La Croix : Il y a quelques jours, vous avez proposé à vos deux Églises « sœurs » – l'Église assyrienne, et l'ancienne Église d'Orient (séparées en 1968) – de vous réunifier et de reformer l'antique Église d'Orient. Pourquoi ?
Louis Raphaël Ier Sako : En septembre, nos trois Églises ont prévu un synode : je leur ai donc proposé de n'en faire qu'un seul et d'élire un patriarche commun, après que Mar Addaï II et moi-même aurons démissionné. Être divisé, c'est une grande faiblesse. L'unité, elle, est un signe de vie, qui redonnerait de l'espoir même aux chrétiens irakiens réfugiés. Ce serait aussi un témoignage à donner aux musulmans qui souvent m'interpellent sur cette division entre Églises chrétiennes.
Avec l'Église assyrienne et l'ancienne Église d'Orient, nous partageons la même doctrine, la même foi : seul nous sépare le vocabulaire. Le patriarche de l'Église assyrienne récemment décédé, Mar Dinkha IV, avait d'ailleurs signé avec le pape Jean-Paul II une déclaration christologique rétablissant la communion de foi.
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Pourquoi faire cette proposition aujourd'hui ?
L. R. S. : Nos Églises sont extrêmement fragilisées en Irak : nous sommes encore 300 000 chaldéens, mais l'Église assyrienne et l'ancienne Église d'Orient ne comptent que quelques milliers de membres, la majorité ayant émigré. Nous unir nous donnera davantage de force. Les membres de nos Églises pourront aussi nous aider matériellement, humainement et politiquement depuis les pays où ils vivent. D'ailleurs, l'Église assyrienne a tout récemment proposé l'unité à l'ancienne Église d'Orient, et elle attend sa réponse pour élire son nouveau patriarche…
Justement, quelles sont les réactions de vos deux Églises sœurs qui, elles, ne sont pas unies à Rome ?
L. R. S. : Avant sa mort, j'étais allé voir le patriarche Mar Dinkha IV pour parler de ce projet. Il était plus favorable à l'unification de la « nation assyrienne », rassemblant les peuples assyrien, syriaque et chaldéen, considérant que celle des Églises suivrait. Il m'a aussi répondu que son Église était libre vis-à-vis du Saint-Siège et qu'il ne voyait pas l'intérêt de s'y soumettre…
De mon côté, je pense que nous pouvons demander à Rome de respecter nos traditions, notre liturgie et les décisions de notre synode, comme c'était le cas au premier millénaire : ainsi, nous resterions une Église catholique mais avec notre particularisme oriental.
Vous venez aussi d'organiser à Erbil, au Kurdistan irakien, la première Conférence internationale de fondation de la Ligue chaldéenne et celle-ci a élu son président, Safah Hindi, un pharmacien de Kirkouk très engagé dans votre Église. Qu'en attendez-vous ?
L. R. S. : L'objectif est de réunir des laïcs désireux de promouvoir les traditions et la culture chaldéenne partout dans le monde, d'aider les réfugiés et aussi de nous appuyer sur le plan politique. Nous avons publié les statuts de cette ligue et une soixantaine de laïcs se sont portés volontaires. Ils ont beaucoup de projets : collecter de l'argent, ouvrir des centres culturels, développer des cours de langue pour les chaldéens de la diaspora…
Dans quel état est votre Église aujourd'hui, un an après la conquête de Mossoul par Daech ?
L. R. S. : La présence historique des chrétiens d'Orient est aujourd'hui menacée : à l'étranger, les chrétiens ne vont pas seulement s'intégrer mais s'assimiler, se dissoudre dans la culture des pays où ils vivent, et en Irak, nous faisons face à une véritable hémorragie. Lors de l'invasion de Daech, l'été dernier, nos fidèles se sont enfuis en pensant retrouver leur maison, leur ferme une semaine plus tard, peut-être deux… Et cela fait un an !
Daech aura-t-il une fin ? Qu'y aura-t-il après ? Personne ne le sait et n'a de vision claire pour l'Irak. Beaucoup de chrétiens sont fatigués moralement, psychologiquement, économiquement. Même si nous louons des maisons, nous ne pouvons donner qu'une pièce par famille : comment même imaginer une vie conjugale ?
Qu'attendez-vous de cette Année de la miséricorde, proposée par le pape François, et que vous avez proposée aux musulmans de vivre aussi en Irak ?
L. R. S. : Cette Année peut créer des changements très positifs : la miséricorde est liée à la confiance, à la réconciliation… Nous devons montrer cette bonté qui éduque, qui construit la personne. En arabe, le mot (« al-rahma ») désigne le sein maternel, celui qui accueille l'enfant. Même dans leur situation difficile, nos fidèles sont capables de pardonner : ils sont pétris de l'Évangile, des paroles de Jésus nous demandant de pardonner « 77 fois 7 fois »…
Les musulmans aussi insistent sur la miséricorde de Dieu. J'ai donc invité les responsables musulmans de Bagdad à se joindre à nous pour cette Année de la miséricorde, et suggéré au gouvernement irakien, à titre de symbole, de libérer les prisonniers politiques. Aujourd'hui, en Irak, c'est la vengeance qui est sacrée, et la tribu passe avant la religion. Nous devons aider le monde musulman à penser la miséricorde, qui est beaucoup plus forte que la tolérance.
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner