Joseph Yacoub (1) : « Comment envisager l'avenir des chrétiens d'Orient en France ? » | La-Croix.com-2-8-2013
Les chrétiens orientaux font partie du paysage social et religieux français. Les premiers arrivèrent en France vers 1801. La première église date de 1821, celle de Saint-Nicolas-de-Myre des grecs-catholiques à Marseille. Celle de Saint-Julien-le-Pauvre, à Paris, appartenant à la même communauté, date de 1888. Les premiers Libanais arrivèrent à Marseille en 1830, et à Paris en 1892. L'église maronite Notre-Dame-du-Liban, à Paris, remonte à 1915 et le Foyer franco-libanais à 1937.
Provenant de plusieurs contrées, les chrétiens d'Orient sont d'origines nationales et sociales distinctes, de langues, voire d'alphabets, ainsi que de traditions liturgiques et de rites, de cultures, d'hymnographies, de droits, de théologies et de spiritualités, de représentation de la société et du monde différents.
Plusieurs langues sont en usage, parmi lesquelles on distingue l'arabe, le syriaque (oriental et occidental), le copte, l'arménien, le grec. Les chrétiens orientaux disposent de leurs propres juridictions ecclésiales, partagées entre des Églises autocéphales, c'est-à-dire indépendantes, et des Églises autonomes, en communion avec Rome. À cela il convient d'ajouter des communautés protestantes (notamment parmi les arméniens, les coptes et les assyro-chaldéens).
Six Patriarcats orientaux
Ainsi, il existe six Patriarcats orientaux indépendants et tous ont des fidèles en France : les syriaques-orthodoxes, l'Église d'Orient assyrienne (dite nestorienne), les grecs-orthodoxes (mais non hellènes), les maronites, les arméniens, les coptes. Tous ces Patriarcats sont dédoublés de Patriarcats catholiques sous l'influence des missionnaires latins occidentaux depuis 1450 (à l'exception des maronites qui n'auraient pas connu de division et qui sont tous catholiques) : syriaques catholiques, chaldéens, grecs-catholiques ou melkites, arméniens catholiques, coptes). À cela il importe d'ajouter le Patriarcat latin de Jérusalem et les autres circonscriptions latines (Liban, Syrie, Irak…). Toutes ces Églises ont également leurs fidèles en France.
D'un point de vue juridique, il est important de rappeler que les sièges de ces Églises, autocéphales et autonomes, ne sont pas en France. Chaque Église est régie par son droit propre et à la tête de chacune se trouve un patriarche qui prend ses décisions collégialement avec les évêques réunis en synode. Ce sont des Églises collégiales et synodales, pour la plupart apostoliques (c'est-à-dire qui datent des Apôtres).
Les chrétiens orientaux qui vivent en France demeurent liés à leurs pays d'origine, ce qui témoigne d'un besoin d'enracinement et des liens intimes entre religion, langue et culture. L'attachement à leurs Églises se manifeste par la mise en place de structures communautaires. Les églises, qui se multiplient, sont devenues des lieux de rassemblement et des ciments identitaires d'union.
Francophiles et francophones
Plusieurs églises ont été fondées, érigées souvent en paroisses, lesquelles sont à la fois des lieux de culte, des espaces de rencontre, de regroupement et de vie intellectuelle. À cela s'ajoutent des associations de charité et de bienfaisance. Certaines communautés ont des écoles et disposent de médias (radio, presse, des publications, des sites Internet…), de couvents et de monastères, des librairies, des centres de documentation et des Instituts d'études.
Combien sont-ils en France ? En l'absence de statistiques ethniques et religieuses, on peut estimer leur nombre, sans trop d'erreur, à 600 000. Ils sont francophones et francophiles. Ils aiment la France et cela est facilité par l'absence de contentieux historique et politique. La France fut une terre d'accueil pour les chrétiens d'Orient. De culture française, ils ont produit une littérature riche dans cette langue qu'ils aiment.
Cependant, quelques questions se posent : Quel sera à terme le degré de tolérance des Églises de France à cette foisonnante diversité d'Églises et de communautés chrétiennes orientales qui peuvent parfois bousculer les traditions, l'organisation ecclésiale et les habitudes dominantes ? Comment coexistera en diaspora le droit canonique latin, le code des canons des Églises orientales et les droits propres à ces Églises, se chevauchant et s'empiétant parfois sur le même territoire « canonique » ?
Une intégraton à identités multiples
Concernant le domaine espace public/espace privé et la place du religieux dans la vie sociale, les chrétiens d'Orient, qui sont attachés et respectueux de la laïcité et de la neutralité de l'État, pourront-ils intérioriser cette nette séparation au point de rendre moins visible leurs signes d'appartenance et, ce faisant, de s'individualiser et de se décommunautariser ?
Dans un pays laïque à la française et très sécularisé, qui favorise par tradition l'assimilation plutôt que l'intégration, et à culture rayonnante et attrayante, comment pourront-ils maintenir avec le temps des traits identitaires culturels et cultuels qui leur soient propres, tout en s'intégrant dans le tissu sociétal français ? Quelle sera leur capacité de résistance et quels traits culturels prévaudront ?
Dans un monde caractérisé par des diasporas fort nombreuses et actives (multiplication des réseaux sociaux et culturels), où les liens avec les pays d'origine se trouvent désormais à proximité nonobstant les distances, il est difficile d'imaginer une intégration qui ne soit pas à identités multiples, porteuses de potentialités nouvelles en termes d'ouverture, voire d'intégration.
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