Anne Kurian
ROME, 12 août 2014 (Zenit.org) - Les patriarches d'Orient condamnent les guerres et les violences qui déchirent le Moyen-Orient, le fondamentalisme religieux et lancent un appel urgent à la communauté internationale : « Les chrétiens des pays du Moyen-Orient souffrent d'une grave persécution... sous le voile d'un silence mondial. C'est une honte pour l'humanité. »
A l'invitation du cardinal Béchara Raï, patriarche des maronites d'Antioche et de tout l'Orient, les patriarches des Églises orientales se sont réunis au palais patriarcal de Dimane au Liban, le 7 août 2014.
Une honte pour l'humanité
Au terme de la rencontre, ils publient un communiqué traduit par le patriarcat latin de Jérusalem, où ils expriment leur effroi face aux « incidents sans précédent et dangereux qui se passent dans la région, aux conflits et aux guerres fratricides en Irak et en Syrie, au fondamentalisme religieux qui ronge le tissu social et son unité dans nos pays ».
« Les chrétiens des pays du Moyen-Orient souffrent d'une grave persécution. Ils sont expulsés de leurs demeures et leurs biens saisis par les fondamentalistes sous le voile d'un silence mondial. C'est une honte pour l'humanité », écrivent-ils.
Ils dénoncent « l'extrémisme terroriste au nom de la religion » qui est « une menace majeure pour la région et le monde ». Les patriarches demandent aux chefs religieux de « prendre une position commune, claire et forte contre cette persécution et cette menace ».
Ils appellent aussi la Ligue arabe, la Conférence de la coopération islamique, le Conseil de sécurité des Nations Unies, la Cour pénale internationale et la communauté internationale à « agir immédiatement par un acte de secours efficace et fort ».
Enfin, ils demandent « que tous les États et les parties qui financent, directement ou indirectement, par l'argent et les armes, des groupes fondamentalistes et terroristes, pour des fins politiques et économiques, arrêtent ce financement et ce soutien » afin que le Moyen-Orient « retrouve la vie et la stabilité ».
Proximité avec les orientaux chrétiens
Ils évoquent les principaux conflits, à commencer par l'Irak, où l'expulsion de tous les chrétiens de la ville de Mossoul et de la vallée de Ninive est due « seulement à leur appartenance religieuse ». Ils dénoncent « un acte honteux de racisme », « un crime contre l'humanité et une violation des droits de l'homme et du droit international humanitaire ».
Déplorant également la « guerre absurde » se déployant en Syrie, ils appellent à « mettre fin à cette guerre, et trouver des solutions politiques afin de parvenir à une paix juste, globale et durable, et à la possibilité du retour des Syriens déplacés dans leurs foyers et leurs terres ». Ils demandent aussi la « libération immédiate » de Paul Yazigi et Yohanna Ibrahim, les deux évêques enlevés depuis le 22 avril 2013.
Les patriarches « demandent le retrait des forces israéliennes de Gaza, la levée du siège sur la Bande (de Gaza) et ses habitants, la libération des prisonniers et la fin des combats ». Ils font appel « à la légitimité internationale pour résoudre la question palestinienne, en approuvant un État pour les Palestiniens ».
Les patriarches expriment enfin « leur total soutien » aux forces armées et aux forces de sécurité libanaises à l'encontre des événements d'Arsal, et saluent la position libanaise « qui ne tolère pas les terroristes et les groupes extrémistes ».
Ils assurent de leur proximité « leurs fils chrétiens expulsés de leurs maisons et de leurs terres par la force et le mépris » et « qu'ils font tout pour qu'ils trouvent un lieu sûr, avant de pouvoir retourner dans leurs maisons et propriétés, et que leur soient restaurés tous leurs droits ».
Parmi les participants à cette rencontre : Aram Kshishian I, catholicos de Beit Kilika pour les arméniens orthodoxes, Grégorios Lahham III, patriarche d'Antioche et d'orient, d'Alexandrie et de Jérusalem pour les grecs melkites catholiques, Yuhanna Al Yazajee X, patriarche d'Antioche et d'orient pour les grecs orthodoxes, Mar Aghnatios Yousef Younan III, patriarche d'Antioche pour les syriaques, Mar Aghnatios Afram II, patriarche d'Antioche et d'orient pour les syriaques orthodoxes, Narcis Bedros XIX, patriarche de Kilika pour les arméniens catholiques, le représentant du patriarche Louis Raphaël Sakko I, patriarche de Babel pour les chaldéens.
Rester ou partir, le dilemme des chrétiens d'Irak
Onze chrétiens irakiens sont arrivés la semaine dernière en France avec un visa de réfugiés.
Face au durcissement de leur situation en Irak et à l'avancée des troupes djihadistes de l'État islamique, de plus en plus de familles sont tentées par l'exil.
À Besançon, elles sont une vingtaine à avoir tout recommencé, depuis quelques années, partagées entre leur attachement à leur pays et la volonté d'aller de l'avant.
On ne choisit pas toujours ses clients. Hani Abdal, tailleur renommé à Bagdad, comptait parmi les siens un certain Saddam Hussein et plusieurs officiers du régime. Un encombrant succès que ce chrétien originaire de Qaraqosh, au nord de l'Irak, paiera au prix fort après la chute du dictateur, en 2003. Ablahad, l'aîné de ses quatre enfants, en témoigne aujourd'hui alors que la famille vit en France, à Besançon (Doubs), avec le statut de réfugiés.
En 2004, Ablahad est kidnappé puis libéré contre versement d'une rançon. Sa famille fuit alors en Syrie mais ne peut y rester bien longtemps. Le cancer diagnostiqué chez la petite dernière nécessite des soins intensifs. S'ensuivent plusieurs mois de traitement à Bagdad, entrecoupés de déménagements forcés en raison des menaces dont la famille fait continuellement l'objet.
