, ces « chercheurs spirituels » privilégient surtout les pratiques corporelles et artistiques et la méditation.
Ils sont plus nombreux à croire en Dieu que l'ensemble de la population française, mais pour eux, Dieu est surtout « une présence à l'intérieur de soi », « une force, une énergie ». Ils sont également plus nombreux à croire en une forme de vie après la mort que le reste des Français, mais il s'agit pour eux d'une « survivance de l'esprit » ou d'une « réincarnation dans un autre être vivant ».
Ils se disent très intéressés par le christianisme et le bouddhisme mais aussi par le chamanisme et l'hindouisme, l'islam les attirant en revanche très peu.
Ils, c'est-à-dire les nouveaux « chercheurs spirituels » tels qu'ils se révèlent dans la vaste enquête menée en 2013-2014 par le Gerpse, Groupe d'étude sur les recherches et les pratiques spirituelles émergentes, et pilotée par Philippe Le Vallois, chercheur associé à l'université de Strasbourg et responsable de l'Observatoire des nouvelles croyances au sein de la Conférence épiscopale.
Une démarche de développement personnel
Premier constat : ces nouveaux chercheurs spirituels – majoritairement des femmes âgées de 50 à 64 ans et diplômées d'études supérieures – tiennent beaucoup à la distinction entre spiritualité (qui rime pour eux avec unité, ouverture, aspiration) et religion (perçue comme division, fermeture, contrainte). Ce qui ne les empêche pas d'insister sur le discernement et sur les dispositions qui favorisent la quête spirituelle : la confiance en tête (69 %), suivie de peu par la persévérance, l'écoute et le silence.
Ils revendiquent en priorité, pour trois quarts d'entre eux, une démarche de développement personnel, puis une démarche thérapeutique au sens de « transformation progressive de soi » (47 %), et enfin une démarche explicitement qualifiée de religieuse (30 %).
Ce qu'ils cherchent ? D'abord « comprendre leur être profond et s'y relier » (71 %), « trouver un équilibre et s'unifier » (70 %) et « vivre en plénitude l'instant présent » (63 %). Des aspirations qui renvoient à « l'intime conviction qu'il existe un niveau de vérité de soi-même, souvent caché, toujours meilleur, dont la recherche personnelle permettrait de s'approcher », analyse le Gerpse.
Cette enquête éclaire également le parcours religieux des chercheurs spirituels : parmi ceux qui se revendiquent chrétiens (62 % de l'échantillon), 81 % ont été élevés par des parents chrétiens avec un parcours fondé sur la « transmission » ; 12 % des enfants de parents sans religion témoignent d'un parcours de « découverte », et 6 % élevés dans une autre religion témoignent d'une « conversion ».
« On peut revendiquer la même religion que celle dans laquelle on a été élevé mais lui donner des contenus très différents », précisent les enquêteurs en soulignant que, parmi ceux qui se présentent comme chrétiens, 37 % s'estiment loin de leur religion d'origine.
« L'inverse d'un bricolage spirituel »
Toujours selon l'enquête, près d'un tiers de ces nouveaux chercheurs sont des pratiquants réguliers dans leur tradition, un taux bien supérieur à la moyenne nationale (11 %). « On entend souvent parler de bricolage spirituel, de dilettantisme, de zapping ou même de syncrétisme… En fait, c'est l'inverse, car même lorsqu'ils s'intéressent à d'autres cultures religieuses que les leurs, ils s'investissent avec sérieux et persévérance ; et leur itinéraire, parfois peu linéaire, apparaît tout de même assez cohérent », constate Philippe Le Vallois.
Autre idée battue en brèche : la recherche spirituelle favoriserait l'individualisme, voire l'égocentrisme, ainsi que le désengagement sociétal. Bien au contraire, les personnes interrogées pratiquent la solidarité, l'ouverture aux autres, et ont le souci de s'informer comme le prouvent les titres de presse le plus souvent cités (La Vie, La Croix, Panorama, Études…), ce qui ne les empêche pas d'exprimer une méfiance vis-à-vis des institutions ecclésiales ou politico-sociales.
Des pratiques
« La démarche spirituelle ne consiste pas à fuir le monde, mais à donner de l'épaisseur au monde, à s'en extraire pour y replonger ensuite, plus riche », écrivent les sociologues. Pour ces chercheurs spirituels, précise Philippe Le Vallois, « il faut d'abord travailler à se changer soi-même avant de militer pour changer le monde ».
Quant aux activités suivies par ce public, elles privilégient massivement l'expérience et consistent, pour près de deux tiers d'entre eux, en des pratiques corporelles et énergétiques (zen, yoga, respiration, qi gong, reiki, jeûne…), de la méditation (59 %) et des pratiques artistiques (mantras, danse biodanza, peinture d'icônes, calligraphie, stage de clown… pour 47 %).
Ce qui interroge Philippe Le Vallois : « Comment mieux montrer la place du corps et favoriser l'expérience dans nos centres spirituels catholiques ? Comment l'Église, si riche en outils spirituels, peut-elle les actualiser pour aider ces chercheurs à progresser ? »
Près de 6 000 réponses analysées
Créé en 2010, le Groupe d'étude sur les recherches et pratiques spirituelles émergentes (GERPSE) a lancé en 2013, dans le cadre de l'université de Strasbourg, une grande enquête sur les nouveaux chercheurs spirituels. À partir de 24 centres spirituels, dont 17 d'origine confessionnelle – le Forum104, le Centre Assise et l'Espace bouddhiste tibétain à Paris, le Prieuré Saint-Augustin à Angers, etc. – et 7 d'origine non confessionnelle – Ateliers de croissance personnelle à Strasbourg, Terre du ciel (Saône-et-Loire), Centre Trimurti (Var), etc. – associés à l'enquête, 50 080 questionnaires ont été envoyés à toutes les personnes ayant suivi une activité au cours des cinq dernières années. Parmi les 7 931 questionnaires complets et validés, 5 764 ont été finalement retenus. Un échantillon considérable, sans doute le plus important pour une telle enquête (1).
CLAIRE LESEGRETAIN