Chrétiens de la Méditerranée 15/3/2016
Actuellement, les États les plus puissants de la planète sont fédéraux : les USA, la Russie, l'Allemagne, la Suisse, etc.
Si le régime et l'opposition en Syrie sont d'accord sur un point, c'est leur aversion manifeste du système fédéral.
Cette idée, lancée il y a quelques jours par les Russes avant le début d'un nouveau round de discussions à Genève, a été catégoriquement rejetée par l'opposition syrienne représentée par le Haut Comité des négociations (HCN), qui estime que « l'unité de la Syrie est une ligne rouge. Cette question n'est pas négociable et l'idée d'une fédération serait un prélude à un découpage de la Syrie ». De son côté, le régime de Bachar el-Assad espère toujours reconquérir la totalité du territoire syrien et n'a donc aucun intérêt à partager le pouvoir.
Il faut rester vigilant par rapport aux intentions de Moscou de réhabiliter coûte que coûte Bachar el-Assad. S'il s'agit de reproduire le même régime avec une autre formule qui laisserait le président actuel en chef suprême, tout en découpant le pays en fonction de critères ethno-religieux, c'est chose ratée dès le départ. Reste à savoir, au-delà des manœuvres diplomatiques russes, si une solution fédérale pourrait résoudre le conflit syrien qui entre dans sa sixième année avec des chiffres record de morts, de blessés, de disparus, de déplacés, de réfugiés, etc.
En outre, le pays est aujourd'hui divisé de facto en plusieurs zones d'influence : le Nord-Est dominé par les milices kurdes, le Nord globalement tenu par une opposition arabe sunnite, la région côtière et le Sud entre les mains du régime alaouite, l'Est sous contrôle de l'État islamique.
Il ne faut pas oublier que la Syrie est d'une diversité ethno-religieuse très riche. Bien que la majorité de la population soit sunnite, le pays comprend deux minorités importantes : les alaouites (région côtière) et les Kurdes (Nord-Est). Sans oublier la minorité chrétienne éparpillée à travers le pays, et les druzes principalement cantonnés dans la province de Soueïda au Sud.
Récemment, plusieurs voix ont dénoncé un nettoyage ethnique dans certaines régions, notamment celles tenues par les Kurdes qui se sont empressés d'en chasser les Arabes, surtout de confession sunnite, et celles frontalières du Liban, où le Hezbollah a sévi contre les sunnites également.
Divisions historiques
Les divisions actuelles rappellent d'ailleurs la situation de la Syrie sous l'Empire ottoman. En effet, à cette époque, le pays tel qu'on le connaît aujourd'hui n'était pas un ensemble uni. Il était divisé entre le vilayet d'Alep, celui de Damas, et le sandjak de Lattaquié.
Les frontières de la Syrie actuelle sont une création issue des accords Sykes-Picot, qui ont départagé la région en zones d'influences française (Liban-Syrie) et britannique (Palestine-Irak).
De leur côté, les Français avaient découpé le territoire qui leur était attribué en quatre parties : les sandjaks de Damas et d'Alep, l'État alaouite et l'État du Jabal druze. À cette époque, une partie de l'élite alaouite avait même appelé à une confédération avec le Liban. Des revendications vite balayées par les autorités de Damas.
Après l'indépendance, l'expérience étatique du parti au pouvoir, le Baas, a royalement échoué tant en Syrie qu'en Irak. Ces régimes ne sont pas parvenus à réaliser l'unité nationale qui n'a fonctionné que grâce à l'autoritarisme.
Vengeance vs réconciliation
À supposer donc que le conflit s'arrête et que Bachar el-Assad s'en aille, ces cinq ans de guerre destructrice auront créé des fractures tellement profondes parmi les Syriens qu'une réconciliation entre les différents belligérants est loin d'être acquise. Non seulement il faut rétablir la confiance entre eux, mais il faut aussi éliminer la haine et la peur de l'autre, qui constituent l'élément moteur de la violence qui secoue le pays depuis 2011.
En outre, la volonté de vengeance, liée à la barbarie du conflit, mais aussi de revanche après plus de quarante années de domination par les alaouites, augure mal d'une réconciliation nationale dans le cadre d'un État centralisé.
Recréer donc un climat de confiance nécessite des acrobaties diplomatiques et politiques hors pair. Un processus de paix doit impérativement se baser sur des fondements solides pouvant favoriser la sécurité et la stabilité à travers un régime politique capable d'organiser la diversité et de bâtir des liens solides entre les différentes communautés ethno-religieuses, les citoyens et leur État.
Fédéralisme, pour ou contre
Un régime fédéral, à l'allemande ou à l'espagnole, pourrait être plausible pour le cas syrien. Il aidera ainsi à protéger les communautés ethno-religieuses syriennes, notamment alaouites, kurdes, chrétiennes et druzes, tout en gardant les frontières actuelles de la Syrie inchangées.
Quant au gouvernement fédéral, plusieurs options pourraient être envisagées, en s'inspirant par exemple de la Bosnie-Herzégovine. L'important serait de maintenir un équilibre politique qui garantirait les droits de tous les citoyens syriens d'une part, et, de l'autre, mettrait en échec l'influence des différentes puissances régionales, comme la Turquie, l'Iran ou l'Arabie saoudite, sur le pays.
Un État fédéral posera sans doute une multitude d'autres problèmes sur le plan démographique concernant les minorités : quel sera le sort des Kurdes et des alaouites de Damas et d'Alep ? Ou celui des chrétiens trop dispersés pour constituer une entité autonome ? Ou même des druzes qui auront du mal à constituer une région autonome dans le Jabal druze, un petit territoire, enclavé et dénué de ressources ? Là aussi l'exemple du Kosovo ou de la Bosnie-Herzégovine est de rigueur. En effet, le parrainage international dans ces pays a permis d'arrêter les combats et les massacres, ouvrant la voie à d'âpres négociations malgré la persistance pendant longtemps des tensions et des résistances de part et d'autre.
Fédéralisme et monde arabe
Le fédéralisme ne semble pas avoir la cote dans le monde arabe. Il est évident que l'idéologie dominante des régimes dictatoriaux combat toute forme de diversité au profit d'un pouvoir fort et répressif dominé par le parti unique. Même au niveau des croyances socioculturelles, le fédéralisme est synonyme de partition et d'éclatement du pays.
Depuis des décennies, les régimes autoritaires qui ont régné sur les pays du Moyen-Orient dénonçaient férocement « les frontières artificielles » des États de la région, qui sont issues, selon eux, des intérêts des anciennes puissances coloniales et qui ne représentent pas les réalités historiques et géographiques. La chute de ces régimes, comme avec Saddam Hussein en Irak et Mouammar Kadhafi en Libye, ou leur ébranlement, comme pour Bachar el-Assad en Syrie, ont remis en question le système politique centralisé pour ouvrir la voie à d'autres alternatives, jadis taboues, comme le fédéralisme.
Or le fédéralisme est une forme d'unité. C'est un système mis en place pour rassembler les populations d'un même pays. Actuellement, les États les plus puissants de la planète sont fédéraux : les États-Unis, la Russie, l'Allemagne, la Suisse, etc.
Pourquoi donc cette notion doit rester honnie dans cette région du monde ? Si l'unité et la paix d'un pays passent par les divisions du fédéralisme, pourquoi l'ignorer ?
JTK
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