La petite fille décède en Jordanie au cours d'un nouvel exil. En 2008, les Abdal obtiennent finalement leur visa pour la France. Après quelques mois d'attente à Paris, leur nouveau foyer est enfin désigné : ce sera Besançon.
« Je regarde et je pleure »
Bagdad-Besançon. Pour la vingtaine de familles chrétiennes d'Irak aujourd'hui installées en Franche-Comté, le voyage n'a rien d'un aller simple. Arrivées entre 2008 et 2012, elles gravitent autour de la paroisse Saint-François d'Assise, blottie au milieu des barres de HLM, dans la périphérie verdoyante de la préfecture du Doubs. Si loin de la violence aveugle et des menaces de mort, mais si proches du calvaire enduré par les parents et les cousins restés sur place.
Fara, 20 ans, arrivée en France après que son père, cardiaque, a succombé aux menaces de mort des islamistes, est sans nouvelles du reste de la famille, chassé de Mossoul en juin, puis de Qaraqosh la semaine dernière par les djihadistes de l'État islamique. Heure après heure, la jeune fille scrute Internet et les chaînes télévisées arabophones. « Je regarde et je pleure… Je me sens inutile. J'ai la chance d'être ici mais je ne peux rien faire pour eux. »
Dans son intérieur soigné avec une banquette d'angle, typique du Proche-Orient, et une grande icône du Christ sur un mur du salon, Samir Jaje désigne l'écran d'ordinateur posé sur la table basse. Une photo prise à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, montre des centaines de familles parquées à même le sol, écrasées par la chaleur en attendant l'aide humanitaire.
Recommencer en France
C'est Ivane, le dernier de ses trois fils, qui assure la traduction. « La nuit où les djihadistes sont entrés dans Qaraqosh, on a reçu un coup de fil vers trois heures du matin. On a alors appelé mes deux frères qui vivent ici et on s'est mis à prier dans le salon jusqu'à l'aube. » Concessionnaire Audi à Qaraqosh, la famille Jaje a tout perdu. Les six frères et sœurs de Samir et sa mère gravement malade, qu'il n'a plus vus depuis cinq ans, ont gagné le Kurdistan avec de quoi tenir quelques jours à l'hôtel.
À Besançon, il a fallu tout recommencer. Âgé de 46 ans lorsqu'il est arrivé d'Irak – le 10 octobre 2010, précise-t-il –, Samir a aussitôt pointé à Pôle emploi et s'est mis au français. Cinq ans plus tard, la langue reste pour lui un obstacle. Sans permis de conduire, faute d'accord avec l'Irak, il est toujours sans emploi. Ses deux fils aînés ont hérité du tropisme paternel et travaillent dans un garage.
Le premier est marié avec une Irakienne exilée en France. Le second s'est fiancé en Turquie avec une fille de Qaraqosh, pour l'heure réfugiée au Kurdistan, dans l'espoir de quitter le pays. Sa fille Ivine, 22 ans, s'est fiancée avec un Irakien d'Alqosh exilé en Allemagne. Quant à Ivane, le petit dernier, il passe en terminale et rêve d'ouvrir un restaurant oriental.
Menaces de mort et espoirs
Rester en Irak ou partir ? La plupart de ces familles n'ont pas eu le temps de se poser la question. Parce qu'il travaillait comme électricien dans la fameuse « zone verte », cette enclave hautement sécurisée de Bagdad où se concentrent les services du gouvernement et l'ambassade américaine, Bassam Kalw a rapidement fait l'objet de menaces de mort, jusqu'à son départ pour la France en 2008.
Aujourd'hui, il se débrouille en français. L'entreprise bisontine où il a travaillé pendant trois ans a fait faillite et son allocation de chômage expire en octobre. Sa fille aînée, Noora, 21 ans, a fait une croix sur son rêve de devenir avocate et s'est rabattue sur une fac de sciences. À la maison, elle aide sa mère à remplir des formulaires. Dans un français parfait appris au contact de ses copines de lycée, elle avoue avoir toujours la tête en Irak.
« Je vis bien ici, en sécurité, mais il y a toujours l'espoir que la situation se retourne. Pour nos parents, c'est différent. Ils ont vécu trop de guerres et ne voient pas d'autre issue que de s'accrocher ici malgré les difficultés. » Son petit frère, Firas, ne parle plus l'arabe. Tout au plus quelques bribes d'araméen, la langue des chrétiens d'Al-Qosh.
« L'avenir de tes enfants »
Parfois, la culpabilité travaille les cœurs. Ces chrétiens ont-ils commis une faute en quittant leur pays ? Alaa Hazim, 56 ans, ancien employé de l'ambassade tchèque à Bagdad, au chômage depuis cinq ans, l'a un jour demandé à un prêtre. « Ce n'est pas ton sentiment de culpabilité qui compte, mais l'avenir de tes enfants », lui a-t-il répondu.
Son épouse, Saba, en a fait son leitmotiv. Secrétaire de direction dans un groupe américain à Bagdad, elle a enchaîné les formations et travaillé d'arrache-pied son français pour décrocher, enfin, son premier CDD à Besançon. « Bien sûr, l'Irak est le berceau du christianisme, l'Irak est notre pays… Mais pourquoi devrions-nous payer indéfiniment le prix de toute cette violence ? La vie est plus importante ! » Sa fille et son fils, 17 et 15 ans, l'écoutent en silence, assis sur le canapé. Elle veut devenir orthodontiste, lui informaticien. L'Irak n'est pas dans leurs projets.