I. Le pluralisme religieux et culturel au M-O : quel avenir ?
Il fallait bien ce rassemblement de grande envergure, avec la participation de plus de 40 personnalités éminentes et opérationnelles de plus de 14 pays arabes et occidentaux (Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Jordanie, Liban, Palestine, Syrie, Allemagne, Angleterre, Argentine, Danemark, États-Unis, Italie, Suisse...) pour appréhender les changements au Moyen-Orient, avec l'engagement de la foi et de la citoyenneté, et surtout un réalisme cru et tragique face au génocide qui s'opère sous des regards devenus accoutumés et souvent aveuglés.
Il ressort de plus de trente communications, débats et cinq groupes de travail nombre de perspectives que nous résumons en trois volets.
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Quelles sont les réalités et les causes au-delà du descriptif ? On insiste dès le départ qu'il faudrait « procurer du matériel, aboutir à des résultats face à des attentes, dans un corps malade, même si un seul membre est directement atteint, car la tragédie influe sur l'avenir de toute la coexistence. » (L'évêque Ludwig Schick, Allemagne). On s'élève contre la propension à la description désengagée : « Je suis sursaturé de description dans une tempête qui ravage l'Orient avec défaut de vision, affrontés que nous sommes et dénudés face à un cerveau malade qui voudrait la décivilisation du monde, avec des églises du monde arabe non préparées à gérer des situations de désastre, situations qui exigent un gigantesque déploiement diplomatique. » (Ghassan el-Chami, Liban).
Au-delà donc d'une région du monde et d'une religion, nous vivons non pas des mutations, mais une rupture, « une civilisation incendiée, des slogans vaseux et des êtres nés pour être engloutis par l'océan. » (Ignatius Alhoshi, Syrie). Et surtout « la destruction d'un patrimoine avec des victimes qui ne sont pas seulement des chrétiens, dans un monde désengagé et des Nations unies démusclées face à la période la plus sombre de leur histoire. » (Heiner Bielefeldt, Allemagne). C'est l'« échec de tout le droit international. » (Ignatius Alhoshi, Syrie). Échec aussi du « nationalisme uniformisant », (Herald Suermann, Allemagne), développé durant plus de trois générations dans un monde arabe assoiffé de citoyenneté égalitaire, une et plurielle.
L'exposé introductif du patriarche Béchara el-Raï développe, avec le plus haut niveau de courage et de lucidité, les quatre raisons du bouleversement : la proclamation de l'État d'Israël en 1948 provoquant des hostilités partout et des couvertures à des régimes d'oppression, l'instauration en 1979 de la République islamique chiite en Iran avec des conséquences sur la configuration et les rapports interrégionaux, l'absence de règlement du conflit israélo-palestinien et israélo-arabe en corrélation avec l'aménagement et l'extension de nouvelles colonies, et une idéologie d'exclusion sous le couvert de l'islam et de croyances en manque de repères.
Sursaut chrétien et musulman
C'est le Liban qui constitue un pont et un modèle à sauvegarder. Outre les réalités factuelles du bouleversement, il ne faudrait pas négliger les réalités spirituelles, mentales et culturelles, réalités déplorables et d'autres au contraire fort exaltantes.
On relève un sursaut de la part de chrétiens et de musulmans. Du côté de l'islam, on se penche sur « les racines chrétiennes de l'islam et la dimension humaine du sacré » (Mahmoud Ayoub, Liban). Le 14 mars 2015, en sortant de la mosquée de Deraa, des croyants exultent : « Nous voulons un musulman qui connaisse Dieu », faisant face à des slogans : « Les chrétiens à Beyrouth et les alaouites au cercueil ! » On s'élève contre le « déni de l'histoire et des racines ». (Refaat Badr, Jordanie).
Du côté chrétien, on s'attend à « une renaissance humaniste en Occident, car la fin des chrétiens en Orient est aussi une catastrophe pour l'Occident », (Nikodimos Daoud Sharaf, Irak), car « les chrétiens ne sont pas des individus isolés, mais l'Église du Christ ». (Le patriarche Béchara el-Raï).
Quand plusieurs intervenants parlent d'une « phase nouvelle » dans la région, la question est posée : en quoi justement réside la nouveauté de la démarche ? Au moins dans deux perspectives : la fin de la mentalité de protection ou du complexe de dhimmitude (protégé) et le réengagement chrétien et musulman dans une renaissance arabe fondée sur les libertés. La connivence, et parfois le soutien manifeste d'autrefois à des régimes tyranniques qui prétendaient (et prétendent ?)
protéger les minorités et pratiquaient la diplomatie du chantage à l'égard de grandes impuissances occidentales apeurées, a vécu : « En tant que conscience de cet Orient, nous ne sommes pas des quémandeurs de protection, car c'est la paix et le droit qui sécurisent. » (Ignatius Alhoshi, Syrie). La notion même de minorité est rejetée quand il s'agit de population enracinée et intégrée dans l'histoire et le tissu social.
Au cours de la conférence, le Liban est toujours cité comme « modèle à sauvegarder, pont entre Orient et Occident ». (Le patriarche Béchara el-Raï). Il y a un islam musulman, pluriel certes, et il y a les munafiqûn (imposteurs), autre appellation musulmane de scribes, de docteurs de la loi et de pharisiens, appellation qui figure plus de vingt fois dans le Coran. D'où l'exigence, de plus en plus impérative dans les recherches et les actions, de ne pas tant intellectualiser des problèmes dogmatiques et de procéder à une dénonciation empirique de la politologie de la religion ou de l'exploitation de la religion dans la mobilisation politicienne à des fins sans rapport avec la religion et la foi. Tout cela implique un « changement dans les idées » (Stephan Stetter, Allemagne) et « la réhabilitation de la confiance » (Amir Jaje, Irak), face certes au « silence de chrétiens d'Occident, surtout quand Maaloula a été démolie ». (L'évêque Pavly, Égypte).
Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel.
Titulaire de la chaire Unesco pour l'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ
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II. « Le Liban, modèle de pluralisme à sauvegarder ».
JTK