Le pape François et le dialogue interreligieux
Depuis le salon orientalisant de son appartement parisien, niché dans le 16e arrondissement au cœur de la bien nommée Villa Saïd, Aly El Samman tire quelques bouffées de sa pipe. Cet ancien journaliste et communicant, au service de son pays « sous Nasser, Sadate et Moubarak (1) », égrène ses souvenirs, parsemés des noms de quelques-unes des grandes personnalités religieuses et politiques qu'il n'a cessé de côtoyer…
Dès l'âge de 7 ans, Aly El Samman a été sensibilisé à ce dialogue interreligieux auquel il a consacré une grande partie de sa vie. Sa grand-mère, qui l'élevait dans la religion musulmane, elle-même issue d'une grande lignée soufie de Tanta, dans le Delta du Nil, avait accédé à ses suppliques et l'avait inscrit dans la petite école copte-orthodoxe de la ville.
« Lors des cours de religion, je restais dans le jardin. Un jour, un inspecteur de l'éducation a exigé que je reçoive un enseignement dans ma religion. Je me souviens encore de ce que m'a répondu le professeur lorsque je lui ai raconté que mes copains coptes parlaient de Dieu comme du "Père et du Fils" : "Ne t'occupe pas de ce qu'ils disent, ils iront en enfer"… »
Une « modeste organisation interreligieuse »
L'affirmation ne le satisfit point. Aujourd'hui, à près de 85 ans, il se souvient encore des réflexions dans lesquelles elle le plongea, de même que des conversations qui suivirent avec le P. Guirguis – dont il retrouvera le fils, des dizaines d'années plus tard, prêtre de la paroisse copte de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).
Après une longue carrière dans le service public égyptien de l'information et des médias, c'est par l'intermédiaire d'Adel Amer, grand défenseur de la cause arabe, côtoyé au sein de l'ambassade d'Égypte, qu'il rejoint en 1991 l'Association pour le dialogue islamo-chrétien (Adic). Créée deux ans auparavant avec l'appui du P. Michel Lelong, l'Adic n'est encore qu'une « modeste organisation interreligieuse ».
« Le dialogue, une conviction et une action »
Mais, fort de ses appuis politiques et de ses amitiés par-delà les frontières et les religions, Aly El Samman l'ouvre au judaïsme. Surtout, par le biais des dominicains du Caire, il apprend le souhait du Vatican « d'établir une coopération avec Al‑Azhar », la plus haute instance religieuse égyptienne, qui rayonne dans tout le monde musulman. Il s'attelle à la tâche avec énergie. « Le dialogue, c'est une conviction, mais c'est aussi une action », maintient-il aujourd'hui.
Le 28 mai 1998, grâce à ses bons offices, un accord est signé entre le cardinal Francis Arinze, alors président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Mgr Michael Fitzgerald, son secrétaire (qui lui succédera avant d'être nommé nonce au Caire), et le cheikh Fawzi El Zefzaf, vice-chancelier d'Al‑Azhar.
La rencontre avec l'autre
Le Vatican aurait souhaité la signature du cheikh Tantawi lui-même, et il faut des trésors de diplomatie à Aly El Samman pour expliquer aux cardinaux romains combien cette requête était impensable, dans la mesure où le grand imam d'Al‑Azhar « était sur le même rang que le pape ». L'accord comporte la « création d'un comité conjoint pour le dialogue entre le Vatican et Al‑Azhar », celui-là même qui doit prochainement reprendre ses travaux, après quelques années de tensions…
À cheval entre Paris – où se trouve toujours le siège de l'Adic – et Le Caire, cet homme d'ouverture garde son bâton de pèlerin. L'an dernier, il a décidé d'élargir son objet au « dialogue interculturel », convaincu que, « sans dialogue des cultures, les problèmes persisteront dans le dialogue interreligieux ».
Il publie également un nouvel ouvrage, qui présente et explique – sous la plume d'un représentant de chaque religion – les textes fondateurs de chacune d'entre elles sur « le dialogue, la paix et la rencontre avec l'autre (2) ». Déjà publié en Grande-Bretagne, il est sorti simultanément en Égypte et en France fin février, et devrait être traduit en hébreu.
Son inspiration : l'héritage d'Abraham
« Dans les années 1990, il était rare que les musulmans, les chrétiens et les juifs de France se retrouvent pour réfléchir ou agir ensemble », souligne Aly El Samman. Il y avait certes la Fraternité d'Abraham, créée en 1967 dans la foulée du concile Vatican II par l'écrivain André Chouraqui. Mais la conférence organisée par l'Association pour le dialogue islamo-chrétien (Adic) à la Sorbonne le 13 juin 1994 a été perçu comme un moment important : le grand rabbin Samuel Sirat y participa, ainsi que le charismatique cardinal Franz König, ancien archevêque de Vienne. « Il ne faut plus jamais séparer les enfants d'Abraham », conclut alors Aly El Samman, devant un parterre de journalistes et de responsables des trois religions.
Anne-Bénédicte Hoffner