II. Le Liban, modèle de pluralisme à sauvegarder
1. Initiatives et capacitation : il faudra entreprendre des « initiatives qui créent la différence » (Heiner Bielefeldt, Allemagne), inventorier et propager les actions positives et concevoir des projets (Michel Jalkh, Liban), ce qui exige une nouvelle mentalité, sans repli, ni cloisonnement, ni surtout mentalité de protection (Walid Shomaly, Jérusalem). Il y a en effet un risque majeur de contagion identitaire, de retour au complexe de dhimmitude (Karam Rizk, Liban ; Heiner Bielefeldt, Allemagne) qui a contribué à faire perdurer des tyrannies dans la région, bien au-delà de l'exigence nécessaire de la prudence, au sens d'Aristote, en politique. On reconnaît, dans une perspective d'autocritique, « qu'en tant qu'église, nous avons été souvent taciturnes » (Antonios Aziz Mina, Egypte). On rapporte des expériences positives d'une église vraiment universelle, avec des Coréens, des Philippins... au cœur des Émirats arabes unis où « des églises sont remplies et nous réapprennent la foi » (Paul Hinder, Suisse et Émirats arabes unis).
On cite l'expérience dans les années 1994-1995, avant le Synode pour le Liban, de L'Église de la reconstruction (Cedroc, librairie Orientale, 1995, 250 p.), de l'Église pour notre temps... Il faudra donc repenser « la présence multifonctionnelle des chrétiens » (cardinal Leonardo Sandri, Vatican), en vue d'une « vitalité et dynamique de l'Église » (Mgr Simon Faddoul, Karam Rizk, Liban). De tels efforts impliquent le soutien aux églises des Arabes, gardiennes et protectrices de racines profondes du christianisme.
2. Diplomatie internationale ciblée sur les foyers de tension et opposition à la diplomatie du chantage sécuritaire : la Palestine demeure au cœur du monde arabe et de toutes les carences de la diplomatie internationale la cause originelle du tremblement que vit le Moyen-Orient. Mais la banalisation du génocide et la brutalisation du monde ont atteint une telle généralité que nombre d'intervenants parlent qu'il faut désormais un miracle.
3. Constitutionnalisation des droits et libertés : de nouveaux changements constitutionnels dans plusieurs pays arabes comportent des garanties substantielles aux libertés religieuses et droits fondamentaux, notamment en Égypte, Jordanie, Tunisie, Maroc... Le gouvernement d'Égypte a décidé la réhabilitation des lieux de culte et le Conseil constituant comportait cinq coptes sur un total de 15 membres (Guirgis Saleh, Fadi Sidarus, Égypte). En Jordanie, le Parlement compte neuf parlementaires chrétiens (Rifaat Badr, Jordanie). Les problèmes relatifs aux rapports entre religion et pouvoir politique, embourbés dans des débats dogmatiques éculés, devraient emprunter désormais des approches empiriques qui permettent de dépoussiérer des cogitations répétitives et figées en vue d'une laïcité arabe endogène, parfaitement possible et en conformité avec les traditions constitutionnelles nationales.
4. Promouvoir le patrimoine valoriel du Liban message : ce patrimoine, perturbé et agressé par des occupations hostiles et fraternelles, patrimoine à transmettre à la nouvelle génération, est le garant du message libanais de pluralisme, à l'opposé du judaïsme sioniste qui, en opérant une corrélation entre espace et identité, menace le patrimoine séculaire de pluralisme du tissu arabe.
5. Faire retrouver aux religions leur âme : quel dialogue religieux et culturel pour demain quand le Dieu de la Terre promise devient propriétaire terrien et spéculateur foncier, quand une déchristianisation à fleur de peau en Europe crée une vacuité chez des jeunes avides de sens et happés par des manipulateurs, quand un islam idéologique et déboussolé justifie le génocide, la violence et le massacre? Il en découle l'exigence d'un dialogue pour la paix (David Thomas, Angleterre), « la descente du dialogue au niveau de la société » et la révision des programmes et contenus d'enseignement (Ghassan al-Shami, Liban; Mariano Barbato, Allemagne), et la catharsis d'une «mémoire empoisonnée» (Paul Hinder, Suisse et Émirats arabes unis).
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Le grand avantage de la conférence à Rome est de poser le problème de la sauvegarde du tissu religieux et culturel pluraliste au Moyen-Orient dans une perspective plus large que celle de la chrétienté orientale. Il y a là un «rôle conjoint des chrétiens en Orient et en Occident» (Georges Tamer, Liban).
Il en découle l'exigence d'une stratégie de confiance, source d'une dynamique agissante, en partant de la conviction « que le christianisme ne finira pas » (Antonios Aziz Mina, Égypte). Le christianisme au fond, «c'est la foi dans la croix et la résurrection» (Georges Tamer, Liban) et Jérusalem, comme à l'origine, peut encore être « la ville des surprises» (Walid Shomaly, Jérusalem).
La conférence dont l'organisation a été assurée par Stephan Stetter et Mitra Moussa Nabo (Université de Munich) est le fruit d'une vision, d'une foi solidaire et d'une volonté d'action aux niveaux régional et international.
Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Titulaire de la chaire Unesco pour l'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ
JTK