La colère du patriarche...
Avis de tempête à Bkerké. À mesure que la fin du mandat de l'actuel président se rapproche, la colère du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, est en train de monter. Il voit le vide arriver à grand pas en dépit de toutes ses déclarations pour le condamner et de ses tentatives de le rayer du dictionnaire, alors que les autres composantes du pays ne cessent de lui rappeler que la balle est dans le camp des chrétiens qui ne parviennent pas à s'entendre.
Les visiteurs du siège patriarcal maronite rapportent ainsi que lors de sa rencontre lundi avec le chef de cabinet de Saad Hariri, son cousin Nader, Mgr Raï était très embarrassé, notamment lorsque son interlocuteur lui a affirmé que le courant du Futur est pour la tenue de l'élection présidentielle dans les délais constitutionnels mais il attend que les pôles chrétiens se mettent d'accord sur un même candidat et il sera alors prêt à l'adopter. Le même embarras a été ressenti avec le patriarche maronite en recevant une délégation du Hezbollah qui lui a pratiquement tenu le même langage. Tout comme d'ailleurs le président de la Chambre Nabih Berry lorsqu'il l'a rencontré à Aïn el-Tiné. Seul le mufti Mohammad Rachid Kabbani a été plus en mesure de comprendre la gêne du patriarche, lui qui n'a pas réussi à réunir les pôles sunnites qui ne se sont entendus que pour le déloger de son poste. En vain par ailleurs, mais c'est une autre histoire.
Toujours selon ses visiteurs, le patriarche maronite estime avoir tout essayé pour pousser les pôles chrétiens à s'entendre, en leur faisant prendre conscience de l'importance de l'enjeu présidentiel, mais il n'a visiblement pas réussi à les convaincre. Au contraire, chacun campe sur ses positions et se cache derrière le bloc sunnite ou chiite pour clamer son impuissance, alors que ces deux blocs se déclarent prêts à accepter tout candidat sur lequel les parties chrétiennes seraient d'accord.
Qui utilise l'autre ? La question ne se pose même plus pour le patriarche qui, selon ses visiteurs des deux derniers jours, fait assumer la responsabilité du blocage de l'élection présidentielle aux pôles chrétiens. Selon lui, cette bipolarisation est en train d'anéantir la participation chrétienne effective à l'appareil de l'État et à l'exercice du pouvoir provoquant une sorte de désespoir chez les chrétiens. Si le blocage présidentiel se poursuit, le patriarche songerait sérieusement à dénoncer publiquement les pôles chrétiens alors que ses visiteurs, en tête desquels l'ancien ministre Abdallah Farhat qui ne souhaite pas que le linge sale maronite soit lavé publiquement, cherchent à le calmer et lui demandent de patienter et de continuer à déployer des efforts en vue de parvenir à une entente.
Toutefois, les visiteurs du patriarche maronite rapportent son peu d'espoir de provoquer un sursaut chez les pôles candidats, déclarés ou non. D'autant qu'il est convaincu que la division verticale entre 14 et 8 Mars n'a plus de raison d'être et, selon lui, il ne s'agit plus de la victoire d'un camp politique sur l'autre, mais de la marginalisation définitive des chrétiens, sous couvert de projet politique. Les visiteurs de Bkerké révèlent ainsi que le patriarche Raï serait pratiquement hors de lui et il reviendrait sur les conséquences négatives pour les chrétiens de l'attitude de ces pôles depuis presque un quart de siècle. Leurs dissensions et la lutte ouverte à laquelle ils se sont livrés depuis la fin des années 80 ont permis aux autres communautés de marquer des points et de marginaliser les chrétiens.
Aujourd'hui, ceux-ci étaient devant une chance rare de reprendre l'initiative et de se poser en partenaires effectifs des autres communautés, mais leurs divisions internes et leur ralliement les uns aux chiites et les autres aux sunnites sont en train de brader cette occasion. D'autant que le conflit ouvert entre les sunnites et les chiites, qui pourrait permettre aux chrétiens de jouer un rôle décisif dans la gestion du pays et comme facteur d'apaisement entre ces deux grandes communautés, ne va pas s'éterniser. Ce qui serait forcément bénéfique pour tout le monde certes et pour l'ensemble de la région en général. Mais si les chrétiens restent divisés, ils perdront toute influence sur les décisions importantes et sur la gestion du pouvoir au Liban, le seul pays de la région où ils ont encore un poids politique réel. Face à toutes ces appréhensions, le patriarche maronite estime qu'il faut à tout prix élire un nouveau président avant le 25 mai pour éviter le symbolisme négatif de la fermeture du palais de Baabda alors que les autres institutions du pays continueront à fonctionner normalement, au point que l'on pourrait presque oublier que le poste de président de la République est vacant...
Les échos de cette colère patriarcale sont certes parvenus aux pôles chrétiens qui n'ont pourtant pas modifié leurs positions. Le chef des Forces libanaises maintient sa candidature en n'acceptant de la retirer que s'il y a une entente sur un autre candidat du 14 Mars, sachant pourtant que dans le rapport actuel des forces, on voit mal pourquoi le 8 Mars et ses alliés accepteraient de voter pour un candidat qui leur est hostile. De plus, le CPL et ses alliés estiment qu'il existe une chance réelle pour le général Michel Aoun de convaincre le courant du Futur de l'accepter comme candidat d'entente, d'abord parce que les pourparlers entre les deux parties progressent sérieusement et ensuite parce que les relations régionales vont vers la détente.
D'une part, le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil s'est rendu lundi soir à Riyad en principe pour participer à un forum, mais il a rencontré son homologue saoudien qui a confié combien le Liban lui manque (il faut rappeler à cet égard, qu'il y a deux semaines, Bassil a dû se rendre à Paris pour rencontrer le chef du courant du Futur, Riyad ayant souhaité que l'entretien entre les deux hommes n'ait pas lieu sur son territoire pour que cela ne soit pas interprété comme une position saoudienne sur le dossier présidentiel...) et ensuite le ministre saoudien des Affaires étrangères connu pour son hostilité à l'Iran a adressé hier une invitation à son homologue iranien Mohammad Jawad Zarif pour se rendre à Riyad. Or il est de notoriété publique qu'un dialogue entre Téhéran et Riyad ne peut qu'avoir des conséquences positives pour le Liban et pour le dossier présidentiel. Ce que le CPL et ses alliés considèrent comme un développement en faveur de leur candidat non déclaré, le général Aoun. Ils ne veulent donc pas laisser passer cette chance, même s'il faut pour cela attendre un peu, le temps que ces indices positifs se concrétisent... Pour toutes ces raisons, les deux camps ne sont pas prêts à répondre à l'appel du patriarche...
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